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Dommage corporel : focus sur les différentes formes d’indemnisations et sur l’évaluation de ces dernières. Par Joëlle Marteau-Péretié, Avocate.
Parution : vendredi 17 février 2023
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À la suite d’un accident, en France, de nombreux dispositifs peuvent être actionnés pour la réparation des dommages corporels à l’endroit des victimes. La réparation est automatique lorsqu’il s’agit de dommages occasionnés par un tiers responsable. En revanche, l’indemnisation sera conditionnée par la souscription volontaire à une assurance individuelle lorsque la victime est responsable de son propre accident.
Passons ici en revue les différentes situations et les différents dispositifs d’indemnisation existants, les conditions de leur mise en œuvre. Nous décrirons ensuite comment sont évalués les dommages et leur indemnisation, et enfin sous quelles formes cette dernière peut être allouée.

I. L’indemnisation pour les victimes d’accidents avec tiers responsable.

Différentes situations sont à distinguer en matière d’indemnisation des dommages corporels [1] Mais le principe intangible demeure le suivant :

On est responsable du dommage que l’on cause à autrui. Et l’on est responsable du dommage que l’on s’inflige.

C’est là la raison d’être de l’assurance responsabilité civile ou de l’assurance obligatoire liée à la conduite d’un véhicule terrestre à moteur : On s’assure d’abord pour protéger les autres, c’est-à-dire pour couvrir les dommages que l’on est susceptible de causer à autrui.

- La responsabilité civile

En droit commun, le Code Civil dispose en son article 1242 qu’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause pour son propre fait mais encore de celui qui est causé par celui des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

À retenir : La responsabilité civile protège autrui et non soi-même !

Sans que nous le sachions forcément, en tant que locataire ou propriétaire, nous sommes tous couverts par une assurance responsabilité civile, généralement comprise dans le cadre de l’assurance habitation. Cette assurance responsabilité civile va intervenir pour indemniser la victime d’un accident dont vous êtes involontairement responsable : à notre domicile ou dans l’espace public.

- Assurances au tiers et loi Badinter pour les victimes de la route.

En marge du droit commun, s’agissant des accidents de la circulation [2] impliquant un véhicule terrestre à moteur (auto, moto, camion, quad…) une loi spécifique s’applique, la loi Badinter [3] de 1985. Elle prévoit que les dommages corporels d’une victime soient indemnisés, non par la responsabilité civile de l’auteur mais par une assurance spécifique obligatoire liée à la conduite d’un véhicule motorisé. C’est ce qu’on appelle communément l’assurance au tiers, ou l’assurance obligatoire.

L’article L211-1 du Code des assurances dispose que « Toute personne physique ou toute personne morale autre que l’Etat, dont la responsabilité civile peut être engagée en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué, doit, pour faire circuler celui-ci, être couverte par une assurance garantissant cette responsabilité, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Pour l’application du présent article, on entend par "véhicule" tout véhicule terrestre à moteur, c’est-à-dire tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée. »

Cela signifie que ce contrat d’assurance au tiers couvre la responsabilité civile des personnes ayant la garde, la conduite (même non autorisée) du véhicule. Ce contrat d’assurance couvre aussi les passagers. Le principe général ne varie toutefois pas : on s’assure d’abord pour protéger autrui du dommage qu’on peut lui infliger.

Depuis 1985, la loi Badinter facilite et accélère l’indemnisation des préjudices d’une victime d’accident de la route. Elle renforce ses droits sur plusieurs plans :
- En accélérant le processus d’indemnisation de chaque victime.
- En obligeant les assurances à organiser l’expertise médicale.
- En obligeant l’assureur à respecter des délais légaux d’indemnisation.
- Elle incite au règlement amiable de la réparation des préjudices.
- Elle oblige l’assurance à indiquer à la victime qu’elle peut se faire assister par un avocat et par un médecin de victimes indépendant qui feront valoir l’ensemble des postes de préjudices indemnisables.

- Les fonds de garantie et fonds de solidarité (ONIAM).

Lorsqu’un responsable d’accident n’est pas assuré ou bien n’est pas solvable, ou encore lorsqu’il n’est pas identifié (délit de fuite), la victime d’accident pourra encore, sous conditions d’apporter toutes les preuves nécessaires, se tourner vers un fonds de garantie qui viendra se substituer à la compagnie d’assurance :

Selon le type d’accident, plusieurs Fonds de garantie sont susceptibles de vous indemniser, dont les suivants :

FGAO : pour les accidents de la circulation où l’auteur n’est pas assuré ou s’il n’est pas identifié.

FGTI : (Fond de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions)

ONIAM : fonds public qui indemnise les victimes d’accidents médicaux (infections nosocomiales, affections iatrogènes ...) dans un établissement de santé public.

Dans tous les cas, il convient de monter un dossier solide établissant la réalité de votre préjudice et l’imputabilité des dommages aux responsables désignés.

