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Harcèlement moral au travail : preuve en cas de licenciement, rôle du CSE. Par M. Kebir, Avocat.
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Parution : mardi 7 novembre 2023
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Au travers de protections légales rigoureuses, assorties de déclinaisons jurisprudentielles, le régime juridique propre au harcèlement moral au travail intègre les questions de santé au travail et la sauvegarde des droits essentiels du salarié.
Constitué par des agissements répétés envers un salarié, lesquels ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel [1], la charge de la preuve, elle, s’en trouve partagée entre salarié et employeur.
De même, en la matière, que ce soit en termes de prévention ou de moyens d’action en cas d’alerte, le rôle du CSE (Comité social et économique) est d’autant plus prépondérant.
Ainsi, en cas de dénonciation d’un harcèlement, caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, c’est au salarié de démontrer que la rupture de son contrat constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement.
C’est là l’enseignement fourni, en matière de preuve, par un récent arrêt la Cour de Cassation, suivant lequel :
Pour rappel, le harcèlement moral au travail, aux termes de l’article L1152-1 Code du travail, est constitué par :
« des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
En clair, en plus de la persistance des actes, ne pouvant résulter d’un seul comportement, le harcèlement moral peut être caractérisé, indépendamment de l’intention de son auteur.
A cet égard, il convient de démontrer que ce comportement nuit à autrui.
Concrètement, les attitudes prohibées en la matière ont souvent trait aux conditions de travail. L’impact, direct ou indirect, sur le salarié s’explique par l’un de ces cas :
En cela, la jurisprudence est particulièrement foisonnante.
Quelques illustrations :
En ce sens, l’auteur - toute personne dans l’entreprise [5], qui fait subir ces agissements répétés commet une infraction pénale [6].
Toujours est-il que, tout licenciement prononcé en violation de ces dispositions est nul : le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, même s’il n’a pas expressément qualifié ces faits de « harcèlement moral » lors de leur dénonciation [7].
Du point de vue de la prévention, incombe à l’employeur une obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié [8].
En somme, l’employeur doit faire la démonstration qu’il a pris toutes les mesures de prévention et, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer une mesure de harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser [9].
Concentrant les anciennes instances représentatives du personnel, le Conseil social et économique, en matière de prévention, a toute latitude de susciter des initiatives qu’il estime utile, et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral.
En cela, le refus de l’employeur doit être motivé [10].
De plus, le CSE, selon l’article L2312-8, 3° Code du travail, est susceptible d’être informé et consulté sur les questions de :
Par ailleurs, est reconnu au comité ou la délégation du personnel un droit d’alerte [11] :
En cas de survenance d’agissements de harcèlement moral dans l’entreprise :
Le CSE saisit immédiatement l’employeur.
Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement. En cas d’atteinte constatée, l’employeur doit procéder, sans délai à :
A noter qu’en cas de tergiversations de l’employeur ou la divergence d’analyse sur le fondement de cette atteinte, le salarié, le CSE ou le membre de la délégation du personnel, après avoir informé le salarié, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la forme des référés. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte assortie d’une astreinte [12].
Tout salarié peut dénoncer des faits de harcèlement :
Enfin, en cas de dénonciation de harcèlement moral, l’employeur est tenu à une obligation d’action :
Ces enquêtes peuvent être réalisées par une équipe interne composée de représentants du personnel, de représentants de la direction de l’entreprise et, éventuellement, du médecin du travail. L’externalisation est possible (pour des avocats notamment).
En ce sens, l’enquête interne ne peut pas être écarté au motif que celle-ci a été confiée à la direction des ressources humaines et non pas au CHSCT [15].
En l’espèce, juge la Haute assemblée, si les représentants du personnel n’ont pas été associés à la conduite d’une enquête interne diligentée par la direction des ressources humaines consécutivement à un harcèlement moral dénoncé par un salarié à l’encontre d’un collègue, cela revêt le caractère d’un élément de preuve. À ce titre, celui-ci doit être examiné par les juges du fond.
A cet égard, rappelons que, sur le fondement de son obligation de sécurité [16] et la prohibition du harcèlement au travail [17], l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral.
Telle obligation s’en trouve remplie, si l’employeur justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail et que, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (Voir notre publication Harcèlement managérial : contours juridiques et responsabilité, il a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser [18]). A contrario, son inertie peut lui être reprochée [19].
Ainsi, lorsque des faits de harcèlement moral sont dénoncés, il appartient à l’employeur de mener une enquête impartiale. Celle-ci peut se faire à l’insu du salarié mis en cause, ce qui ne constitue pas un mode de preuve déloyal [20].
Conformément aux dispositions de l’article L4622-2 Code du travail, sous l’angle de la prévention, dans le cadre de ses missions, les services de santé au travail doivent conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin de prévenir le harcèlement sexuel ou moral.
En outre, mission de premier plan, médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur :
En définitive, priorité éthique et sociétale, la prévention et la réaction au harcèlement nécessitent symbiose et coopération entre les acteurs identifiés de la santé au travail.
Me. Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207[1] Article L1152-1 Code du travail.
[2] Cass. Soc., 18 oct. 2023, n° 22-18.678.
[3] Cass.Soc. 24 nov. 2009, n° 08-43.481.
[4] Cass. Soc, 10 nov. 2009, n° 07-45.321.
[5] Cass. Crim. 6 déc. 2011, n° 10-82.266.
[6] Art. 222-33-2 Code pénal.
[7] Cass. Soc. 19 avr. 2023, n° 21-21.053.
[8] Article L4121-1 et s L. 1152-4 Code du travail.
[9] Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19.702.
[10] Article L2312-9 Code du travail.
[11] Article L2312-59 Code du travail.
[12] Article L2312-59, article L2312-5 Code du travail.
[13] Article L1152-2 Code du travail.
[14] Cass. Soc. 27 nov. 2019, n° 18-10.551.
[15] Cass. Soc. 1 juin 2022 n° 20-22.058 F-D.
[16] Article L4141-1 et suivants Code du travail.
[17] Article L1152-1 et suivants Code du travail.
[18] Cass. Soc. 1-1-2016 n° 14-19.702.
[19] Cass. Soc. 17-10-2012 n° 11-18.884.
[20] Cass. soc. 17-3-2021 no 18-25.597.
[21] Article L4624-3 Code du travail.
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