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L’escroquerie, la quintessence du droit pénal fiscal. Par Antoine Reillac, Avocat.
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Parution : mercredi 26 avril 2023
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L’escroquerie en matière fiscale recouvre la situation où l’administration fiscale est elle-même victime d’escroquerie, c’est-à-dire qu’un agent de l’administration va être trompé par des manœuvres frauduleuses qui vont le pousser à remettre des fonds à un tiers.
Cette infraction est au cœur du droit pénal fiscal car elle met en œuvre des règles pénales qui s’appliquent sur la matière fiscale.
Lorsqu’on évoque le droit pénal fiscal, on pense souvent à l’infraction de fraude fiscale qui a un champ d’application très large.
Toutefois, l’escroquerie est également relativement utilisée par les autorités de par ses spécificités et les facilités de répression qu’elle présente.
Par ailleurs, contrairement à la fraude fiscale qui est incriminée dans le Code général des impôts [1], l’escroquerie en matière fiscale résulte, comme le blanchiment, des dispositions de droit commun prévu dans le Code pénal [2].
A la lecture de cet article qui a vocation à présenter les spécificités fiscales de l’escroquerie, les pénalistes et les fiscalistes y trouveront peut-être de quoi éclairer leurs pratiques respectives.
L’escroquerie en matière fiscale est le plus souvent utilisée en cas de manquements concernant la TVA mais également l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu avec notamment la revendication de crédits d’impôt.
Ainsi, les applications courantes sont les dossiers d’escroqueries à la TVA de type carrousel, les fraudes à la TVA sur la marge, ou encore les escroqueries au crédit impôt recherche.
Selon l’article 313-1 du Code pénal,
« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».
C’est cette définition qui s’applique mutatis mutandis dans les hypothèses où l’administration est victime d’escroquerie avec un élément matériel et un élément intentionnel.
1.1. Élément matériel de l’escroquerie fiscale.
L’élément matériel de l’escroquerie nécessite la réalisation de deux actes :
1.1.1. Manœuvres frauduleuses.
Classiquement, les manœuvres frauduleuses sont généralement un acte mensonger.
Toutefois, le mensonge en soit n’est pas répréhensible [3]. Celui-ci n’est répréhensible que s’il est appuyé par un fait extérieur.
Dans le cas de l’escroquerie fiscale, les faits extérieurs constitutifs de l’escroquerie peuvent être notamment :
Ces manœuvres doivent encore être suivies d’une remise de fonds pour constituer l’infraction, c’est-à-dire par le versement d’une somme au contribuable (un crédit de TVA par exemple) par l’administration fiscale.
1.1.2. Remise d’un bien, de fonds ou de valeurs.
En matière fiscale, la remise au sens de l’escroquerie interviendra généralement sous la forme suivante :
Cette dernière hypothèse a soulevé des difficultés dans la jurisprudence car l’imputation sur la TVA due ne constitue pas en soi une remise manuelle de la chose comme le voudrait la tradition civiliste. En effet, l’administration ne remet pas matériellement les fonds au contribuable. L’opération n’a pour effet que de réduire le montant de TVA due par le contribuable.
Toutefois, la jurisprudence a tranché dans un sens en faveur de la répression.
En effet, la Cour de cassation a notamment jugé que le délit d’escroquerie était constitué dans l’hypothèse où un prévenu s’est fait remettre par le Trésor public, sous forme d’imputations scripturales valant remise d’espèces, décharge d’une partie de la TVA dont il était redevable [4].
1.2 Élément intentionnel.
L’escroquerie est une infraction intentionnelle qui suppose que la personne utilise volontairement des moyens frauduleux pour conduire l’administration à lui remettre la chose convoitée.
Le ministère public devra démontrer que les manœuvres frauduleuses ont été pratiquées dans le but de persuader l’administration fiscale de l’existence d’un crédit fictif de TVA ou d’un autre impôt, et l’inciter au remboursement.
Les manœuvres doivent avoir déterminé la remise ou la tentative de remise de fonds.
