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L’oubli d’une compresse dans l’abdomen du patient. Par Caroline Fontaine-Beriot, Avocat.
Parution : mercredi 19 avril 2023
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Comment indemniser l’oubli d’un objet étranger dans le corps du patient ?

L’oubli d’un corps étranger dans le corps du patient à l’occasion d’une opération chirurgicale n’est pas exceptionnel.

Quand bien même l’opération chirurgicale aurait été réalisée dans un cadre d’urgence, parfois d’hémorragie, il appartient au chirurgien de compter ses compresses et vérifier son matériel avant de suturer le corps de son patient.

La jurisprudence offre régulièrement des hypothèses d’oubli de corps étranger.

Il s’agit d’une faute technique du chirurgien qui engagera sa responsabilité et probablement celle de la clinique privée, si l’opération était réalisée dans ce cadre ou bien la responsabilité de l’hôpital public, dans la seconde hypothèse.

En effet, au visa de l’article L1142-1 alinéa 1 du Code de la santé publique, est consacré le principe de responsabilité pour faute des

« professionnels de santé, ainsi que tous établissements, organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».

Certes, il appartient à la victime d’établir l’oubli du corps étranger. Cela sera fait par voie d’expertise médicale.

Les professionnels de santé et plus particulièrement les médecins sont tenus de donner à leur patient « des soins conformes aux données acquises de la science ».

La responsabilité du praticien hospitalier sera engagée pour faute technique qui résulte d’une méconnaissance des règles de l’art et s’apprécie par comparaison entre ce qui a été fait et ce qui aurait dû être fait.

Elle tient essentiellement à une inattention, une imprudence ou encore une négligence lors du traitement, de sa mise en œuvre ou de la surveillance du patient.

Evidemment, l’oubli d’un objet dans le corps du patient est contraire aux règles de l’art et témoigne d’une très grosse négligence du chirurgien, quand bien même l’opération chirurgicale a été menée dans des conditions d’urgence notamment d’hémorragie.

L’hôpital militaire de Percy a été condamné à indemniser un patient dans lequel une compresse avait oublié dans l’abdomen, selon jugement du Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise du 14 mars 2022.

La compresse a été découverte et ôtée 20 ans plus tard à l’occasion d’une autre opération chirurgicale. Cela a mis fin aux douleurs chroniques endurées par le patient depuis 20 ans.

La Cour Administrative d’Appel de Lyon a, selon arrêt du 02 avril 2020, condamné l’hôpital pour une compresse oubliée sur un patient âgé de 20 ans et retiré 15 ans plus tard.

La Cour Administrative d’Appel de Lyon a, selon arrêt du 29 mai 2019, condamné l’hôpital à indemniser une patiente pour une compresse laissée à la suite d’une opération et retirée 24 ans plus tard, responsable de douleurs pelviennes durant toutes ces années.

La Cour Administrative d’Appel de Douai a condamné l’hôpital, selon arrêt du 26 mai 2020, pour une compresse oubliée dans l’abdomen d’une patiente et retirée 28 ans plus tard, ayant laissé des séquelles à la patiente qui s’est vue fixer un taux déficit fonctionnel permanent de 25%.

La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a, dans un arrêt du 08.06.2021, indemnisé une patiente pour une compresse oubliée et retirée 4 jours plus tard.

Le Tribunal Administratif de Paris a, selon jugement du 09.12.2022, condamné l’hôpital pour un corps étranger oublié lors d’une opération chirurgicale dans l’abdomen de la patiente, découvert et enlevé quelques mois plus tard. Mais à l’occasion de l’intervention chirurgicale destinée à ôter l’objet, la patiente avait subi de graves complications.

Dans de nombreux dossiers, les patients ont vécu avec un corps étranger pendant de très nombreuses années ayant été victimes de douleurs et différents stigmates pendant parfois plus de 20 ans, sans arriver à en découvrir l’origine.

C’est souvent l’imagerie ou bien une nouvelle intervention chirurgicale qui permet de découvrir l’existence de ce corps étranger.

La difficulté est d’arriver à faire quantifier les différents préjudices lors de l’expertise médicale.

Les experts sont trop souvent très rigides sur la notion de déficit fonctionnel temporaire et les préjudices sont parfois difficile à établir avec certitude sur 15 à 20 ans en arrière.

Le parcours médical des patients durant toute cette période sera souvent tâtonnant puisque leurs doléances de douleurs donneront lieu à des anti douleurs, mais les investigations médicales n’auront permis de mettre en avant aucune pathologie.

L’incidence professionnelle est également difficile à établir car les nombreuses fatigues et arrêts de travail, le cas échéant, souffriront souvent d’un problème de preuve d’un lien certain et direct entre l’oubli du corps étranger et les contraintes et douleurs subies des décennies ou des années durant ayant amputé les possibilités d’évolution professionnelle.

La préparation de l’expertise est fondamentale car il faudra tenter d’étayer préjudice par préjudice la réalité du dossier.

Dans le dossier du TA de Paris, l’expert médical avait reconnu un DFT de 25% pendant les quelques mois où le champs opératoire été resté dans le corps de la patiente.

Dans le dossier du TA de Cergy pontoise, l’expert médical avait fixé un DFT de 10% pendant 20 ans, augmenté à 25% à l’occasion de souffrances accrues ayant donné lieu à l’opération chirurgicale qui a permis de découvrir la compresse et un DFT de 100% pendant la période d’opération chirurgicale et d’investigation.

Le poste souffrances endurées peut également faire l’objet d’une attention particulière en expertise.

Il a été fixé à 2,5/7ème pour des souffrances subies pendant 20 ans dans le dossier de Cergy Pontoise, à 3,5/7ème pour une sonde oubliée sur un enfant opéré à la naissance et retiré 1 mois et demi plus tard, à 2,5/7ème pour une compresse laissée dans l’abdomen d’une patiente et retiré 24 ans plus tard et à 5/7ème pour une compresse oubliée chez un homme de 20 ans et retirée 15 ans plus tard.

Caroline Fontaine-Beriot Avocat au barreau d'Aix en Provence

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