II. L’indemnisation des victimes d’accidents responsables.

- La souscription à une assurance volontaire.

Si l’on s’assure d’abord, comme on l’a vu, pour les dommages que l’on peut causer à autrui, il est également possible de souscrire à une assurance non obligatoire prenant en charge les dommages que l’on se cause à soi-même :

Assurance conducteur pour les usagers de véhicules terrestres à moteur (exemple : les motards, particulièrement exposés aux accidents graves, dont 50% sans tiers impliqué).

Le GAV (Garantie accidents de la vie) qui protège l’assuré principalement : des accidents domestiques / accidents de la vie privée sans tiers impliqué ; de certaines activités de loisir ; certains sports individuels ; et d’autres types d’accidents variables selon les contrats.

L’assurance personnelle pour la pratique d’activités sportives à risques
La plupart des pratiquants de sport en club sont de fait assurés par leur club ou leur fédération pour les dommages qu’ils peuvent subir dans le cadre de leur pratique. C’est une obligation légale figurant à l’Article L321-1 du Code du sport.

BON À SAVOIR  : Si, en club, un sportif occasionne un dommage corporel à un autre participant, un contrat collectif d’assurance qui couvre la responsabilité civile de tous les participants interviendra pour l’indemnisation de la victime.

- En l’absence d’assurance, la CPAM couvre les frais de santé.

En l’absence de droit à indemnisation, toute victime d’accident corporel est prise en charge pour ses frais de santé par l’Assurance Maladie qui elle ne fait aucune différence entre victimes et responsables.

III. Expertise médicale et évaluation des préjudices.

À la suite de tout accident corporel, pour être indemnisée, la victime doit se soumettre à une expertise médico-légale organisée par l’assurance en charge du règlement de l’indemnisation. Cette compagnie d’assurance va donc désigner un expert (médecin) chargé de vous expertiser. L’objectif de cette expertise va être de déterminer le nombre de préjudices (physiques et psychologiques, économiques) et de les côter (mettre une notation, le plus souvent sur une échelle de 1 à 7).
C’est notamment sur la base du rapport d’expertise que pourront être calculés les montants venant en réparation des différents préjudices constatés. L’expertise est donc, on le comprend, une étape décisive pour l’avenir de la victime d’accident.

- La Nomenclature Dintilhac.

Une nomenclature répertoriant de manière non limitative mais assez complète tous les postes de préjudices possibles fait désormais autorité chez l’ensemble des acteurs de la réparation des dommages corporels. C’est la nomenclature Dintilhac (du nom de son auteur). Etablie en 2006, elle s’est progressivement imposée comme outil de classification :

- Des préjudices patrimoniaux (économiques)
- Des préjudices extra-patrimoniaux (non économiques)
- Des préjudices temporaires (avant consolidation)
- Des préjudices permanents (après consolidation)

Cette nomenclature concerne les victimes directes mais aussi les victimes indirectes de l’accident (c’est-à-dire l’entourage) qui sont susceptibles d’être indemnisées au titre, par exemple, du préjudice d’affection.

L’adoption généralisée de cette nomenclature par les acteurs de l’indemnisation a incontestablement constitué un progrés notable : en réduisant la part d’arbitraire, les inégalités de traitements entre victimes, les possibilités d’éluder tel ou tel poste de préjudice.

BON À SAVOIR Le principe juridique de la réparation intégrale individualisée des préjudices fait obstacle à l’usage de tout barème. En effet, aucune indemnisation forfaitaire, aucun tableau d’indemnisation ne devraient exister. Il s’agit de replacer la victime dans l’état où elle se trouvait avant l’accident, en tenant compte de « tout le dommage, rien que le dommage, de sa réparation sans perte ni profit ».
Cela signifie qu’un même dommage corporel peut parfaitement ne pas avoir le même retentissement chez deux victimes. Leur indemnisation pourra ainsi différer selon les conséquences sur leur vie. L’individualisation est donc un impératif juridique et la seule démarche éthique possible.

- Le recours par la victime à un médecin de victimes et à un avocat.

Peu de victimes le savent, mais il est possible - et toujours préférable - de ne pas laisser l’assurance conduire l’ensemble du processus d’indemnisation. En effet, la compagnie d’assurance, en tant qu’entreprise à but lucratif, préserve d’abord ses propres intérêts en essayant de contester la reconnaissance de vos préjudices et/ou de minorer leur évaluation afin de diminuer leur réparation...

La loi prévoit pourtant que toute victime d’accident corporel puisse faire appel, pour la défense de ses intérêts, à un médecin de victime et à un avocat en droit du dommage corporel. C’est là le choix le plus raisonnable.
Il importe de comprendre que le sujet de la réparation des préjudices corporels est particulièrement technique, et que la loi impose à toute victime de prouver l’existence de ses préjudices. L’évolution de la jurisprudence, le caractère hautement technique du droit du dommage corporel, la fragilité psychologique de la victime sous le choc, les manœuvres systématiques des assurance pour indemniser au rabais les victimes sont autant de raisons de ne pas rester seul(e) face à l’assureur.

