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Ordonnance de protection judiciaire : une mesure d’urgence insuffisante pour traiter la violence dans le couple. Par Francine Summa, Avocate.
Parution : vendredi 15 septembre 2023
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Les ordonnances de protection judiciaire sont devenues un contentieux « ordinaire » sinon banal. Depuis la loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019, le juge aux affaires familiales dispose de mesures contraignantes pour sécuriser la femme et les enfants contre la violence du père ou du compagnon. La séparation du violent est la principale mesure (1) ainsi qu’une pension pour les enfants (2). Il est regrettable que des mesures thérapeutiques pourtant prévues par la loi ne soient pas prises, ce qui fait que la situation de violence reste toujours latente et risque de se répéter comme on le voit trop souvent (3). Cette mesure d’urgence est donc insuffisante pour traiter la violence dans le couple faute de moyens.

1- La loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 sur les mesures de protection des victimes de violences a créé une procédure d’urgence dans les situations de violences conjugales.

L’orientation de cette loi est essentiellement familiale et ne nécessite pas de plainte pénale préalable.

C’est le juge aux affaires familiales, saisi par requête ou par le Ministère Public, qui décide des mesures provisoires pour sécuriser la femme et ses enfants. Les parties sont convoquées « par tous moyens adaptés » et peuvent être entendues séparément.

L’ordonnance est rendue dans un délai maximum de 6 jours.

Les mesures qui peuvent être prises sont essentiellement sécuritaires :

Le juge :

Ces mesures ont une durée de six mois et peuvent être prolongées si une procédure de divorce est engagée. Elles peuvent être modifiées ou supprimées.

Le délai d’appel est de six mois à compter de la signification de l’ordonnance [1].

2- Les mérites de l’ordonnance de protection sont de séparer rapidement le couple et sécuriser les enfants qui restent avec leur mère. Voir sa mère battue est un traumatisme pour eux.

En outre, contraindre le violent à partir du domicile est le principe retenu par la loi, ce qui est conforme aux demandes des victimes, obligées de partir pour des raisons juridiques et financières. Désormais, c’est fait et appliqué, pour l’avoir personnellement constaté dans les audiences d’appel des ordonnances de protection.

Le violent déménage.

Et le violent paye : les frais de l’habitacle : crédit, charges de copropriété ou loyer, comme avant, plus les pensions pour les enfants et plus une pension pour la victime si ses revenus ou son statut de femme au foyer ou en recherche d’emploi ne lui permettent pas de subvenir à ses besoins.

Il en demeure un isolement du violent, chassé et mis à l’opprobre. Il ne lui reste que son travail.

Peut-on se satisfaire de cette situation ? Non et voici pourquoi.

3- Le rejet du violent ne va rien faire pour le remettre dans sa normalité d’avant.

La violence est un signal de mal être qui peut s’aggraver et aller à des extrêmes criminels.

Nombre de femmes, pourtant cachées de leurs compagnons ont été assassinées sauvagement, dans un esprit de vengeance rageuse.

Il faut donc traiter le violent très vite par des séances avec des psychologues, qui savent les faire revoir toute leur histoire personnelle, souvent familiale, analyses douloureuses souvent pour eux mais rédemptrices.

Il y a plusieurs années, j’ai été aux côtés d’une mère dont la petite fille avait été battue avec une ceinture et enfermée dans le noir dans les toilettes par son père, qui était aussi son compagnon, en l’absence de la mère qui était à son travail. Il n’avait pas supporté l’enfant pleurer et l’avait « punie ». L’école maternelle avait fait un signalement. La procédure devant le juge des enfants fut longue : le père fut privé de l’autorité parentale, Il eut un suivi psychologique régulier de plusieurs mois qui lui fit du bien. Une peine avec sursis fut prononcée. Il retrouva ses droits sur la petite.

Il s’avéra que lui-même avait été un enfant battu. Cet homme jeune et sympathique avait enfoui ses démons qui avaient ressurgi à un moment de désarroi - il avait perdu son emploi - il n’avait pas supporté les cris de sa petite fille. Après cet unique incident, la vie de famille reprit mais comme le dit la chanson de France Gall « ce n’était plus comme avant », et le couple se sépara quelques années plus tard.

Il est donc indispensable de ne pas laisser sur la route l’homme violent, laissé dans sa fureur, sa détestation et sa dangerosité. La loi permet au juge d’ordonner des mesures de traitement psychologique. Evidemment, les services existants sont surchargés, comme les points de rencontre, comme les salles d’attente des cabinets des juges.

A cela, s’ajoutent les problèmes de l’alcool, de la drogue. Rien pour réduire la violence.

Les femmes ne sont pas à la fête.

Francine Summa, Avocate au barreau de Paris

[1Article 1136-11 du Code de procédure civile.

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