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La Cour européenne vole au secours du secret professionnel de l’avocat. Par Jean Pannier, Avocat
Parution : mardi 9 décembre 2008
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Commentaire de CEDH (5ème section), 24 juillet 2008 : André et autres c. France. Requête n° 18603/03.

La Cour estime que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. D’ailleurs la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions , au mépris de la volonté de l’accusé.

Elle note qu’en l’espèce, dans le cadre d’un contrôle fiscal d’une société cliente des requérants, l’administration visait ces derniers pour la seule raison qu’elle avait des difficultés, d’une part, à effectuer ledit contrôle fiscal et, d’autre part, à trouver des « documents comptables, juridiques et sociaux » de nature à confirmer les soupçons de fraude qui pesaient sur la société cliente.

Compte tenu de ce qui précède, la cour juge que la visite domiciliaire et les saisies effectuées au domicile des requérants étaient, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnées par rapport au but visé.

Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

NOTE DE JEAN PANNIER

Docteur en Droit

Avocat à la Cour de Paris

Nous évoquions récemment les vicissitudes des perquisitions du fisc devant les plus hautes juridictions en insistant sur le fait que la Cour Européenne des Droits de l’Homme se montrait finalement beaucoup plus exigeante que la Cour de cassation qui avait néanmoins, dans un premier temps, sérieusement freiné les ardeurs de l’administration. (1)

Au souci de mieux garantir la liberté des citoyens contre les intrusions des agents du fisc à leur domicile, s’ajoute cette fois la volonté de ne pas laisser s’ouvrir une nouvelle brèche dans le sacro saint principe du secret professionnel de l’avocat qui n’en est certes pas à sa première offensive. La tentation est forte, en effet, pour ces fonctionnaires zélés d’aller à la pêche aux preuves des infractions fiscales là où elles se trouvent c’est-à-dire, le cas échéant, dans les dossiers des avocats des personnes suspectées, ne serait ce que sous forme de notes. C’est ce qui s’est passé dans la présente affaire, les enquêteurs ayant manifestement bénéficié pour leur « fishing expedition » de solides informations sur lesquelles il est préférable de ne pas s’étendre.

1. La procédure.

La loi exige qu’une perquisition dans le cabinet d’un avocat soit effectuée en présence d’un officier de police judiciaire et du bâtonnier de l’Ordre des avocats ou de son représentant qui sont amenés, dans ce genre d’opérations, à vérifier la teneur des documents que les enquêteurs souhaitent consulter pour les emporter. En effet, les documents de l’avocat sont soumis au secret professionnel absolu et ne peuvent faire l’objet d’une saisie. Quoi qu’il en soit, 66 documents furent saisis parmi lesquels des notes manuscrites de l’avocat à propos desquelles furent inscrites des réserves sur le procès-verbal de visite et de saisie.

L’avocat et sa société professionnelle formèrent un pourvoi en cassation dans le délai légal de 5 jours. Ils soulevèrent deux moyens tirés de l’illégalité de la visite et des saisies. Ils indiquèrent notamment que les pièces remises par un client à son avocat et leur correspondance ne peuvent être saisies quand la visite domiciliaire ne vise pas à établir la preuve de la participation de l’avocat à l’infraction. Cette exigence minimale est à comparer avec l’interdiction de faire état des correspondances et surtout des conversations téléphoniques entre un avocat et son client même lorsqu’elles sont enregistrées dans des écoutes légalement autorisées. En pratique, les personnes chargées de transcrire les écoutes pour le juge d’instruction ont l’obligation d’ignorer ces conversations. Le secret de l’avocat se compare aussi au secret de la confession.

Pourtant, la Cour de cassation rejeta le pourvoi le 11 décembre 2002, estimant que le secret professionnel des avocats ne met pas obstacle à ce que soient autorisées la visite de leurs locaux et la saisie de documents détenus par eux, dès lors que le juge a trouvé, dans les informations fournies par l’administration fiscale, les présomptions suffisantes mentionnées dans l’ordonnance ayant autorisé l’opération. On l’avait signalé, la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation fut de très loin moins regardante sur le respect des droits de la défense que ne le fut précédemment la Chambre commerciale initialement chargée de ce contentieux. (1)

Les requérants prirent alors la décision d’invoquer devant la Cour Européenne la violation des articles 6, 8 et 13 de la Convention. Ils se plaignirent de ce que la procédure de visite et de saisie de documents dans leurs locaux professionnels aurait porté atteinte au secret professionnel et au respect des droits de la défense. Ils dénoncèrent également l’absence d’effectivité du pourvoi en cassation comme moyen de se prévaloir des atteintes à leur domicile.

