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Les salariés ont désormais droit à des congés pendant un arrêt de travail : les nouvelles règles issues de la Loi du 23 avril 2024Par Myriam Dumontant, Avocate.
Parution : vendredi 27 octobre 2023
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La Cour de Cassation avait opéré un revirement de jurisprudence dans trois décisions rendues le 13 septembre 2023 sur la question des jours de congés payés pendant un arrêt de travail :

  • il est désormais possible d’acquérir des jours de congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie non professionnelle ou un arrêt de travail non consécutif à un accident du travail [1].
  • le calcul des droits à congé payé n’est plus limité à la première année de l’arrêt de travail [2].
  • Le délai de prescription en demande de paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés ne commence à courir que si l’employeur a permis au salarié de prendre ses jours de congés [3].

Article mis à jour par l’auteure en mai 2024.

A la suite de ce bouleversement provoqué par ces jurisprudences, le Conseil d’État a été saisi pour rendre un avis sur la mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l’Union européenne [4] ; puis, le législateur a réformé le Code du travail en ce sens.

La loi est entrée en vigueur le 24 avril 2024 [5].

Il convient ainsi de revenir sur ces revirements jurisprudentiels ainsi que sur les répercussions concrètes sur les droits des salariés.

1. Le bénéfice de jours de congés payés pendant un arrêt de maladie.

Rappel des règles légales en droit français [6].

Sauf si un accord collectif prévoit des dispositions plus favorables, le salarié bénéficié de 2,5 jours de congés payés par mois de travail effectif.

L’article L. 3141-5 comporte une énumération exhaustive des périodes considérées comme du travail effectif et qui permettent de générer des jours de congés payés.
À titre d’exemple, on cite : journées de travail, période de congés maternité ou d’adoption, périodes d’arrêt de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail.

Ainsi, lorsque le salarié se trouvait en arrêt de travail en dehors d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, cette période n’étant pas considéré comme du travail effectif, il n’acquérait aucun jour de congés payés afférents à la période d’arrêt.

Cette position était en contradiction avec le droit de l’union européenne.

Rappel des normes juridiques en droit européen.

L’article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dispose :

« 1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.
2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés
 ».

L’article 7 de la Directive 2003/88 dispose :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».

Plusieurs décisions de justice en droit européen (Cour de Justice de l’Union Européenne) ont été rendues en application de ces dispositions considérant notamment dans la mesure où les périodes d’arrêt de travail sont imprévisibles et indépendantes de la volonté du salarié, elles doivent être prises en compte comme période de travail effectif ouvrant doit à congés payés [7].

La jurisprudence européenne est constante sur ce point, depuis plusieurs années : une décision de 2012 avait d’ores et déjà rappelé le droit à congés payés, dont bénéficie les salariés, sans distinguer selon l’origine des absences et donc y compris en cas d’arrêt de travail pour maladie non-professionnelle [8].

Une position contradictoire de la France par rapport au droit européen.

Et pourtant, cette solution n’était pas appliquée en France, car le législateur n’a pas transposé ces normes juridiques au droit du travail français.

Ces dispositions n’ont pas d’effet direct ; cela signifie que les juges ne peuvent s’y référer pour écarter les dispositions nationales contraires, si un salarié l’invoque pour réclamer des congés payés au titre d’une période d’absence pour maladie non-professionnelle [9].

Toutefois, le salarié peut engager la responsabilité de l’État pour ne pas avoir mis le droit national en conformité avec les normes juridiques européennes et ainsi, obtenir réparation du préjudice subi.

C’est dans ce contexte que des organisations syndicales (CGT, FO et l’Union Syndicale Solidaire) ont demandé la condamnation de l’État au paiement d’une indemnisation, à chacune, en réparation du préjudice moral subi par les salariés dont elles défendent les intérêts.

Ces organisations syndicales ont invoqué une atteinte fautive portée par certaines dispositions du Code du travail au droit aux congés payés des travailleurs tel qu’il résulte du droit de l’Union européenne [10].

La Cour Administrative d’appel de Versailles a condamné l’État français, le 17 juillet 2013, au paiement de la somme de 10 000 euros à chaque syndicat.

