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Dépistage d’alcool : licenciement justifié malgré le refus de contre-expertise. Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
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Parution : vendredi 12 janvier 2024
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Le Code du travail prévoit qu’aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail. Lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur, prévoit dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident.
Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d’une limitation, voire d’une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché [1].
Les dispositions d’un règlement intérieur permettant d’établir sur le lieu de travail l’état d’ébriété d’un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors, d’une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, d’autre part, qu’eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, cet état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, de sorte qu’il peut constituer une faute grave [2].
Ainsi donc, la clause du règlement intérieur prévoyant la possibilité de soumettre un salarié à un éthylotest est licite si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation par le biais d’une contre-expertise et si, en raison de ses fonctions, l’état d’ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.
Il importe de rappeler que même en l’absence de tout signe d’ivresse manifeste, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe le fait de conduire un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par : une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,20 gramme par litre ou par une concentration d’alcool dans l’air expiré égale ou supérieure à 0,10 milligramme par litre chez le conducteur d’un véhicule de transport en commun [3].
Dans l’affaire qui lui était soumise (Cass. soc. 6-12-2023 n° 22-13.460), la Cour de cassation a eu à trancher le recours d’un conducteur de bus qui s’est vu refuser par l’employeur la contre-expertise par examen sanguin qu’il avait demandé tardivement.
Un salarié engagé, en qualité de receveur machiniste par la RATP, à compter du 27 novembre 2006 a été convoqué le 2 décembre 2015 à un entretien préalable à son éventuelle révocation.
Il a été révoqué le 12 janvier 2016 la suite d’un contrôle d’alcoolémie effectué lors de sa prise de poste à 6 h 33 ayant révélé qu’il présentait un taux d’alcool de 0,28 gramme par litre de sang.
Il a formé un pourvoi contre la décision de la cour d’appel de Paris du 18 novembre 2021 qui a dit son licenciement justifié et a rejeté sa demande de dommages-intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse.
Il faisait valoir que :
Dans son arrêt du 6 décembre 2023, la chambre sociale rejette le pourvoi, peu sensible aux arguments spécieux du salarié en cause.
Le règlement intérieur de la RATP prévoit :
Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel, a d’abord constaté que :
Il ne pouvait donc être tiré aucune conséquence du refus de l’employeur de faire procéder à cet examen biologique, dont l’objet est de permettre au salarié de contester les résultats du contrôle d’alcoolémie, ce qui impose que le prélèvement sanguin soit réalisé dans le plus court délai possible.
C’est donc à bon droit qu’elle a considéré que ce grief constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement en l’absence du contrôle d’alcoolémie mis en place par l’employeur, dès lors que le salarié s’apprêtait à conduire son bus sous l’emprise d’un état alcoolique susceptible de qualification pénale.
Le refus de l’employeur, plus de quinze jours après les faits, de faire procéder à un examen sanguin au titre de la contre-expertise ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse dès lors que le salarié ne justifie pas qu’il avait effectivement sollicité un tel examen dans les suites immédiates du contrôle pour en remettre en cause les résultats ; peu important que le règlement intérieur ne le précise pas.
Cela n’a évidemment aucun sens de contester les résultats d’un contrôle d’alcoolémie et de demander un examen sanguin non pas immédiatement, mais une quinzaine de jours plus tard, sauf à ne pas vouloir prendre le risque d’une confirmation de l’état d’ébriété.
Il ne pouvait donc sérieusement reprocher son refus à l’employeur, dans ces circonstances.
L’on ne peut que conseiller au salarié dont l’état d’ébriété supposé a été confirmé par un éthylotest, de solliciter :
Il convient de noter que la haute Cour retient particulièrement le fait que le salarié s’apprêtait à conduire son bus sous l’emprise d’un état alcoolique et constituait un réel danger…
Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Barreau des Hauts-de-Seine Présidente de la Commission sociale du Barreau des Haut-de-Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr[1] Art. R4228-20.
[2] Cass. soc. 24-2-2004 n° 01-47.000 F-D.
[3] Art. R234-1 du Code de la route.
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