2. Sur le grief tiré de l’absence de contrôle juridictionnel effectif.

Les garanties propres à l’article 6 étant plus strictes que celles de l’article 13 et se trouvant ainsi absorbées par elles, la Cour considère qu’il y a lieu d’examiner le grief tiré de l’absence de contrôle juridictionnel effectif sur le terrain de l’article 6 § 1 uniquement et de vérifier si les requérants ont eu accès à un « tribunal » pour obtenir une décision sur leur contestation.
On a vu récemment que, selon la Cour, la procédure prévue et organisée par l’article L 16 B du livre des procédures fiscales ne répond pas aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. (Aff : Ravon précitée, note 1) La Cour considère en conséquence qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Sur le grief tiré de la violation du secret professionnel.

L’article 8 de la Convention dispose que : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi…
 ».

La Cour rappelle que le terme de « domicile » peut englober, par exemple, le bureau d’un membre d’une profession libérale, notamment d’un avocat (2) .

La Cour considère que si la visite domiciliaire opérée au cabinet des requérants et les saisies effectuées constituent une ingérence telle que prévue à l’article 8 de la Convention (c’est-à-dire dans le respect des textes de loi qui les autorisent et notamment les articles L 16 B du LPF et les articles 56 et 56-1 du code de procédure pénale sur le secret professionnel) on ne peut que constater l’absence de proportionnalité et de nécessité des mesures critiquées dans les circonstances de l’espèce.

La Cour admet que l’ingérence de l’administration fiscale poursuivait « un but légitime » à savoir celui de la défense de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales. Pour autant, précise t-elle, les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante. (3)

La Cour estime que des perquisitions et des saisies de documents chez un avocat portent, par nature, atteinte au secret professionnel qui es t la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client. Elle rappelle que la protection du secret professionnel est le corollaire du droit reconnu au client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui implique que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par contrainte ou pressions. (4)

Au cas particulier, on a bien observé que la visite domiciliaire s’était déroulée en présence du bâtonnier, mais sa présence n’avait pas suffi à empêcher la consultation et la saisie des documents – et spécialement des notes manuscrites du requérant - à propos desquels il avait émis des contestations puisque ce sont à l’évidence des documents personnels soumis par nature au secret professionnel. Ensuite et surtout relève la Cour, la visite domiciliaire avait pour but la découverte chez les requérants, en leur seule qualité d’avocats de la société soupçonnée de fraude, de documents susceptibles de d’établir la fraude présumée de celle-ci et de les utiliser à charge contre elle. A aucun moment les requérants n’ont été soupçonnés d’avoir commis une infraction ou d’être les complices de leurs clients.

En conclusion, la Cour estime que l’administration fiscale a organisé cette opération chez les avocats pour la raison principale qu’elle avait des difficultés à effectuer son contrôle fiscal et à trouver des documents de nature à confirmer ses soupçons de fraude sur leur cliente. Elle juge dès lors que la visite domiciliaire et les saisies effectuées au domicile des requérants étaient dans les circonstances de l’espèce, disproportionnées par rapport au but visé et qu’il y a eu, partant, violation de l’article 8 de la Convention. Analyse forte mais néanmoins classique qui n’aurait pas du échapper à notre Cour suprême dans un domaine aussi sensible que la protection des droits de la défense. On comparera utilement la position en retrait de la Chambre criminelle par rapport à sa jurisprudence très catégorique en faveur du principe de loyauté dans la recherche des preuves. (5)

Quoi qu’il en soit, la Cour européenne a condamné l’Etat français à verser à l’avocat, victime d’une violation reconnue du secret professionnel, une somme de 5.000 euros pour dommage moral ainsi que 10.000 euros conjointement à l’avocat et à sa société professionnelle pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt.