La conformité de la France au droit européen.

Le 13 septembre 2023, c’est en application de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et de la Directive 2003/88, que la Cour de Cassation a relevé :

Pour en conclure :

« Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du Code du travail ».

Par cette décision, la Cour de Cassation se conforme, enfin, au droit de l’Union Européenne.

Désormais, les salariés acquièrent des jours de congés payés pendant les périodes d’arrêt de travail, quel qu’il soit.

La loi du 22 avril 2024 a ainsi apporté les modifications suivantes au Code du travail :

Des précisions apportées sur la possibilité de reporter les jours de CP acquis pendant les périodes d’arrêt de travail :

2. En cas d’accident du travail, le salarié bénéficie de jours de congés payés, même au-delà d’un an.

Jusqu’à présent, le Code du travail prévoyait que le salarié en arrêt de travail pour accident du travail, bénéficiait de jours de congés payés, dans la limite d’un an [12].

Au-delà d’un an d’arrêt de travail, le salarié ne bénéficiait plus de jours de congés payés.

Une autre décision du 13 septembre 2023 de la Cour de Cassation est également revenue sur cette règle et a supprimé cette limite d’un an.

Le Code du travail a effectivement été modifié en ce sens [13]

3. Le point de départ du délai de prescription pour demander le paiement de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Dès lors que le salarié bénéficie de congés payés pendant son arrêt de travail, se pose alors la question de savoir dans quelles conditions il peut faire valoir ce -nouveau- droit.

D’autant que la loi du 22 avril 2024 est rétroactive jusqu’au 1er décembre 2009.

Ainsi, il convient de s’interroger sur plusieurs points :

Avant d’y répondre, il convient de s’attarder sur une nouvelle obligation mise en place par le législateur, à la charge de l’employeur, qui est déterminante pour que le salarié puisse faire valoir ses droits.

La nouvelle obligation d’information de l’employeur [14].

L’employeur doit informer le salarié, dans un délai d’un mois à compter de son retour d’arrêt de maladie, par tout moyen conférant une date certaine à leur réception (notamment bulletin de salaire) :

La date limite pour exercer une action en demande de paiement des CP acquis pendant les arrêts de travail.

Une distinction doit être faite entre les salariés toujours en poste au sein de la même entreprise et ceux ayant quitté l’entreprise.

Les salariés encore en poste : la loi prévoit un délai de forclusion de 2 ans à compter de la promulgation de loi : les salariés peuvent donc engager cette action jusqu’au 24 avril 2026.

Cette action ne concerne que les CP acquis pendant arrêt de travail (hors AT / MP) et limités à 2 jours par mois dans la limite de 4 semaines par an.

Les salariés ayant quitté l’entreprise : prescription triennale applicable à compter de la date de rupture du contrat de travail [15].

Ainsi, pour les salariés toujours en poste dans la même entreprise, il est possible de solliciter le paiement de CP acquis pendant un arrêt de travail pour maladie simple et de remonter jusqu’au 1er décembre 2009.

En conclusion, la Cour de Cassation, par ces revirements de jurisprudence du mois de septembre 2023, qui ont conduit à une réforme du Code du travail, a apporté véritablement un nouveau souffle pour les salariés, qui ne doivent pas hésiter à faire valoir leurs droits.

Myriam Dumontant, Avocate Barreau de Paris https://www.myriam-dumontant-avocat.com/

[1Cass., Soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340.

[2Cass., Soc., 13 septembre 2023, 22-17.341.

[3Cass., Soc., 13 septembre 2023, 22-17.342.

[4Avis du 13 mars 2024.

[5LOI n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole

[6Articles L3141-3 et suivants du Code du travail.

[7CJUE, 06.11.18, Stadt Wuppertal c/Bauer.

[8CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10.

[9Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285.

[10CAA Versailles, 17 juillet 2023, N° 22VE00442.

[11Article L3141-5.

[12Articles L3151-1 et L3141-5.

[13Article L. 3141-5.

[14Article L. 3141-19-3.

[15Article L. 3245-1

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