Village de la Justice www.village-justice.com |
Les biens sans maître, un outil juridique au service des collectivités. Par Julie Verger, Avocat.
|
Parution : mercredi 4 octobre 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/les-biens-sans-maitre,47412.html Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. |
Depuis quelques années, les collectivités sont confrontées non seulement au besoin de revitaliser et de développer le territoire, mais également à la nécessité de limiter la consommation des espaces et l’étalement urbain.
Il s’agit alors de se tourner vers des projets de réhabilitation de bâtiments existants, l’idéal étant de le faire à moindre coût.
Le régime juridique des biens sans maître peut alors intéresser les collectivités puisqu’il permet de devenir propriétaire de biens, à titre gratuit, sous certaines conditions.
Ce régime figure principalement dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), aux articles L1123-1 et suivants, et R1123-1 et suivants de ce code.
La loi 3DS n°2022-217 du 21 février 2022 est venue simplifier la mise en œuvre de ce régime.
La mise en œuvre du régime des biens sans maître nécessite de raisonner en deux temps.
Il s’agit dans un premier temps de qualifier le bien concerné (I) pour, dans un second temps, aborder les modalités d’acquisition de ce bien (II).
Le régime d’acquisition du bien dépend en effet de sa qualification.
Les biens sans maître sont définis à l’article L1123-1 du CG3P, modifié par la loi 3DS :
« Sont considérés comme n’ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l’article L1122-1 et qui :
1° Soit font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté. Ce délai est ramené à dix ans lorsque les biens se situent dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme au sens de l’article L312-3 du Code de l’urbanisme ou d’une opération de revitalisation de territoire au sens de l’article L303-2 du Code de la construction et de l’habitation, dans une zone de revitalisation rurale au sens de l’article 1465 A du Code général des impôts ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ; la présente phrase ne fait pas obstacle à l’application des règles de droit civil relatives à la prescription ;
2° Soit sont des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers. Ces dispositions ne font pas obstacle à l’application des règles de droit civil relatives à la prescription ;
3° (Abrogé).
Conformément au IV de l’article 98 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, le 1° du présent article est applicable, dès l’entrée en vigueur de ladite loi, aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007 et non encore partagées ».
Il s’agit alors des biens autres que les biens en déshérence (a), et qui répondent à la définition soit des biens successoraux sans maître (b), soit des biens sans maître sans propriétaire connu (c).
Définition :
Un bien en déshérence est un bien qui n’a aucun héritier ou dont la succession a été abandonnée, c’est-à-dire que les héritiers connus ont renoncé à la succession, dans le délai qui leur est imparti pour se prononcer.
Il faut en effet savoir qu’à partir de l’ouverture de la succession (décès), les héritiers connus disposent d’un délai de 4 mois pour se prononcer. Si l’héritier est sommé de faire un choix, ce délai est rallongé de deux mois.
La renonciation se fait de manière expresse (par déclaration de renonciation à remplir et à transmettre au tribunal judiciaire ou notaire).
Si personne n’oblige l’héritier à faire un choix, il dispose d’un délai maximal de 10 ans pour se prononcer [1].
Passé ce délai, il est réputé avoir renoncé (=délai d’option successorale).
La faculté d’option d’un héritier se prescrit en effet par 10 ans à compter de l’ouverture de la succession [2].
Régime :
Il est prévu à l’article L1122-1 du CG3P.
Les biens en déshérence reviennent à l’Etat.
Pour appréhender ces biens, l’Etat doit se faire envoyer en possession auprès du tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession.
Cela représente à peine plus de 1 000 successions par an.
Cette première catégorie de biens sans maître est consacrée par le 1° de l’article L1123-1 du CG3P.
Sont considérés comme des biens sans maître les biens qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans, et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté.
Ils sont également dénommés « biens définitivement sans maître ».
La Cour de cassation a jugé que l’acquisition d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans porte certes atteinte au droit de propriété, mais cette atteinte est proportionnée, au regard de l’utilité publique attachée à l’appropriation par une commune d’un bien délaissé pendant cette longue durée [3].
Deux conditions doivent être réunies pour être en présence d’un bien sans maître au sens du 1° de l’article L1123-1 du CG3P.
- Première condition : le délai d’ouverture de la succession.
Il faut que la succession soit ouverte depuis plus de 30 ans, sachant que le délai a été ramené à 10 ans par la loi 3DS lorsque les biens se situent dans le périmètre :
Ce nouveau délai est applicable aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007 et non encore partagées.
Cette réduction de délai apparait cohérente puisqu’elle s’aligne sur le délai de 10 ans de la prescription de l’option d’acceptation ou de renonciation à la succession offerte aux héritiers. Du fait de cette prescription en effet, aucun héritier n’est susceptible en principe de revendiquer la propriété du bien après ce délai de 10 ans.
- Deuxième condition : aucun successible ne s’est présenté dans ce délai.