4. Le secret professionnel : obstacle ou garantie ?

On ne saurait conclure ce commentaire sans rappeler que le secret professionnel dérange en ce qu’il constitue, par nature, un obstacle à la transparence. C’est le revers de la médaille.

La profession d’avocat a failli récemment sombrer dans la délation obligatoire (6) par la magie d’une directive de technocrates ces chevaliers des temps modernes qui, on l’a souvent constaté dans les matières financières, sacrifient facilement les principes du droit sur l’autel de leurs objectifs. (7) Sans que leurs certitudes, la chose est plus inquiétante, rencontrent trop de réticences dans les assemblées parlementaires trop souvent clairsemées lorsque sont évoqués de tels sujets.

On ne dira jamais assez à quel point les principes les plus solides peuvent être relégués au rang de pieuses reliques quand la tempête des objectifs s’empare des esprits ; la lutte contre le blanchiment d’argent en est une colossale illustration même si la France, après les réunions du GAFI, a fait longtemps cavalier seul. (8)

Là encore le secret de l’avocat a bien failli y laisser des plumes et il convient de demeurer vigilant puisque « les objectifs » n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. (9)

Si l’on peut formuler une suggestion pour que la vigilance soit plus soutenue qu’elle ne l’est dans le contexte de la technocratie de plus en plus européenne, ce serait de donner un abonnement aux bulletins de jurisprudence de la CEDH à tous les penseurs de Bruxelles. Sans illusion excessive, évidemment, sur les vertus de la documentation. On peut regretter aussi qu’il n’y ait pas plus de magistrats détachés dans les services de la Commission histoire, là encore, de freiner certaines ardeurs technocratiques assez indifférentes aux principes généraux du droit. A force de le dire…

Jean PANNIER (Email)
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris

Commentaire publié à la Gazette du Palais.

(1) « Condamnation par la CEDH des visites domiciliaires en matière fiscale », Village de justice, 13 novembre 2008. Rubrique « Droit fiscal et douanier ». Ravon et autres c. France, 21 février 2008. Req n° 18497/03 et Gaz. Pal. 21-22 mai 2008 p. 18.
A noter que cette décision, comme nous l’avions laissé entendre, n’a pas manqué de susciter une modification législative pour circonscrire l’incendie. On se reportera désormais à l’article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 qui modifie les articles L 16 B du livre des procédures fiscales mais aussi l’article 38 du même code et l’article 64 du code des douanes.

(2) Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, p. 34, § 30, et Roemen et Schmitt c. Luxembourg, n° 51772/99, § 64, CEDH 2003-IV.

(3) Crémieux c. France, arrêt du 25 février 1993, série A n° 256-B, p. 62, § 38, D. 1993, 457 note J. Pannier.

(4) J.B. c. Suisse, arrêt du 3 mai 2001, Recuueil des arrêts et décisions 2001-III, § 64 ; également Funke c. France, arrêt du 25 février 1993, série A n° 256-A, § 44 ; D 1993. 457, note J.Pannier.

(5) Cass. crim. 28 oct. 1991, JCP 1992 II 21952 note J. Pannier

(6) Christian Charrière-Bournazel. L’avocat, l’indépendance et la délation, Gaz-Pal. 28-29 novembre 2007 p. 2

(7) D. Bayet « Obstina Ratio » : le contentieux des changes et la logique du droit, Rev. dr. bancaire 1993, n° 37 p. 111 ; J. Pannier, Du contrôle des changes au contrôle des capitaux, Rev. dr. bancaire 1991, n° 28, p. 204.

(8) Bernard Vatier. A propos du blanchiment d’argent ou Quand l’Etat de droit vacille sous le souffle sécuritaire, Gaz-Pal. 2006 doctr. 3690 ; Jacqueline Riffault, Le blanchiment de capitaux en droit comparé, Rev. sc. crim. 1999, doctr. 231

(9) Transposition de la 3ème directive anti-blanchiment. Cf : Bulletin du barreau de Paris n° 36 contenant la décision rassurante du Président de la République en date du 15 octobre 2008 en réponse à la lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour de Paris)

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