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Application de la loi Littoral à Grayan-et-l’Hôpital. Par Pierre Jean-Meire, Avocat.
Parution : lundi 29 mai 2023
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En un peu plus d’un an, la cour administrative d’appel de Bordeaux a été amenée à rendre huit décisions censurant l’application de la loi Littoral (article L. 121-8 du Code de l’urbanisme) par la commune de Grayan-et-l’Hôpital. La commune va devoir considérablement revoir sa copie.

Située en Gironde, la commune de Grayan-et-l’Hôpital s’est dotée le 20 mars 2012 d’un plan local d’urbanisme afin d’organiser son urbanisation.

Si pendant de nombreuses années, l’application de ce document d’urbanisme n’a pas donné lieu à des difficultés sérieuses, les choses ont considérablement changé au début de l’année 2018, lorsque la Préfète de la Gironde a décidé de s’opposer à des actes d’urbanisme qu’elle estimait contraire à la loi Littoral.

Sur les huit déférés déposés par la Préfète, la cour administrative d’appel de Bordeaux lui a donné raison à huit reprises, à chaque fois en raison du fait que la parcelle en cause, s’insère dans une zone d’urbanisation diffuse au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Après avoir abordé ces jurisprudences (I/.), nous verrons quels recours sont encore possibles pour les propriétaires (II/.).

I/. Application de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

1.

Selon l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

« L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants ».

La jurisprudence a été amenée à préciser cet alinéa en jugeant qu’en vertu de ces dispositions :

« l’extension de l’urbanisation doit se réaliser, dans les communes littorales, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ; qu’il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages » [1].

Enfin, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que l’appréciation de la continuité d’une construction devait être faite au regard de l’ensemble de son environnement et non uniquement au regard des parcelles limitrophes :

« 5. En premier lieu, (…) le tribunal administratif ne s’est pas borné à prendre en compte les constructions situées sur les seules parcelles limitrophes de ce terrain mais a apprécié le respect du principe de continuité, posé par l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, en restiuant, sans dénaturer les pièces du dossier, le terrain d’assiette du projet dans l’ensemble de son environnement. Il s’ensuit que le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit » [2].

2.

La première jurisprudence rendue concerne un terrain situé chemin de Coutéréou [3].

Dans cette affaire, les juges d’appel bordelais ont estimé que le terrain d’assiette n’était pas en continuité avec le centre-bourg de Grayan au motif que sur le chemin du Courtéréou, les constructions étaient peu nombreuses, éloignées les unes des autres et séparées par des parcelles à l’état naturel.

La cour a également retenu que :

« Si les terrains situés de chaque côté de la parcelle sont construits ainsi que deux ou trois autres situés à proximité directe, ce petit groupe de maisons, éloigné des autres constructions, est entouré par des espaces naturels, particulièrement à l’est où il s’ouvre sur un vaste espace boisé, et qu’il ne peut être considéré comme étant en continuité du bourg ».

Au final, la Cour retient que :

« Au regard de ses caractéristiques et de sa localisation, éloignée de plus de 600 mètres du centre du bourg de Grayan dont il est séparé par des espaces à l’état naturel ou boisés, ce terrain n’appartient pas à une partie agglomérée de la commune de Grayan-et-l’Hôpital ».

Une autre décision identique a été rendue sur le chemin de Coutéréou en avril 2023 [4].

3.

Quelques mois après cette première jurisprudence, les juges administratifs d’appel Bordelais se sont une nouvelle fois prononcés sur le cas d’un terrain situé cette fois-ci dans le secteur de l’Hôpital, Chemin de Lou Blanchet.

Là encore, les juges ont estimé que le terrain en cause est situé dans un zone d’urbanisation diffuse en tenant compte du fait que, sur ce chemin :

« ne sont implantées qu’un nombre limité de maisons à usage d’habitation, éloignées les unes des autres et séparées par des parcelles à l’état naturel. Ce terrain est bordé au nord-est par des parcelles non bâties et au nord-ouest par un vaste espace boisé et se trouve à distance des zones plus densément urbanisées situées au nord du chemin Lou Blanchet ainsi que le long de la rue de l’Église et du chemin Loc du Grand Ramon. Ainsi, le terrain en cause doit être regardé comme étant situé dans une zone d’urbanisation diffuse » [5].

4.

Enfin, les juges de la CAA ont rendu six décisions le même jour pour des contentieux à Grayan-et-l’Hôpital, manifestement dans le but de marquer le coup concernant le caractère inapproprié du PLU en vigueur.

Ainsi, une parcelle située chemin de la lande a été jugée en discontinuité car située le long d’un chemin :

« où ne sont implantées qu’un nombre limité de maisons à usage d’habitation, éloignées les unes des autres et séparées par des parcelles à l’état naturel. La parcelle est bordée sur trois côtés par des parcelles boisées et la construction située sur la parcelle contiguë à l’ouest appartient à un groupe de quelques maisons isolées des autres constructions, qui se trouve à distance des zones plus densément urbanisées situées le long de la rue des Bernaches et de l’intersection avec le chemin de la Franque. Aussi, au regard de ses caractéristiques et de sa localisation, éloignée de plus de 500 mètres du bourg de Grayan dont il est séparé par des espaces à l’état naturel ou boisés, ce terrain n’appartient pas à une partie agglomérée de la commune de Grayan-et-l’Hôpital et ne peut être considéré comme étant en continuité du bourg » [6].

