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Zone agricole et permis de construire : naviguer entre nécessité et réalité de l’activité agricole. Par Orlane Sommaggio, Avocate.
Parution : lundi 27 novembre 2023
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Dans le domaine complexe des permis de construire en zone agricole, la question centrale réside dans la légitimité d’une nouvelle construction par rapport à l’activité agricole prévue dans cette zone. Bien que la loi autorise la construction, sous condition de nécessité pour l’exploitation agricole, la réalité de cette nécessité est souvent au cœur de litiges juridiques.

Dans le but de prévenir toute tentative de fraude, il est essentiel que l’autorité administrative s’assure de manière approfondie que la demande de permis de construire est légitimement liée à une exploitation agricole.

I. L’activité agricole : entre définition légale et réalité concrète.

La jurisprudence insiste sur la nécessité d’un faisceau d’indices pour évaluer la qualité d’exploitant. Si l’activité agricole est avérée, sa réalité doit être démontrée, dépassant la simple inscription sur le K-bis. L’affiliation à la mutualité sociale agricole ou l’exercice d’une activité agricole accessoire ne seront pas des critères suffisants. Il convient également de tenir compte du chiffre d’affaires généré par l’activité agricole pour évaluer véritablement la qualité d’exploitant agricole.

La jurisprudence administrative, illustrée par un arrêt du Conseil d’État du 5 octobre 2018, précise les critères nécessaires pour établir l’existence d’une exploitation agricole. Le juge administratif apprécie de manière concrète la réalité de la qualité d’agriculteur ou de sylviculteur.

Dans cet arrêt relatif à l’activité agricole, le Conseil d’Etat a précisé ces critères :

« 3. Il résulte de ces dispositions que les documents graphiques des cartes communales délimitent les secteurs où les constructions ne peuvent être autorisées, à l’exception des constructions et installations nécessaires, notamment, à l’exploitation agricole ou forestière. Pour vérifier que la construction ou l’installation projetée est nécessaire à cette exploitation, l’autorité administrative compétente doit s’assurer au préalable, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la réalité de l’exploitation agricole ou forestière, au sens de ces dispositions, laquelle est caractérisée par l’exercice effectif d’une activité agricole ou forestière d’une consistance suffisante.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la parcelle cadastrée section AR n° 26, terrain d’assiette du projet envisagé par M. B…, est située en dehors des zones constructibles de la carte communale de La Livinière. Pour juger que le requérant ne justifiait pas que la construction projetée était nécessaire à une exploitation agricole, au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme, la cour administrative d’appel, après avoir retenu que M. B… justifiait mettre en valeur 4 hectares, 74 ares et 60 centiares de vignes, s’est fondée sur ce qu’il n’apportait aucune précision quant aux conditions concrètes de son activité de viticulture, qu’il exerçait par ailleurs une activité professionnelle de garagiste à 140 kilomètres de La Livinière et que les surfaces exploitées étaient sensiblement inférieures à la superficie minimale d’installation dans l’Hérault pour la culture de la vigne. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la cour, qui s’est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier sans les dénaturer et a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a pu, sans commettre d’erreur de droit, se fonder sur ces éléments pour juger que l’activité viticole du requérant ne caractérisait pas une exploitation agricole, au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme. Dès lors, elle n’a pas non plus commis d’erreur de droit ni insuffisamment motivé son arrêt en en déduisant que la construction projetée n’était pas nécessaire à une exploitation agricole, au sens des mêmes dispositions
 » [1].

Dans le même sens :

« Considérant qu’il ressort des pièces produites par le pétitionnaire lors de l’instruction de sa déclaration, et notamment du courrier de la Mutualité sociale agricole de l’Hérault en date du 10 novembre 2006, que l’activité principale de M. X serait la viticulture, qu’il exercerait sur le territoire de la commune de Mauguio, et non l’élevage, et d’un certificat vétérinaire du 13 novembre 2006, que les époux Z, à qui appartient le terrain, ne sont propriétaires que de deux chevaux qu’aucune des autres pièces du dossier n’est de nature à établir la réalité de l’activité d’élevage que le pétitionnaire soutient exercer ; qu’il suit de là que le maire a pu, sans méconnaître les dispositions de l’article 2 du règlement de la zone NC du plan local d’urbanisme de Candillargues, s’opposer aux travaux déclarés en tant qu’aucun élément ne justifie leur nécessité pour les besoins d’une exploitation agricole ; que, par suite, M. X n’est pas fondé à soutenir que les motifs de la décision attaquée seraient entachés d’erreur de droit  » [2].

Le juge administratif apprécie de manière très concrète la réalité de la qualité d’agriculteur.

En conclusion, l’agriculteur doit apporter des éléments concrets prouvant l’existence réelle de son exploitation agricole.

II. L’absence de « nécessité » : une condition impérative.

Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) impose des conditions strictes, exigeant que la construction soit nécessaire à l’activité agricole. La jurisprudence souligne l’importance de prouver ce lien de manière concrète. La construction doit répondre à un besoin réel du chef d’exploitation.

Il convient de rapporter la « nécessité » de la construction pour les besoins de l’activité agricole.

La jurisprudence administrative exige la preuve que la construction sur la parcelle répond à un besoin du chef d’exploitation.

