Village de la Justice www.village-justice.com

Reconnaissance du harcèlement moral subi par un joueur de football professionnel. Par Camille Bonhoure, Avocat.
Parution : vendredi 10 mars 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/reconnaissance-harcelement-moral-subi-par-joueur-football-professionnel,45459.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans un arrêt attendu du 1er mars 2023, la Cour d’appel de Paris a condamné un club de football professionnel en raison du harcèlement moral subi par l’un de ses joueurs.

1) Les faits et la procédure.

Le joueur de football professionnel avait été engagé à compter du 1er juillet 2016, sous contrat à durée déterminée jusqu’au 30 juin 2018.

Il estimait notamment avoir été victime d’une mise à l’écart injustifiée des compétitions sportives, caractérisant un manquement du club à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail, ainsi que d’un harcèlement moral de son employeur.

A cela s’ajoutait le non-paiement de deux jours travail du fait d’une absence liée à son état de santé, engendrant également le non-paiement d’une prime « éthique ».

Débouté de ses demandes devant le Conseil de prud’hommes de Paris, il a interjeté appel du jugement du 16 décembre 2019.

2) Mise à l’écart justifiée du joueur de football professionnel des compétitions sportives.

Le joueur professionnel reprochait notamment à son ancien club de l’avoir mis à l’écart, suite à un échange avec le propriétaire du club au cours duquel il aurait fait une « remarque amusée » sur le fait « qu’il était difficile de joindre son Président pour évoquer sa situation sportive ».

Suite à cet échange, le joueur n’avait plus jamais été sélectionné lors des différents matchs de l’équipe.

Il estimait à ce titre que le club avait manqué à son obligation

« de mettre en œuvre l’ensemble des moyens destinés non seulement à maintenir son capital physique, ses capacités techniques, tactiques et mentales, mais encore à les améliorer ».

Le club estimait quant à lui que l’absence de sélection du joueur lors des matchs ne caractérisait pas une mise à l’écart dès lors que cela était justifié par le fait que le joueur était arrivé en début de saison « en mauvaise forme, qu’il avait pris beaucoup de poids, et manquait d’implication à l’entraînement ».

Le club justifiait également d’avoir eu durant cette période des joueurs dont les statistiques de buts étaient « largement supérieures » à celles de l’appelant.

La Cour d’appel de Paris, sur la base de diverses dispositions du Code du sport, de la Charte du Football Professionnel et de la Convention Collective du Sport, a tout d’abord rappelé que le club de football n’est nullement tenu de faire participer le joueur lors des matchs, mais uniquement de lui « permettre de s’entrainer dans les meilleures conditions, afin de préserver l’ensemble de ses capacités sportives ».

Les juges ont ainsi soulevé que, malgré l’absence de participation du joueur aux matchs, il avait toujours pu s’entrainer avec les autres joueurs dans les installations du club.

La Cour d’appel de Paris ne relevant aucun abus, ou au motif discriminatoire, dans l’absence de participation du joueur aux matchs, elle l’a ainsi débouté de sa demande d’exécution déloyale du contrat de travail.

3) Reconnaissance par la Cour d’appel de Paris du harcèlement moral subi par le joueur de football professionnel.

Afin de caractériser le harcèlement moral dont il s’estimait victime, le joueur s’appuyait sur divers agissements, reconnus par la Cour d’appel de Paris comme laissant supposer l’existence de faits de harcèlement moral.

- Non-paiement d’une partie du salaire du joueur en décembre 2017.

Suite à un problème de santé le 20 décembre 2017, le joueur s’était rendu à l’hôpital, accompagné d’un membre du staff médical du club.

Il avait ensuite été acté avec le staff médical qu’il ne se rendrait pas à un stage de présentation à Doha, le voyage devant se faire le soir-même.

Le joueur avait ainsi été absent les 21 et 22 décembre 2017, sans pour autant qu’un arrêt de travail soit prescrit.

Estimant qu’il relevait des missions de l’équipe médicale l’ayant accompagné de s’informer auprès des médecins s’il était en mesure de voyager, et face à l’absence de demande expresse du club de participer au stage, la Cour d’appel de Paris a retenu que les absences du joueur étaient justifiées.

Outre la condamnation du club à un paiement de rappels de salaires et de prime « éthique », la Cour d’appel de Paris a également considéré que ces faits étaient susceptibles de caractériser des agissements de harcèlement moral.

- Eviction injustifiée à la dernière minute d’un stage de préparation en juillet 2017.

Ensuite, le joueur reprochait à son ancien club de l’avoir évincé à la dernière minute d’un stage de préparation aux Etats-Unis en juillet 2017.

Il était ainsi resté seul à s’entraîner, ou avec deux joueurs en partance.

Cet élément de fait n’était, semble-t-il, pas contesté par le club, caractérisant ainsi selon la Cour d’appel de Paris un agissement de harcèlement moral.

- Entraînement du joueur avec une équipe de niveau inférieur.

Par la suite, il a été demandé au joueur de s’entraîner avec une équipe du club de niveau inférieur (National II) et ce n’est que suite à la saisine de la commission juridique de la Ligue de Football Professionnel qu’il a réintégré le groupe de joueurs professionnels.

Si le club rappelait que l’article 507 de la Charte du football ne s’opposait pas à cette pratique, la Cour d’appel de Paris a, semble-t-il reconnu que cet agissement était abusif dès lors que ce n’était que l’intervention de la commission juridique qui y avait mis un terme.

Partant, cet évènement devait être considéré comme laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.

A ces différents évènements s’ajoutait également la non-sélection du joueur sur la liste de ceux susceptibles de participer à la Ligue des Champions, malgré une place disponible, ainsi qu’un avertissement qui lui avait été notifié pour avoir publié une photographie prise dans les vestiaires en compagnie d’un tiers au club.

La Cour d’appel de Paris retient enfin qu’il est « manifeste que le but était d’inciter monsieur X à quitter le club avant la fin de son contrat, et à accepter d’autres propositions », le club reconnaissant d’ailleurs que « le joueur a fait le choix de rester, alors qu’il avait été clairement indiqué qu’il serait préférable qu’il rejoigne un autre club ».

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’appel de Paris a considéré que le joueur avait été victime de harcèlement moral, le club ne justifiant à son sens d’aucune raison objective et étrangère à tout harcèlement moral de ses agissements.

A ce titre, elle a condamné le club à un euro symbolique, tel que demandé par le joueur.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris n’est toutefois à ce jour pas définitif, le club de football disposant d’un délai de deux mois à compter de sa signification pour former un pourvoi en cassation.

Affaire à suivre … ?

Camille Bonhoure Avocat à la Cour Selarl Frédéric Chhum Avocats www.chhum-avocats.com

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).