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Rétrospective, perspectives et prospective des avocats : le regard du Président du CNB, Jérôme Gavaudan.
Parution : jeudi 27 juillet 2023
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Le 100e numéro du Journal du Village de la Justice s’ouvre par un entretien avec Jérôme Gavaudan, président du Conseil National des Barreaux, qui s’est prêté au jeu des questions :
« Rétrospective, perspectives et prospective des cabinets d’avocats et de leur écosystème (thème du #JVJ100) : qu’est-ce que cela vous évoque ? ».

Installation et formes d’exercice, recrutement, collaboration, intelligence artificielle, État de droit... Les thèmes liés à l’évolution de la profession et de l’environnement dans lequel elle évolue sont pour le moins nombreux et nous en avons abordé beaucoup. Voici quelques morceaux choisis !

Cette interview est extraite du numéro 100 🎂 du Journal du Village de la Justice intitulé "Rétrospective, perspectives et prospective des cabinets d’avocat et de leur écosystème".

Bonne lecture !

Journal du Village de la Justice : Comment décrirez-vous l’évolution de la structuration et de l’organisation des cabinets d’avocats ?

Jérôme Gavaudan : « Il y a indéniablement eu des modifications importantes de la profession d’avocat, ainsi que de l’organisation et de la vie des cabinets d’avocats. Une évolution à la fois rapide et qui s’est déclenchée dans un temps très court. Je m’explique. L’organisation des cabinets d’avocat et la profession ont toujours évolué. Mais pendant très longtemps (50 ou 60 ans), nous avons fonctionné, peu ou prou, selon des modèles qui étaient assez convenus. Entre ces cinq et dix dernières années, l’évolution des cabinets s’est particulièrement accélérée et ces modèles que nous avons promus, sans doute à raison pendant des années, n’existent plus.

« Entre ces cinq et dix dernières années, l’évolution des cabinets s’est particulièrement accélérée. »

Nous avons beaucoup travaillé sur les structures et les façons de s’associer sur le plan structurel. On s’aperçoit de la limite de la patrimonialisation et nous revenons à une situation que nous avons déjà connue : celle du confrère ou de la consœur qui travaille à titre individuel ou en SCP et qui a du mal, au moment de prendre sa retraite, à valoriser son cabinet et à trouver un successeur. On constate également des limites de l’exercice professionnel en commun et des modifications de l’exercice individuel. Je pense que, quelque part, la fin du Stage a permis – en tout cas autorisé – l’évolution de la profession et l’on constate que l’exercice individuel redevient à la mode, y compris chez les jeunes, avec un modèle qui est remis en cause, le système de la collaboration. »

J.V.J : Les attentes vis-à-vis de l’exercice du métier ont changé, avec des difficultés persistantes de recrutement. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

J. G. : « Comme partout, la période Covid a accéléré ce processus, qui prend ancrage sur des questions générationnelles et l’évolution globale de la société : nos confrères jeunes – plutôt que des jeunes confrères ! – n’envisagent pas l’activité professionnelle comme elle pouvait être envisagée il y a 30, 20 ou même dix ans. Ils et elles font ce métier parce qu’il est beau, parce que c’est du Droit, etc. Ça, ça ne change pas. Mais ils et elles n’en font plus un sacerdoce.
Ils envisagent dès le départ le fait que, peut-être, ils ne seront pas avocat toute leur vie. Ils voient le CAPA comme un examen ouvrant des portes, mais pas forcément la seule porte du Barreau.

« Nos jeunes confrères privilégient effectivement peut-être une qualité de vie meilleure plus qu’une carrière. »

Nos jeunes confrères privilégient effectivement peut-être une qualité de vie meilleure plus qu’une carrière. Nous sommes là sur une rétrospective très rapide (une, deux ou trois années), avec un modèle de collaboration qui est interrogé, d’autant qu’il y a objectivement pénurie de collaborateurs, quelle que soit la structure des cabinets. À nous au CNB de porter la même attention à ces changements et attentes, celles des jeunes et comme celles des moins jeunes. »

J.V.J : Restez-vous optimiste ?

J. G :« Oui, bien sûr ! Parce que dans ces changements, il y a plein d’idées et de choses positives. Typiquement le télétravail, qui paraissait totalement inadapté ou inconcevable et dont on s’est aperçu qu’il était tout à fait possible de le mettre en place facilement, sans répercussion négative sur l’organisation. Les perspectives de la profession sont bonnes et il ne faut pas regretter ces évolutions ou les déplorer. Même si on peut se poser des questions, c’est une profession qui reste attractive, qui a un bon capital de reconnaissance dans le public. La profession va évoluer, mais nous aurons toujours besoin de bons juristes, de bons avocats. »

J.V.J : Quels sont selon vous les prochains enjeux pour la profession ?

