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![]() Et si toutes les mises en demeure délivrées par l’URSSAF étaient irrégulières ? Par Nicolas Taquet, Avocat et François Taquet, Avocat.
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Parution : mardi 22 août 2023
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Quoique très simple, la mise en demeure est essentielle dans le cadre d’un redressement opéré par l’URSSAF. L’article L 244-2 du Code de la Sécurité sociale précise en effet, que toute action ou poursuite effectuée par l’organisme de recouvrement est « obligatoirement » précédée d’une mise en demeure. De plus, c’est à compter de la mise en demeure que sont calculés les délais de prescription (prescription des cotisations : CSS art. L 244-3 et L 244-11, prescription en matière de recouvrement : CSS art. L 244-8-1 et L 244-11) et que commencent les différentes possibilités de contestation (V. notamment saisine de la commission de recours amiable : CSS art R 142-1).
Certes, la mise en demeure n’est pas un acte de procédure. Elle ne constitue qu’une "invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti" [1]. Il en résulte que ce document n’est soumis à aucun formalisme particulier. D’ailleurs, à l’origine l’article R244-1 de la Code de la sécurité sociale se contentait d’indiquer que l’envoi par l’organisme de recouvrement de la mise en demeure était « effectué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ». Toutefois, étant donné l’importance de ce document, le législateur est intervenu aux fins d’inscrire au sein de l’article L244-2 al 2 du Code de la sécurité sociale que le contenu de la mise en demeure devait « être précis et motivé, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat » [2].
Désormais, le contenu de la mise en demeure peut ainsi être résumé :
▪ La mise en demeure doit inviter le cotisant à régulariser sa situation dans le mois [3]. A défaut de préciser ce délai, la mise en demeure est nulle [4].
▪ Elle doit préciser la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent [5].
▪ Elle doit mentionner au titre des différentes périodes annuelles contrôlées les montants notifiés par la lettre d’observations corrigés le cas échéant à la suite des échanges entre la personne contrôlée et l’agent chargé du contrôle. La référence et les dates de la lettre d’observations et le cas échéant du dernier courrier établi par l’agent en charge du contrôle lors des échanges mentionnés au III de l’article R243-59 figurent sur le document. Les montants indiqués tiennent compte des sommes déjà réglées par la personne contrôlée [6].
On insistera sur le fait que le contenu de ce document « doit être précis [c’est-à-dire exact] et motivé… » [7] et viser donc clairement la cause, la nature et le montant des sommes réclamées [8]. La nature de l’obligation renvoie à ses caractéristiques. Bien qu’aucune définition ne soit donnée de cette notion, on pourrait considérer qu’il s’agit de la « nature des dettes du cotisant » [9].
Or, dans le but de se simplifier l’existence, les URSSAF ont pris l’habitude d’indiquer dans le cartouche correspondant de la mise en demeure des mentions des mentions vagues telles : « Régime Général », avec parfois présence d’un astérisque « Incluses contribution d’assurance chômage, cotisations AGS »... Que valent de telles mise en demeure ?
La méfiance est ici permise !
En effet, le régime général est défini à l’article L200-1 du Code de la sécurité sociale et couvre un certain nombre de risques : maladie, vieillesse, prestations familiales, protection universelle maladie, autonomie… ce qui n’est pas le cas de certaines sommes certes redressées et recouvrées par les URSSAF mais qui ne sauraient relever du Régime Général.
Ainsi en serait-il :
Autant de contributions qui n’ont rien à voir avec le « Régime général ».
Or, les redressements URSSAF comportent dans l’immense majorité des hypothèses une ou plusieurs de ces contributions.
Il est intéressant de constater que tout un pan de la jurisprudence commence à censurer les mises en demeure aux contenus insuffisants ou inexacts, mentionnant « Régime général » alors qu’elles comportent des sommes n’ayant rien à voir avec le « Régime général » [13].
Et l’argumentation est logique. Certes, on peut admettre l’opinion de S.Choppin Haudry de Janvry suivant laquelle la jurisprudence doit éviter de tomber dans l’excès du « formalisme exacerbé » [14]. Toutefois, cette souplesse ne doit pas aller jusqu’à accepter des mises en demeure imprécises, incomplète, voire fausses où le cotisant est dans l’incapacité de comprendre le contenu du document…
D’aucuns soutiendront que peu importe cette mention inexacte puisque les mises en demeure font référence à la précédente lettre d’observations (obligation édictée par l’article R 244-1 alinéa 2 du CSS). On peut toutefois douter de la valeur de cette démonstration… En effet, le fait que le cartouche inexact de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations, ne peut ici être d’aucune aide pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées qui est inexacte.