Il s’agit des successions pour lesquelles le propriétaire est décédé depuis plus de 30 ans :
Voir pour un rappel de ces deux hypothèses : « que ces biens sont, ainsi qu’il a été dit, ceux dont le propriétaire, identifié, est décédé depuis plus de trente ans sans héritier ou en laissant des héritiers n’ayant pas accepté, expressément ou tacitement, la succession pendant ce délai et qui doivent être regardés, de ce fait, comme y ayant renoncé dès lors que l’expiration de ce délai a éteint leur droit de recueillir ces biens conformément à la prescription applicable aux successions » [4].
Remarque :
Lorsque l’État ne réclame pas la possession du bien via le régime de la succession en déshérence, le régime des biens sans maître peut prendre le relais à l’issue du délai de 30 ans à compter de l’ouverture de la succession, ou de 10 ans dans certains cas.
Point de vigilance :
La commune doit être en mesure de démontrer en cas de contestation, que le bien appartient à une succession ouverte depuis plus de 30 ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté [5].
Cette deuxième catégorie de biens sans maître est consacrée par le 2° de l’article L1123-1 du CG3P.
Sont considérés comme des biens sans maître les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers.
Ces biens sont également dénommés « biens présumés sans maître ».
Deux conditions doivent donc être remplies pour être en présence d’un bien sans maître au sens du 2° de l’article L1123-1 CG3P :
- Première condition : l’immeuble ne doit pas avoir de propriétaire connu.
Concrètement, il n’existe aucun titre de propriété publié au fichier immobilier, ni aucun document cadastral susceptible de renseigner sur l’identité du propriétaire.
Il peut également s’agir de biens qui ayant déjà appartenu à une personne, connue et disparue, ne sont devenus la propriété de personne.
Il s’agit alors d’effectuer des recherches sur la situation du bien concerné et de recueillir des éléments d’information auprès du cadastre, de la publicité foncière, des notaires, et de consulter les registres d’état civil. Une enquête de voisinage peut également être réalisée.
Il s’agit de vérifier l’absence de propriétaire.
- Deuxième condition : il faut que les taxes foncières afférentes n’aient pas été acquittées ou aient été acquittées par un tiers depuis plus de 3 ans.
Remarque :
Depuis la loi 3DS, il existe une dérogation en la matière au secret fiscal sur le recouvrement des taxes foncières, consacrée par l’article L1123-3-II.
L’administration fiscale est en effet tenue de transmettre à la demande de la collectivité, les éléments d’information nécessaires à la mise en œuvre de la procédure. L’administration fiscale est alors tenue de renseigner la collectivité sur le paiement des taxes (acquittées ou non les 4 dernières, années si oui par un tiers).
Un formulaire de demande est disponible sur internet sur le site des collectivités [6] (adressé à la direction départementale des finances publiques).
Le régime figure à l’article 713 du Code civil.
Les biens qui dépendent de cette succession appartiennent automatiquement à la commune du lieu de situation des biens à l’issue du délai de 30 ou 10 ans selon les cas, sans procédure particulière.
Vigilance : des formalités minimales à accomplir :
Le conseil municipal doit autoriser, par délibération, l’acquisition par le maire d’un bien sans maître revenant de plein droit à la commune [7].
La prise de possession du bien devra être constatée par un procès-verbal, affiché en mairie, selon les modalités de l’article L2131-1 du CGCT [8].
Il n’y a aucune obligation de recourir à un acte authentique pour constater le transfert de propriété du bien au profit de la collectivité puisque les textes ne prévoient rien à ce sujet [9].
La doctrine préconise cependant la publication du procès-verbal au fichier immobilier [10].
Il apparait en effet utile que le changement de situation juridique de l’immeuble soit porté à la connaissance des usagers du service public de la publicité foncière.
Dans ce cas, le procès-verbal devra respecter la procédure d’authentification de l’article L1311-13 du CGCT : il doit ainsi être signé par l’adjoint au maire (ou président de l’EPCI), et par le maire authentificateur. Il pourra alors constituer un acte authentique à présenter à la publicité foncière.
Remarques :
A noter que la commune peut renoncer à exercer ses droits par délibération du conseil municipal, sur tout ou partie de son territoire au profit de l’EPCI dont elle est membre. Les biens seront dans ce cas réputés appartenir à l’EPCI.
Si la commune ou l’EPCI renonce à exercer ses droits, la propriété de ces biens sans maître est alors transférée de plein droit pour les biens situés dans les zones définies à l’article L322-1 du Code de l’environnement, au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) lorsqu’il en fait la demande, à défaut, au conservatoire régional d’espaces naturels (CREN) agréé lorsqu’il en fait la demande, ou à défaut à l’Etat. Pour les autres biens, ceux-ci reviennent de plein droit à l’Etat [11].
Les modalités d’acquisition sont fixées à l’article L1123-3 du CG3P.
Remarque :
Avant la loi 3DS, les modalités d’acquisition de ces biens différaient selon la nature du bien concerné, bâti ou non bâti.
