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Voyages à forfait et droit de résiliation sans frais du voyageur : l’office du juge. Par Alitcia Guguin, Avocate.
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Parution : vendredi 20 octobre 2023
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En raison de l’évolution du marché des voyages, a été adoptée le 25 novembre 2015 la directive 2015/2302. Son objectif : améliorer la transparence, accroître la sécurité juridique et étendre la protection tant des voyageurs que des professionnels.
Le 14 septembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt concernant l’application de cette directive alors qu’un voyageur avait résilié son contrat en raison de la propagation du coronavirus.
Le 10 octobre 2019, un voyageur a acheté un voyage à forfait à destination de l’Asie.
Le départ était prévu le 8 mars 2020 et le retour le 24 mars 2020.
Conformément à l’article 5 de la directive, les conditions générales du contrat précisaient les modalités de résiliation du contrat avant la date de départ moyennant le paiement de frais de résiliation.
Aucune information n’était à l’inverse donnée sur la possibilité ouverte par l’article 12 de la directive, de résilier ledit contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables survenant sur le lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci qui entraîneraient des conséquences importantes sur l’exécution du même contrat.
Le 12 février 2020 en raison de la crise de covid-19, le voyageur a adressé un courriel de résiliation du contrat à la société de voyage et lui a demandé de lui rembourser toutes les sommes auxquelles il pouvait prétendre.
Un désaccord est né entre les parties sur le montant des frais de résiliation si bien que le voyageur a assigné la compagnie devant le tribunal de première instance de Carthagène en Espagne.
Deux questions préjudicielles ont été posées à la CJUE. La première concerne la validité de l’article 5 de la directive au regard du principe de protection des consommateurs posé par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
En effet, le tribunal considère que l’article 5 de la directive n’impose pas aux organisateurs de voyage d’informer le voyageur de son droit de résiliation sans frais accordé par l’article 12 de la directive.
La seconde question concerne le pouvoir du juge national saisit d’une demande de remboursement inférieure à un remboursement intégral, d’accorder d’office au voyageur un remboursement total.
Le 14 septembre 2023, la CJUE a répondu d’une part que l’article 5 fait référence à l’article 12 de la directive et qu’ainsi il n’y a pas lieu de répondre à l’interrogation du tribunal quant à la validité de cet article.
D’autre part, elle considère que le juge saisit d’une demande de remboursement partiel doit informer d’office le voyageur de son droit à un remboursement intégral sous réserve que quatre conditions soient réunies.
1. La CJUE a jugé que :
« l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens qu’il impose à un organisateur de voyages d’informer le voyageur de son droit de résiliation visé à l’article 12, paragraphe 2, de cette directive ».
L’article 5 impose à l’organisateur de communiquer au voyageur avant qu’ils ne soient liés par un contrat de voyage à forfait :
Tel qu’il est rédigé, il peut sembler que l’article 5 n’impose pas à l’organisateur de voyage d’informer le voyageur, avant la conclusion du contrat, de sa faculté de résiliation avant le début du voyage moyennant remboursement intégral des paiements effectués.
Pourtant à la lecture de l’annexe I, à laquelle l’article 5 renvoi, le formulaire d’information standard fait mention de cette possibilité de « résilier le contrat sans payer de frais de résiliation avant le début du forfait en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple s’il existe des problèmes graves pour la sécurité au lieu de destination qui sont susceptibles d’affecter le forfait ».
Ce septième tiret reprend en substance les termes de l’article 12, paragraphe 2 de la directive. C’est la raison pour laquelle la CJUE a jugé que l’article 5 impose bien aux organisateurs de voyage d’informer le voyageur de son droit de résiliation visé à l’article 12, paragraphe 2.
2. La CJUE fait une lecture attentive des termes de la directive qui consacre effectivement le droit à l’information du voyageur dans toutes ses composantes.
La clarté et la prévisibilité d’une règle de droit sont pourtant des principes reconnus par la CJUE et le renvoi opéré par l’article 5 nuit à la lisibilité du texte.
Telle qu’elle est rédigée, la directive impose au consommateur de se pencher sur le texte pour connaître l’ampleur de ses droits. Il sera tenu d’étudier les termes de l’annexe I pour comprendre qu’il bénéficie d’une information précontractuelle supplémentaire.
Cette difficulté est peut-être la raison pour laquelle la CJUE a octroyé au juge national le pouvoir d’informer d’office le voyageur de son droit au remboursement intégral.
1. La CJUE a jugé que le droit procédural espagnol n’exclut pas que le juge national « puisse d’office informer ce voyageur de son droit à un remboursement intégral et permettre à ce dernier de le faire valoir devant lui ».
Cette question était légitime dans la mesure où l’article 24 de la directive prévoit uniquement que « les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces permettant de faire respecter » cette directive.
En effet, la Cour rappelle que le juge national ne doit agir d’office que dans « des cas exceptionnels où l’intérêt public exige son intervention » tel que le respect de certaines dispositions du droit de l’Union européenne en matière de protection des consommateurs.
En l’espèce, la directive poursuit un objectif de protection effective des consommateurs permettant au juge de soulever d’office une violation de son article 12 sous réserve que quatre conditions soient réunies :
2. Cette décision emporte des conséquences tant pour les voyageurs que pour les juges nationaux. En effet, la CJUE vient au secours des voyageurs parfois mal informés de leurs droits et élargit le champ de la protection accordée par le droit de l’Union européenne, ce qui correspond finalement à sa ligne directrice.
Les décisions dans lesquelles la CJUE impose aux juges nationaux d’examiner d’office certains moyens en matière de droit de la consommation se multiplient. Ils sont ainsi tenus de relever d’office le caractère abusive d’une clause [1].
Les idées de protection de l’intérêt général et d’ordre public sont sous-jacentes puisque c’est en vertu de ces notions que la CJUE tend à accroitre la protection des consommateurs qui peuvent se permettre d’être plus passifs dans le déroulement du procès.
A l’inverse le juge devient un véritable acteur du procès. Sa place et son rôle sont modifiés puisqu’il se substitue aux parties et n’est plus simplement cantonné à l’application du droit aux faits.
La CJUE n’octroi pas simplement un droit aux juges nationaux mais les oblige puisqu’elle juge que :
« Lorsque les conditions énoncées aux points 54 à 57 du présent arrêt sont satisfaites, le juge national est tenu d’examiner d’office le droit de résiliation visé à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2015/2302 ».
Le juge national doit donc venir au secours du voyageur qui n’avait pas connaissance de son droit à résiliation sans frais. La CJUE devait réaliser un arbitrage entre l’objectif de protection effective des consommateurs et le principe selon lequel le procès appartient aux parties.
Elle décide de faire prévaloir le premier en limitant toutefois les pouvoirs du juge qui ne peut se substituer au voyageur et résilier d’office son contrat. Ce dernier, informé de ses droits, reste donc libre de soulever une violation de l’article 12, paragraphe 2.
Ce renforcement de l’office du juge aboutit à faire peser sur lui une charge supplémentaire et cette responsabilisation amène à s’interroger sur les conséquences en cas d’omission de soulever d’office ledit droit : commet-il une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat ?
Alitcia Guguin Avocat au Barreau de Paris [->aguguin.avocat@gmail.com][1] CJCE, 4 juin 2009, affaire C-243/08.
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