Sur ce point :

« Considérant que M. X a sollicité un permis de construire pour la construction d’un logement destiné à accueillir des ouvriers agricoles qu’il estime nécessaire au développement de son exploitation agricole de cultures maraîchères et légumières ; que toutefois, le requérant ne justifie d’aucun projet de développement de son exploitation agricole ; que, par ailleurs, si le requérant fait valoir que la construction projetée est destinée à accueillir un couple d’ouvriers, il n’établit ni que son activité agricole nécessite la présence continue sur place de ces ouvriers, ni que la construction litigieuse serait la seule solution de logement pour ces derniers ; que, dès lors, ladite construction ne peut être regardée comme nécessaire à l’exploitation agricole de M. X au sens des dispositions précitées des articles A1 et A2 du règlement du plan local d’urbanisme ; que, par suite, M. X n’est pas fondé à soutenir qu’en lui refusant le permis de construire sollicité, le maire de la commune de Périgny-sur-Yerres aurait commis une erreur d’appréciation dans l’application desdites dispositions ; que, par suite, le moyen sus-analysé ne peut être qu’écarté » [3].

Dans le même sens, le Tribunal administratif de Toulouse a conclu :

« 2. Considérant qu’aux termes de l’article R123-7 du Code de l’urbanisme : « Les zones agricoles sont dites « zones A ». Peuvent être classés en zone agricole les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles. (…) » ; qu’aux termes de l’article A.2.2 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Bruniquel : « Les occupations et utilisations du sol suivantes ne sont admises que si elles respectent les conditions ci-après : (…) / 2.2. Les constructions à usage d’habitation, à condition qu’elles soient directement liées et nécessaires à l’activité agricole, et à condition qu’elles soient implantées à proximité immédiate du siège d’exploitation ou du bâtiment d’activité lorsqu’il existe. (…) » ; que ce lien de nécessité, qui doit faire l’objet d’un examen au cas par cas, s’apprécie entre, d’une part, la nature et le fonctionnement des activités de l’exploitation agricole et, d’autre part, la destination de la construction ou de l’installation projetée ; que, lorsque la construction envisagée est à usage d’habitation, il convient d’apprécier le caractère indispensable de la présence permanente de l’exploitant sur l’exploitation au regard de la nature et du fonctionnement des activités de l’exploitation agricole 
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date du certificat d’urbanisme attaqué, Mme X, exploitante agricole, cultivait 51 hectares de terres en céréales, maïs de semence et autres cultures spécifiques ; que la particularité évoquée par la commune de Bruniquel et par M. et Mme X relative aux cultures de maïs de semence et autres cultures à irriguer, qui, en période d’arrosage, nécessiteraient que les intéressés résident à proximité immédiate pour surveiller les installations d’irrigation, ne permet pas d’établir à elle seule le caractère indispensable de leur présence permanente sur l’exploitation agricole ; que, dans ces conditions, il n’est pas établi que le projet de construction en litige soit directement nécessaire à l’activité agricole de M. X ; que, par suite, le préfet de Tarn-et-Garonne est fondé à soutenir que le certificat d’urbanisme attaqué méconnaît les dispositions précitées de l’article A. 2.2 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Bruniquel
 » [4].

L’agriculteur doit produire des éléments de preuve d’une production liée à l’activité agricole qui pourrait justifier une nouvelle construction.

Au surplus, l’exploitation prétendue est également établie par une consistance suffisante de l’activité.

La jurisprudence elle-même rappelle que :

« Pour vérifier que la construction ou l’installation projetée est nécessaire à une exploitation agricole, l’autorité administrative compétente doit s’assurer au préalable, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la réalité de l’exploitation agricole, au sens de ces dispositions, laquelle est caractérisée par l’exercice d’une activité agricole d’une consistance suffisante. Par ailleurs, le lien de nécessité, qui doit faire l’objet d’un examen au cas par cas, s’apprécie entre, d’une part, la nature et le fonctionnement des activités de l’exploitation agricole et, d’autre part, la destination de la construction ou de l’installation projetée » [5].

Ainsi, la réalité de l’exploitation se caractérise par l’exercice d’une activité agricole d’une consistance suffisante.

La présentation du chiffre d’affaires peut s’avérer pertinente. En revanche, un chiffre d’affaires dérisoire suggère une absence de consistance suffisante.

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de fournir des preuves démontrant une activité agricole professionnelle d’une consistance suffisante.

III. Conclusion : entre réalité et nécessité, la preuve doit être apportée.

Il revient aux demandeurs de démontrer la « nécessité » de la construction pour les besoins de l’activité agricole. La jurisprudence administrative exige la preuve que la construction répond à un besoin réel du chef d’exploitation.

Aux regards des différentes réponses apportées par les tribunaux, il ressort que : l’agriculteur doit produire des éléments de preuve d’une production liée à l’activité agricole justifiant une nouvelle construction.

Les tribunaux réalisent une analyse minutieuse de la réalité de l’activité agricole et de la nécessité de la construction projetée. La réalité de l’exploitation se caractérise par l’exercice effectif d’une activité agricole d’une consistance suffisante.

Dans cet équilibre délicat entre intérêts agricoles et immobiliers, les demandeurs doivent présenter des éléments tangibles pour convaincre l’autorité administrative de la légitimité de leur démarche.

Orlane Sommaggio Avocate au barreau de Grenoble Enseignante en droit de l’urbanisme

[1Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 5 octobre 2018, n° 409239.

[2Tribunal administratif de Montpellier, 19 février 2009, n° 0702740.

[3TA Melun, 7 avr. 2011, n° 0800360.

[4TA Toulouse, 30 juin 2016, n° 1505173.

[5Cour administrative de Nantes, CAA de Nantes, 20 avril 2021, n°19NT04869.

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