Cette distinction procédurale a été supprimée par souci de simplicité, et pour assurer les mêmes droits aux propriétaires qu’il s’agisse de propriété bâtie ou non bâtie.
Les biens, qu’ils soient bâtis ou non bâtis, ne peuvent être appropriés par la collectivité qu’à l’issue d’une procédure permettant aux propriétaires de se manifester. Il s’agit d’une procédure préalable d’enquête.
Les étapes de la procédure :
Attention à vérifier que les conditions sont toujours remplies au moment de l’adoption de l’arrêté.
La notification est également adressée, si l’immeuble est habité ou exploité, à l’habitant ou exploitant, et au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières.
Il faut le notifier au préfet de département.
Vigilance : Il faut impérativement procéder aux formalités de publicité
A défaut, le délai de recours contre l’arrêté ne commence pas à courir.
L’absence de publicité entache également d’illégalité toute la procédure puisque que cette absence aura privé les intéressés de se faire connaitre auprès de l’administration pour faire valoir leurs droits [14].
A défaut, la propriété du bien est attribuée à l’Etat.
Si le bien est implanté dans certaines zones définies par le Code de l’environnement [15], la propriété est transférée au Conservatoire de l’espace du littoral et des rivages lacustres s’il en fait la demande, ou à défaut, au Conservatoire régional d’espaces naturels s’il en fait la demande.
Il faut enfin préciser qu’il n’est pas exclu qu’un ayant droit du propriétaire se fasse connaitre tardivement.
Des garanties ont alors été apportées à la propriété privée par la loi 3DS du 21 février 2022.
Il existe en effet désormais pour les propriétaires ou ayants droits/héritiers un droit à restitution des biens dans le cas d’une acquisition par la collectivité :
Il ne pourra toutefois pas être fait droit à cette demande si le bien a été aliéné ou s’il a été utilisé d’une manière qui s’oppose à sa restitution. Ce sera ainsi le cas par exemple, si un ouvrage public y a été implanté.
Une indemnisation amiable correspondant à la valeur de l’immeuble, ou à défaut fixée par le juge de l’expropriation est par ailleurs prévue par cet article.
Le droit à restitution ne s’applique donc pas en cas d’acquisition des biens sans maître successoraux à l’issue du délai de 30 ans.
Le régime des biens sans maître est donc un mode d’acquisition intéressant pour la collectivité.
Ce mode d’acquisition doit néanmoins être manié avec précaution et vigilance puisqu’une erreur procédurale peut entrainer l’annulation de la procédure avec des conséquences financières pour la collectivité.
Ce mode d’acquisition doit nécessairement être appréhendé en ayant connaissance d’autres mécanismes comme le régime des biens en état d’abandon manifeste qui permet également de faire l’acquisition d’un bien, ou celui des bâtiments menaçant ruine (mise en sécurité).
Le choix de la procédure est donc important, certaines procédures étant plus adaptées que d’autres.
Ce choix dépend de la situation particulière de l’immeuble et de l’objectif poursuivi par la collectivité.
Julie Verger Avocat associé au Barreau de Poitiers Cabinet LAVALETTE AVOCATS CONSEILS[1] L’héritier inactif peut, à l’expiration du délai minimal d’option de quatre mois, être sommé de prendre parti par acte extrajudiciaire, à l’initiative d’un créancier de la succession, d’un cohéritier, d’un héritier de rang subséquent ou de l’État (article 771 du Code civil).
[2] Article 780 du Code civil.
[3] Civ. 3ème, 12 juillet 2018, n°17-16.103.
[4] CE, 21 mars 2011, n°345979.
[5] TA de Poitiers, 5 février 2014, N°1102709.
[6] locales.gouv
[7] Article L2121-29 du CGCT.
[8] Circulaire du 8 mars 2006 NOR : MCTB0600026C.
[9] Réponse ministérielle, publiée au JO Sénat du 20 octobre 2016, à la question écrite n° 19684.
[10] S. Lamiaux, Les biens sans maître et présumés sans maître : JCP N 2015 no 1184.
[11] Article 713 du Code civil.
[12] Article R1123-1 du CG3P.
[13] Point 2° de l’article L1123-1 du CG3P : immeuble sans propriétaire connu et sans paiement des taxes foncières depuis plus de 3 ans, ou acquittées par un tiers.
[14] CAA de Douai, 7 avril 2016, n°12DAZ00287.
[15] Article L322-1 comme les communes riveraines de la mer.
[16] Ou arrêté président EPCI.
[17] Signé par l’adjoint au maire et par le maire authentificateur = article L1311-13 du CGCT.
[18] Point 1° de l’article L1123-1 du CG3P.
[19] Point 2° de l’article L1123-1 du CG3P.
Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).
Très bien ! Mais rien n’est prévu quand le bien appartient à une société qui n’existe plus du fait de sa liquidation.
Peut elle être déclarer sans propriétaire ?