Le raisonnement visant à invalider la mise en demeure pour insuffisance de contenu est donc sérieux et ce, quel que soit la résistance de certaines juridictions.
Disons le même clairement, cette nouvelle orientation de la jurisprudence est profitable non seulement pour les URSSAF qui se doivent de pratiquer la transparence que pour les cotisants qui sont en droit de comprendre précisément ce qui leur est réclamé.
Reste à savoir à quel moment il convient d’invoquer la nullité de cette mise en demeure. Mais ceci est un autre sujet.
Nicolas Taquet Avocat au Barreau de Pau https://www.taquet-avocats.fr/ [->taquetnicolas@gmail.com][1] Cass soc. 20 octobre 1994. pourvoi n° 92-12570, 12 octobre 1995.pourvoi n° 93-14001 93-14065.
[2] Loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, art. 19.
[3] CSS art. L244-2 al 1.
[4] Cass civ.2°.31 mai 2005. pourvoi n° 03-30658 - 19 décembre 2019. pourvoi n° 18-23623 - 12 mars 2020. pourvoi n° 18-20008 - 7 janvier 2021, pourvoi n° 19-22978 19-23973.
[5] CSS art. R244-1 al 1 V. Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682 : « la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation ; [qu’]à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ».
[6] CSS art. R 244-1 al 2.
[7] CSS art. L 244-2 al 2.
[8] CSS art. R244-1 al 1.
[9] D.Rigaud. Droit et pratique du contrôle URSSAF. Ed Liaisons. 2003. p 166.
[10] Décision du 18 décembre 2014 n° 2014-706 DC.
[11] Décision 90-285 DC du 28 décembre 1990, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000.
[12] Conseil constitutionnel, 16 janvier 1991, n° 90-287 DC - Tribunal des conflits, 7 décembre 1998, n° 212336 - Cass soc. 10 décembre 1998, pourvoi n° 97-13628.
[13] Tribunal Judiciaire de Besançon. Pôle social. 13 juin 2022. RG n° 21/00191 - Tribunal Judiciaire de Lille. Pôle social. 12 juillet 2022. RG n° 20/01497 - TJ Strasbourg. Pôle social. 7 juin 2023. RG n° 22/00515 - Aix-en-Provence. Chambre 4-8. 9 décembre 2022. RG n° 21/08307 21/08204 - Nancy. Chambre Sociale-1ère sect. 2 mai 2023. RG n° 22/00011.
[14] Le contrôle et le recouvrement des cotisations de sécurité sociale dans la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, rapport Cour de Cassation, 1996, p 83.
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En France, il y a aussi “Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom” : l’URSSAF ; jamais un média ne prononcera son nom , car sinon tout le système imploserait .
Or , qu’est-ce que l’URSSAF ? Tout d’abord, lisez ce livre : https://www.larevueparlementaire.fr/articles-revue-parlementaire/3705-francois-taquet-l-urssaf-un-cancer-francais
– une société-mère, l’ACOSS (ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967, art. 48) et 22 filiales de droit privé, ayant la nature juridique de sociétés en participation, faute de statuts (en clair, des ectoplasmes juridiques, dépourvus de toute personnalité morale) ;
– une mise en concurrence avec tous leurs homologues de l’Union Européenne, depuis 2003 ;
– 705 milliards d’€ de cotisations annuelles ;
– 3,5 milliards d’€ de pénalités annuelles, grâce à la déclaration sociale nominative (DSN), télétransmise mensuellement & moulinée par des algorithmes ;
– 90 % des entreprises débusquées par ces algorithmes, donc contrôlées et redressées ; en clair, 90 % de fraudeurs ;
– depuis 1945, la Cour des comptes, après avoir tenté de contrôler la comptabilité des URSSAF, rend un constat de carence, eu égard à son opacité ;
– la moitié des liquidations judiciaires sont provoquées par l’URSSAF ou son homologue agricole, la MSA ;
– 95,35 % des entreprises françaises ont moins de 10 salariés, elles « passent en dessous des radars » et supportent 62,2 % de charges :
[ https://www.juritravail.com/Actualite/qu-est-ce-que-le-rsi-deux-catastrophes-trois-problemes-une-solution/Id/286404 %5D
[ https://www.juritravail.com/Actualite/coulez-le-bismarck/Id/163551 %5D
Ne donnez pas de faux espoirs. Cette argumentation sera retoquée systématiquement en Cassation, même si localement un juge manifeste parfois des velléités d’indépendance. L’URSSAF est un État dans l’État.
Bonjour, jai pu lire qu’en vertu du droit européen, un independant liberal non réglementé pouvait se desafillier de l urssaf et recourrir a des assurances privées d un autre etat membre. Est ce possible ? Merci.