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Règlements anti-Airbnb : quelles voies de recours ? Par Anne-Andréa Vilerio, Avocate.
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Parution : mercredi 12 avril 2023
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En 2019, l’annonce du partenariat conclu entre le Comité International Olympique (le « CIO ») et Airbnb pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, avait suscité une importante levée de boucliers à la mairie de Paris. Si la situation avait été apaisée par la garantie donnée par le CIO de privilégier les hôteliers traditionnels, la municipalité n’a pas pour autant décidé de se montrer plus clémente envers les loueurs de meublés de tourisme.
Il semblerait qu’à l’approche des Jeux, la mairie de Paris ait décidé de réduire drastiquement le nombre d’autorisations de location de logements et de locaux commerciaux en meublés de tourisme, au point de ne plus en accorder aucune.
Dès lors, celle-ci a institué un règlement de changement de destination des locaux d’habitation particulièrement restrictif. Elle a entendu faire de même pour les changements de sous-destination au sein de la catégorie des locaux commerciaux, dont relèvent les meublés de tourisme.
Or, la légalité du Règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme (le « Règlement ») pose question et il n’est pas dit qu’il tienne bon face au juge de l’excès de pouvoir. D’ailleurs, ces dernières années, celui-ci n’a pas hésité à annuler d’autres règlements « anti-Airbnb » qui imposaient des restrictions excessives [1].
Les meublés de tourisme sont définis comme des « villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois » [2].
Ces constructions appartiennent à la destination « commerce et activités de service » et à la sous-destination « hébergements touristiques », au sens de l’article R151-28 du Code de l’urbanisme.
Or, par principe, les simples changements de sous-destination, à l’intérieur d’une même destination, ne sont soumis à aucune formalité.
Toutefois, la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique du 27 décembre 2019 permet aux communes de soumettre à autorisation la location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme [3].
Cette autorisation de changement de sous destination peut être accordée à la suite d’une simple déclaration préalable de travaux ou, lorsque le changement s’accompagne de travaux significatifs (modification de la structure porteuse ou de la façade, ou augmentation de la surface de plus de 20m2), à l’occasion de la délivrance d’un permis de construire.
Aussi, les modalités d’application de ce dispositif ont été précisées par un décret d’application n° 2021-757 en date du 11 juin 2021.
C’est dans ce cadre que la mairie de Paris a publié, le 18 janvier 2022, le Règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme.
Ainsi, l’article 2 du Règlement expose les conditions de délivrance de l’autorisation suivantes :
Dans un premier temps, il convient de relever que les critères posés sont relativement vagues.
Aussi, contrairement au Règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations applicables du 6 janvier 2022, ce Règlement n’est pas assorti d’annexes permettant d’apprécier la rupture d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ainsi que les potentielles nuisances pour l’environnement urbain.
En réalité, il semble s’agir moins d’une grille d’analyse objective à disposition de l’administration et des administrés, que d’une base juridique floue dont s’est dotée la commune pour couvrir sa politique anti-Airbnb.
Ainsi, ce Règlement paraît en tous points illégal et contraire au droit de l’Union Européenne (UE).
D’ores et déjà, il convient de préciser que la Cour de justice de l’Union européenne, dans un litige opposant la ville de Paris à Airbnb, a jugé le 22 septembre 2020 que les réglementations nationales relatives à des activités de location de meublés de tourisme relevaient du périmètre de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur [4].
Aussi, la cour considère qu’il appartient au juge d’apprécier la conformité de la réglementation locale aux objectifs de cette Directive [5].
Dans ce cadre, le juge administratif français a récemment suspendu des règlements semblables à celui de la ville de Paris pour non-respect de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, ceux-ci étant soumis au régime d’autorisation de l’Union Européenne.
Plus précisément, l’article 9 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, dispose que :
« 1. Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies : a) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ; b) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ; c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle […] ».
En outre, l’article 10 prévoit que :
Or, il convient de noter que la Commission Européenne a eu l’occasion de préciser le critère de proportionnalité imposé, au travers de sa communication relative à l’application de la Directive en matière d’accès aux professions.
Ainsi, elle explique que :
« Lorsqu’un motif d’intérêt général rend pertinente la réglementation de l’accès à une profession, les États membres sont également invités à examiner la forme et le niveau de réglementation en vue de supprimer les restrictions et barrières injustifiées. […] Dans certains cas, il pourrait être possible de revoir le cadre réglementaire sans compromettre l’objectif recherché, par exemple en réduisant le champ des activités réservées, ou en choisissant des approches moins restrictives » [6].
En tout état de cause, la Commission rejette les régimes généraux d’autorisation et invite à adapter le cadre règlementaire au cas par cas.
Or, c’est notamment en raison de l’hétérogénéité des situations et des spécificités des différents arrondissements que la loi prévoit l’adoption de règlements constitués de dispositifs propres, permettant un équilibre entre liberté d’entreprendre et protection urbanistique [7].
Aussi, la ville de Paris a maintes fois démontré qu’elle avait la capacité d’édicter des règlements propres à chaque secteur, voir à chaque rue (par exemple le PLU ou encore le règlement terrasses et contre-terrasses pour les restaurateurs en date du 11 juin 2021).
Toutefois, l’appréciation du respect des objectifs fixés à l’article 2 du Règlement ne saurait être regardé comme permettant une prise en compte des spécificités locales.
En outre, concernant la nécessité de critères clairs et non ambiguës, les conditions d’autorisation relatives à la densité de l’offre hôtelière, commerciale ou encore à la densité de meublés touristiques, ne sont assorties d’aucun indicateur de référence, d’aucun seuil, ni d’aucun mode de détermination.
De même, aucun critère concret ne permet de déterminer ce qui serait susceptible de rompre l’ « équilibre entre emploi, habitat, commerces et services » en question.
En tout état de cause, ce sont davantage des « objectifs » que des critères qui sont énoncés par le présent Règlement. Pourtant, l’article 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, l’article L631-7-1 du Code de l’habitation et le R324-1-5 du Code du tourisme, exigent la définition préalable de critères, répondant eux-mêmes à des objectifs, avec lesquels ils ne se confondent pas.
Au surplus, les conditions énoncées par le Règlement sont alternatives et n’encadrent en rien le pouvoir d’appréciation de l’administration.
Dès lors, celle-ci peut, arbitrairement et en l’absence de tout motif objectif et prédéfini, invoquer le dépassement d’un seuil obscur, qu’elle aura elle-même fixé, afin d’en justifier toutes ses décisions de refus d’autorisation.
Ainsi, de tels refus de la ville de Paris sont appelés à se multiplier à l’approche des JO et ce n’est probablement qu’une question de temps avant que le juge administratif ne se prononce sur la légalité de ce Règlement.
Anne-Andréa Vilerio, Avocate en droit public au barreau de Paris Fleurus Avocats[1] Le Règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme en application de l’article L324-1-1 du code du tourisme, adopté le 15/12/2021 par le Conseil de Paris et publié au Bulletin Officiel de la Ville de Paris le 18/01/2022.
[2] Article L324-1-1 du Code de tourisme.
[3] Article 55 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique codifié à l’article L324-1-1, IV bis du Code du tourisme.
[4] CJUE, gr. ch., 22 sept. 2020, aff. C-724/18 et C-727/18, Cali Apartments SCI et H.X c/ Ville de Paris.
[5] CJUE, 26 septembre 2018, Van Gennip BVBA e.a, n° C-137/17.
[6] Document de la Commission COM (2013) 676 final du 2 octobre 2013.
[7] Article R324-1-5 du Code du tourisme.
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