- Le médecin de victimes : Il devra être indépendant des compagnies d’assurance. Il a vocation à préparer l’expertise médicale par un examen clinique de la victime. Il sollicite des examens complémentaires pour établir la réalité médicale des handicaps à faire valoir. Il accompagne la victime à son expertise pour faire contrepoids à l’expert de la compagnie d’assurance. Il prend attache avec l’avocat pour évoquer les particularités médicales du dossier. Il est un allié précieux de la victime.

BON À SAVOIR : Les frais du recours du médecin de victimes sont, dans les cas d’accidents de la route, intégralement pris en charge par la compagnie d’assurance.
Dans les autres cas, la victime a la possibilité d’un prise en charge au titre de la défense recours figurant généralement dans son contrat d’assurance.

- L’avocat de la victime : Il est tout aussi essentiel que le médecin de victime avec lequel il collabore. Pour accompagner la victime efficacement, l’avocat de la victime d’accident procède à un examen de la situation personnelle de son client :
- État séquellaire du fait de l’accident
- Situation professionnelle
- Situation conjugale
- Mode de vie
- Revenus
- État de santé antérieu …

L’avocat a mission de rassembler tous les éléments de preuve et d’établir l’ensemble des conséquences de l’accident sur toutes les dimensions de la vie de la victime : vie sociale, vie professionnelle, vie privée, loisirs, situation économique… etc. Il est présent aux expertises et travail de concert avec le médecin de victime. Mandaté par la victime, l’avocat prend le relais de celle-ci pour tous les échanges avec les différents acteurs de son indemnisation. Il déjouera les pièges communément tendus par l’assureur et conduira la négociation financière portant sur les montants indemnitaires. Il est donc un négociateur éclairé veillant à la défense des intérêts financiers de son client. Il prendra soin notamment à ce qu’aucun des 22 postes de préjudices compris dans la nomenclature Dintilhac ne soit éludé ou minoré.

Bon à savoir : Seules 10% des victimes ont l’idée de s’entourer d’un avocat et d’un médecin-conseil à la suite de leur accident.

IV. La voie amiable et la voie judiciaire.

A la suite de l’expertise médicale, la victime ou son avocat engagent une négociation amiable. Elle est à privilégier pour les raisons suivantes :
- Elle est rapide.
- Elle est moins onéreuse.
- Elle n’interdit pas d’aller devant le tribunal en cas de désaccord.

La négociation amiable peut porter sur les conclusions du rapport d’expertise (à partir duquel on calcule les dommages et intérêts). Elle porte aussi sur les montants alloués à la victime. Elle peut donner lieu à des mois de tractation.

Si la négociation amiable ne débouche pas, il demeure possible d’engager une procédure judiciaire. Elle n’est toutefois pas toujours avantageuse pour la victime pour les raisons suivantes :
- La victime doit payer les frais de justice : frais d’huissier, frais d’avocat, frais de l’expert judiciaire.
- Elle doit se soumettre au calendrier de procédure imposé par le juge.
- Elle n’exclut pas un appel de la partie adverse...
Très concrètement, les lenteurs actuelles de la justice conduisent à des liquidations pouvant prendre plusieurs années.

V. La rente ou le capital.

Par principe, la victime est libre de choisir une indemnisation sous forme de rente ou de capital. Ce choix se pose pour le préjudice professionnel, la perte de gains professionnels futurs, pour l’assistance tierce personne, les frais d’institutionnalisation (pour les grands accidentés), la perte de revenus des proches…

Pour les adultes, on privilégie logiquement le capital. On laisse ainsi à la victime le libre choix du placement de son argent. Le capital n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu, en dehors de bénéfices qu’il est susceptible de générer en étant placé.

Pour les enfants et les jeunes adultes, on privilégie plutôt la rente afin d’éviter toute convoitise de l’entourage. Les Juges admettent facilement le versement d’un capital pour les adultes, mais ils ont tendance à privilégier la rente pour les mineurs et jeunes adultes.

La rente pose tout de même plusieurs difficultés :

- Elle ne rentre pas dans la succession en cas de décès de la victime (bénéfique pour l’assurance).
- Elle ne suit pas l’inflation monétaire et se déprécie donc avec le temps.
- La victime percevant une rente peut se voir refuser l’allocation adulte handicapé ou la CMU puisque ces aides sont soumises à condition de ressources.
- La rente est parfois soumise à l’impôt.

La sagesse commande donc, quand cela est possible, de mixer intelligemment rente et capital.

Maître Joëlle Marteau-Péretié, Avocate en Droit du dommage corporel