J. G.  : « Pour les cabinets, je dirais que c’est : "comment remplir le meilleur service pour leurs clients". Il y a plusieurs enjeux importants ici. Prenons un exemple. Quand le garde des Sceaux lance la politique de l’amiable – et c’est très heureux qu’il le fasse ! –, cela génère une évolution du rôle de l’avocat, qui ne se contente pas d’aller en justice pour essayer de gagner et de ne pas perdre un procès, mais qui accompagne le justiciable dans la résolution de son différend.

Pour nous, au CNB, l’enjeu est évidemment d’accompagner tous ces changements que nous évoquons. De déterminer ce qui peut évoluer, tout en restant solide « sur nos bases ». De permettre que de nouveaux métiers existent ou coexistent au sein de la profession d’avocat, sans pour autant renoncer à nos valeurs d’indépendance, de non-commercialité, de conflit d’intérêts, de secret professionnel. C’est un profond travail de réflexion prospective que nous allons mener. »

J.V.J : La gestion de la concurrence avec les autres professions et acteurs du droit est également un sujet pour l’avenir ?

J. G. : « Oui. Il est vrai aussi que nous sommes en concurrence économique avec d’autres professionnels du Droit. Notre profession doit capitaliser sur le fait essentiel que les avocats sont sans doute parmi les mieux formés en matière de conseil juridique et que, mieux que quiconque, ils ont ce dont d’autres ne disposent pas : la vision de ce que pourrait être un contentieux, de la solution qui pourrait être prononcée par un juge s’il y avait litige.

« Nous ne sommes en concurrence ni affective, ni intellectuelle, ni en concurrence agressive avec les autres professions. »

Cela étant, nous ne sommes en concurrence ni affective, ni intellectuelle, ni en concurrence agressive avec les autres professions. En outre, on voit bien que ce que peuvent apporter les unes ou les autres des professions ou même les associations en matière de conseil. »

J.V.J : Il y a également des sujets plus politiques. La protection des libertés est toujours l’une des « grandes causes » de la profession ?

J. G. : « Si nous devions en mettre une en avant particulièrement pour la profession d’avocat, c’est la sauvegarde de l’État de droit. Pensons au projet de loi actuellement porté par le garde des Sceaux, dans lequel il y a beaucoup de points positifs. Mais il y a deux éléments très perturbants : les interceptions à distance et les perquisitions de nuit. Ça c’est une « grande cause » à défendre par la profession. Les glissements au motif d’efficacité de l’enquête et de la répression ne sont pas nouveaux, mais on grignote toujours plus l’État de droit. Notre grande cause restera toujours, fondamentalement, l’État de droit, les droits de la défense et du citoyen, les libertés publiques. »

J.V.J : Un dernier mot peut-être sur la transformation numérique et sur l’intelligence artificielle en particulier. Comment répondre aux inquiétudes en la matière ?

J. G.  : « Il est vrai que les inquiétudes sont là, à propos de ChatGPT, mais pas seulement. Je veux dire d’abord que personne ne veut se faire substituer par de l’intelligence artificielle. Mais c’est un outil et il faut que la profession s’en empare. Peut-être en être, elle-même, à l’origine ? Vous le savez, je plaide depuis des années pour une grande legaltech indépendante des organes politiques de la profession, mais maîtrisée par eux sur le plan capitalistique.

« Il nous faut tenir nos grands principes et les appliquer à l’IA (...) S’il y a ces garanties- là, pourquoi craindre l’intelligence artificielle ? »

Sur le fond, je crois qu’il ne faut pas en avoir peur. Avec nos principes de profession d’avocat, on doit savoir faire en sorte que ces évolutions technologiques nous soient favorables. Nous sommes loin du « grand remplacement technologique » de la profession et je pense, qu’au contraire, les technologies peuvent faciliter l’exercice professionnel. Il nous faut toutefois tenir nos grands principes et les appliquer à l’IA : l’indépendance, le conflit d’intérêts, la sécurité de l’information que nous donnons, la valeur ajoutée humaine que nous apportons à nos consultations et à notre travail, etc. S’il y a ces garanties- là, pourquoi craindre l’intelligence artificielle ? »

Interview de Jérôme Gavaudan réalisée par A. Dorange Rédaction du Journal du Village de la Justice

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