La tentative d’escroquerie est réprimée par l’article 313-3 du Code pénal. La tentative est punie au même titre que le délit lui-même.
Il peut s’agir de l’hypothèse où une personne aura fait une demande de remboursement (commencement d’exécution) qui n’aura pas abouti à une remise.
3.1. Compétence du ministère public.
Le ministère public est la seule autorité à pouvoir exercer l’action publique.
Contrairement au délit de fraude fiscale, la mise en œuvre des poursuites n’est subordonnée ni au dépôt d’une plainte ni à une dénonciation obligatoire comme pour le délit de fraude fiscale [5].
Évidemment, il n’y a pas lieu de recueillir l’avis de la commission des infraction fiscales avant d’engager la procédure judiciaire.
En pratique, l’administration fiscale porte plainte afin de fournir au Parquet les éléments matériels pouvant permettre au parquet de caractériser l’infraction.
De plus, depuis 2015, la judiciarisation de la fraude dite « carrousels TVA » est opérée en amont au moyen d’un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.
D’après la circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale [6], le procureur de la République compétent est celui du lieu de commission de l’infraction, du lieu de résidence ou du lieu de l’arrestation des personnes suspectées [7].
3.2. Prescription de l’action publique.
Conformément aux dispositions de l’article 8 du Code de procédure pénale, l’action publique se prescrit par six années révolues.
Le point de départ du délai de six ans se situe à la date de la consommation du délit, c’est-à-dire :
Dans le cas d’escroqueries complexes avec manœuvres frauduleuses se poursuivant sur une longue période de temps, formant entre elles un tout indivisible, et provoquant des remises successives, la prescription ne commence à courir qu’à partir de la dernière de ces remises [8].
Cette hypothèse se rencontre souvent en pratique, ce qui a pour effet de permettre au ministère public de remonter largement plus de six ans en arrière.
L’action en réparation du préjudice subi par l’État du chef du délit d’escroquerie se fonde sur les dispositions de droit commun du Code de procédure pénale et non pas sur les dispositions de l’article L232 du LPF autorisant l’administration à se constituer partie civile sur ses propres plaintes pour venir au soutien de l’accusation.
La constitution de partie civile est faite au nom de l’État et des dommages-intérêts peuvent être réclamés au tribunal.
Il est en effet de jurisprudence constante que
« les juges du fond ne sauraient rejeter les demandes de l’État fondées sur le préjudice causé au Trésor par un délit d’escroquerie au seul motif que les prévenus peuvent se voir réclamer par les voies propres à l’administration, la réparation du préjudice résultant du délit de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de l’impôt » [9].
Cela étant, le montant des dommages et intérêts à allouer en réparation du préjudice causé par le délit relève de l’appréciation souveraine des juges du fond [10].
La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’un contribuable, déjà condamné pour fraude fiscale en raison de faits « se recouvrant partiellement » avec ceux poursuivis sous la qualification d’escroquerie à la TVA, peut néanmoins être déclaré coupable de ce second délit.
Cette solution apparait à première vue contraire au principe « ne bis in idem ».
Toutefois la Cour de cassation a jugé que, dès lors que les deux infractions comportent des éléments constitutifs distincts, il est possible de poursuivre un prévenu pour des faits d’escroquerie en bande organisée et pour fraude fiscale [11].
Antoine Reillac Avocat associé chez Arfé Avocat Barreau de Paris [->antoiner@arfe-avocats.com][1] CGI, article 1741.
[2] CP, article 313-1 et suivants.
[3] Crim 20 juillet 1960 : Bull crim. n°382.
[4] Cass. crim. 20-1-1976 : RJ n° IV p. 221.
[5] Cf verrou de Bercy.
[6] Circ. FCPE 1412006C du 22-5-2014.
[7] CPP, art. 43.
[8] Cass. crim. 9-5-1972 : Bull. cass. 1972 n° 408, GP 1972-2 p. 81.
[9] Cass. crim. 19-6-1978 n° 73- 92.900.
[10] Cass. crim.19-6- 1978, précité.
[11] Cass. crim. 19-6-2013 n° A 12-82.733.
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