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La loi 3DS n°2022-217 du 21 février 2022 et la prise illégale d’intérêts. Par Arnaud Lucien, Avocat.
Parution : mardi 16 mai 2023
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Les élus sont amenés à siéger dans de nombreuses structures, intercommunales, EPIC, SPA et autres personnes morales de droit public ou de droit privé. Leur responsabilité est régulièrement recherchée. La Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique intervient pour éclaircir les conditions d’exercice des différents mandats d’élus légitimement inquiets.

La Haute Autorité est venue préciser la question des conflits d’intérêts publics pour les élus locaux, à la suite de l’adoption de la loi « 3DS » par la publication de sa doctrine et de tableaux synthétiques [1].

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite loi « 3DS », a créé, à l’article L1111-6 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), un régime juridique général en matière d’appréciation des risques de nature pénale, déontologique et administrative, lorsqu’un élu représente, en application de la loi, sa collectivité au sein d’une personne morale de droit public ou de droit privé. Des règles équivalentes ont été introduites aux alinéas 11 et 12 de l’article L1524-5 du CGCT pour le cas particulier des sociétés d’économie mixte locales et des sociétés publiques locales.

Il est rappelé que l’article L1111-6 ne s’applique que si la participation de l’élu à un organisme extérieur est de nature à générer un conflit d’intérêts. En principe sont exclus la participation aux organes dirigeants d’organismes de droit public chargés d’une mission de service public administratif ainsi qu’à ceux d’une régie de la collectivité, même personnalisée et y compris lorsqu’elle gère un service public industriel et commercial. Ce qui exclut la mesure de déport sauf s’agissant, ce qui relève de l’évidence, de la question de l’éventuelle rémunération de l’élu.

La Haute Autorité a précisé la notion de désignation « en application de la loi au sens de l’article L1111-6 ». La règle posée par l’article L1111-6 doit trouver à s’appliquer non seulement lorsque la loi a expressément prévu la représentation de la collectivité au sein de l’organisme, mais également lorsque l’application de la loi l’implique nécessairement (Délibérations n° 2022-150 et n° 2022-465 de la Haute Autorité).

La règle relative à l’intérêt personnel reste applicable en tout état de cause dans toute sa rigueur.

En droit pénal, c’est notamment l’article 432-12 du Code pénal qui réprime les situations de conflits d’intérêts. Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 432-12 du Code pénal définissait auparavant la prise illégale d’intérêt comme

« le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

Désormais, la notion d’intérêt quelconque a été remplacée il y a seulement quelques mois par « un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » pour toute personne investie d’un mandat électif.

Le cas échéant, il suffit de rapporter que l’élu ait eu, au temps de l’acte, l’administration ou la surveillance de l’affaire dans laquelle il a pris intérêt [2] ; celles-ci peuvent se réduire à de simples pouvoirs de préparation ou de propositions de décisions prises par d’autres [3].

Le terme « d’intérêt » ne fait pas l’objet d’une définition, laissant encore la possibilité à la notion de rester extensive selon l’interprétation qu’en fera le juge.

L’intérêt peut être moral ou matériel. Un lien d’amitié peut suffire à caractériser une prise illégale d’intérêts [4]. Les intérêts doivent être actuels.

Ce que les juges recherchent, relève de l’apparence de conflit d’intérêt, c’est-à-dire qu’il suffit que l’interférence puisse faire naître un doute raisonnable sur l’exercice indépendant, impartial et objectif de la fonction pour qu’un risque de conflit d’intérêts soit identifié.

Enfin, l’intérêt pris n’est pas nécessairement en contradiction avec l’intérêt général [5]. Dans cette dernière décision, la Cour de cassation rappelait que l’infraction était constituée quand bien même les prévenus (un maire, des maires adjoints et des conseillers municipaux) n’avaient retiré de l’opération prohibée un quelconque profit et quand bien même la collectivité n’avait subi un quelconque préjudice, « le dol général caractérisant l’élément moral du délit résulte de ce que l’acte a été accompli sciemment » [6].

Autrement dit, les juridictions se fondent sur les éléments objectifs justifiant une apparence de conflit d’intérêt. L’appréciation subjective que le responsable public porte sur ses intérêts et sur ses capacités à exercer sa fonction de manière adéquate ne rentre pas en ligne de compte pour écarter une situation de conflit d’intérêts.

Maître Arnaud Lucien, Avocat au Barreau de Toulon [->contact@adl-avocat.fr]

[2Crim. 24 oct. 1957, Bull. crim. no 676.

[3Crim. 7 oct. 1976, Bull. crim. no 285 ; Crim. 2 févr. 1988, Bull. crim. no 51, Crim. 27 nov. 2002, no 02-83.092.

[4Crim. 5 avr. 2018, no 17-87.912.

[5Crim. 19 mars 2008, no 07-84.288.

[6Crim. 22 févr. 2017, no 16-82.039.

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