La Cour a adopté la même solution concernant un terrain situé chemin de la Franque [7].

Enfin, le hameau de Daugagnan n’est pas en reste puisque les juges ont refusé de reconnaître constructibles, toujours au motif qu’ils sont en discontinuité avec un espace urbanisé, des parcelles situées, chemin de Carougneyre [8], route du Port de Saint-Vivien [9] ou encore chemin de l’Espinglade [10].

Comme il est possible de le constater à la lecture de ces jurisprudences, l’urbanisation de la commune de Grayan-et-l’Hôpital va devoir considérablement évoluée, dans le cadre d’un nouveau PLU.

Les espaces constructibles vont alors significativement se restreindre, comme la commune l’a bien intégré dès lors qu’elle indiquait dans un courrier adressé le 04 décembre 2022 à la Chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine que :

« beaucoup d’espaces nécessaires au développement sont définitivement perdus et des choix compliqués et difficiles s’annoncent pour le patrimoine des grayannais (…). En effet, aujourd’hui les règles d’urbanisme sont devenues très restrictives et freinent considérablement tout développement ».

II/. Quels recours pour les propriétaires.

Face à cette situation, malheureusement pas exceptionnelle, les propriétaires de parcelles doivent agir dès à présent pour faire valoir leurs droits.

1.

La qualification juridique de la continuité d’une parcelle avec un village ou une agglomération s’apprécie au regard de la situation de fait au moment de l’édiction de l’acte d’urbanisme en cause.

Or, cette appréciation peut évoluer avec le temps, notamment si la situation du terrain a changé.

En effet, de très nombreuses constructions ont été autorisées récemment sur la commune de Grayan-et-l’Hôpital.

Entre 2016 et 2021, plus de 150 permis de construire ont été accordés sur cette commune.

Dans cette situation, les nouvelles constructions édifiées depuis un refus d’autorisation ou depuis une décision de justice défavorable, doivent être prises en compte dans une nouvelle appréciation de l’application de la loi Littoral.

Ainsi, des terrains situés avant dans une zone d’urbanisation diffuse, sont peut-être aujourd’hui en continuité avec un espace urbanisé car de nouvelles constructions sont venues les rattacher.

Il est donc envisageable de déposer de nouvelles demandes de permis de construire.

2.

L’autre solution, pour éventuellement régulariser la situation, consisterait à faire identifier des secteurs déjà urbanisés au sens du deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Il s’agira alors d’un processus long et compliqué car il en passera par une révision des SCoT et du PLU.

Par ailleurs, dans les secteurs déjà urbanisés, les constructions possibles ne peuvent être implantées qu’en densification, c’est-à-dire dans le périmètre bâti existant.

Ce critère risque de compliquer les choses pour la commune de Grayan-et-l’Hôpital et devra également donner lieu à des arbitrages difficiles.

3.

Enfin, la meilleure action à mettre en œuvre dans ce type de situation, consiste à engager la responsabilité de la commune.

En effet, du fait de son PLU et d’actes d’urbanisme illégaux, la commune est susceptible d’avoir engagée sa responsabilité pour faute.

Il est alors possible de saisir le jugement administratif pour demander l’indemnisation des préjudices résultants de ces possibles fautes.

La jurisprudence fait fréquemment droit à ce type de recours indemnitaire (voir par exemple notre commentaire sous CAA de Bordeaux 30 novembre 2021 n° 20BX00238, pour la condamnation de la commune de Meschers-Sur-Gironde à verser 93 000 euros à un acquéreur lésé : Terrain inconstructible et loi Littoral : condamnation de Meschers-sur-Gironde.).

Les principaux préjudices retenus sont alors, la perte de valeur vénale du terrain en cause, les frais de notaire payés en trop, les frais de crédit immobilier, ou encore les troubles dans les conditions d’existences.

D’autres préjudices sont par ailleurs invocables en fonction de chaque situation, comme par exemple, en cas d’acquisition dans du terrain dans le cadre d’un partage successoral.

Compte-tenu des délais de jugement de ce type de contentieux et du délai de prescription applicable, il est préférable d’initier, dès que possible, ce type de procédure indemnitaire.

Pierre Jean-Meire, Avocat au Barreau de Nantes Cabinet d'avocat Olex www.olex-avocat.com https://twitter.com/MeJEANMEIRE

[1Conseil d’État, 6ème - 1ère SSR, 09/11/2015, 372531, Publié au recueil Lebon.

[2CE 22 avril 2022 n° 450229

[3CAA de Bordeaux, 1ère chambre, 18/03/2022, 20BX02871, Inédit au recueil Lebon.

[4CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 26/04/2023, 21BX01457, Inédit au recueil Lebon.

[5CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 05/07/2022, 20BX02374, Inédit au recueil Lebon.

[6CAA de Bordeaux, 1ère chambre, 26/04/2023, 21BX01453, Inédit au recueil Lebon.

[7CAA de Bordeaux, 1ère chambre, 26/04/2023, 21BX01456, Inédit au recueil Lebon.

[8CAA de Bordeaux, 1ère chambre, 26/04/2023, 21BX01683, Inédit au recueil Lebon.

[9CAA de Bordeaux, 1ère chambre, 26/04/2023, 21BX01455, Inédit au recueil Lebon.

[10CAA de Bordeaux, 1ère chambre, 26/04/2023, 21BX01454, Inédit au recueil Lebon.