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Artistes-enseignants et droits d’auteurs des élèves. Par Laurent Thibault Montet, Docteur en Droit.
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Parution : mardi 19 mars 2024
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L’enseignement est une technique consistant à transmettre à autrui des connaissances qu’il s’agisse uniquement d’un savoir (connaissances théoriques) ou/et d’un savoir-faire (connaissances pratiques) voire d’un savoir-être (ensemble de compétences). À ce titre, selon la philosophie qui préside l’art d’enseigner (ou en l’occurrence l’atelier), il peut exister entre l’enseignant et l’élève une interrelation qui peut tenir soit de la subordination, soit de la collaboration.
En tout état de cause, se pose la question de la titularité du droit d’auteur sur le résultat de l’effort créatif de l’enseignant et de l’élève. Autrement-dit, qui de l’enseignant ou de l’élève devrait être le titulaire du droit d’auteur d’une œuvre issue de l’interaction enseignant-élève ? voire de l’interrelation entre l’organisme de formation, enseignant et l’élève ?
Contrairement au droit de la propriété industrielle (Brevet, Marques, Dessins et modèles, etc.) qui nécessite la soumission à des formalités de dépôt ou d’enregistrement pour l’obtention d’un titre de propriété industrielle [1], le droit de la propriété littéraire et artistique [2], dont le droit d’auteur [3], naît au profit de la personne ou les personnes qui ont créé une œuvre de l’esprit du seul fait de la création de ladite œuvre [4]. L’acte de création (ou effort créatif), quel que soit son résultat [5], dès lors qu’il aboutit à l’existence d’une œuvre originale, tisse un lien de propriété intellectuelle entre celui qui a fourni l’effort créatif et le produit matérialisé par cet effort. Le droit d’auteur est un monopole attribué aux personnes qui ont créé une œuvre.
La question de la titularité du droit d’auteur consiste à déterminer à qui appartient cette prérogative.
Qui de l’artiste-enseignant ou/et de l’élève, selon son niveau d’intervention dans l’existence de l’œuvre, sera bénéficiaire (autrement dit titulaire) du droit d’auteur. La réponse à cette question dépend du caractère de l’œuvre.
Répond-elle aux exigences du Code de la propriété intellectuelle ?
En effet, la naissance du droit d’auteur est tributaire du caractère protégeable de la création. En effet, l’auteur d’une œuvre de l’esprit ne jouit sur cette création d’un droit d’auteur (droit de propriété incorporelle exclusif et opposable) uniquement si l’œuvre est protégeable au sens du Code de la propriété intellectuelle. En outre, la distribution de la titularité du droit d’auteur est inhérente au contexte de réalisation de l’effort créatif.
Le droit d’auteur est un lien juridique [6] entre la création et celui qui en est le créateur. Ainsi, en quelque sorte, le droit d’auteur est une récompense attribuée au créateur si sa création est éligible aux exigences prescrites par la Loi afin que l’œuvre soit considérée comme protégeable. Plusieurs critères doivent être recouverts :
Extériorisée (création perceptible par les sens des autres) et marquée par la personnalité de son créateur, l’œuvre protégeable octroie à son auteur un « droit de propriété incorporelle exclusif [indépendant de la propriété de l’objet matériel] et opposable à tous » [10]. L’artiste-enseignant et/ou l’élève bénéficient du droit d’auteur à la condition que leurs œuvres soient protégeables.
Le droit d’auteur est une récompense. Il est un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous tant dans son contenu patrimonial [11] que dans son contenu moral [12]. Le droit d’auteur est le lien juridique qui cristallise le lien de création entre l’auteur et l’œuvre. Il est dès lors, le seul à pouvoir exploiter ça chose. Ainsi, selon que le droit d’auteur bénéficie à l’artiste-enseignant ou/et à l’élève, l’auteur pourra exploiter économiquement son œuvre.
Contrairement aux droits moraux (perpétuels, inaliénables et imprescriptibles ; ils comportent le droit « one shot » [13] de divulguer l’œuvre (source du droit patrimonial de communication au public), le droit de repentir possibilité de modifier l’œuvre communiquée au public, le droit de retrait mettre fin à l’exploitation de l’œuvre, le droit de filiation, pour ne pas dire droit de paternité (Droit de donner son nom à l’œuvre) et droit au respect de l’œuvre (non dénaturation de l’œuvre), les droits patrimoniaux (non perpétuels et aliénables) attachés au droit d’auteur sont, sans nul doute, le nerf financier de la « guerre » car ils octroient au titulaire du droit la faculté d’exploitation économique (gratuite ou onéreuse) exclusive sur la création [14]. Une œuvre protégée peut être une source de revenue et/ou de notoriété considérable car elle implique un monopole quant à la représentation [15] et la reproduction [16] de la création :
L’enjeu de la titularité du droit d’auteur a une pesanteur tant patrimoniale (droit d’exploitation : droit de représentation et droit de reproduction) qu’extrapatrimoniale (droits moraux : droit de divulgation, droit de retrait, droit de repentir, droit de filiation, droit aux respects de l’œuvre). Comment déterminer qui de l’artiste-enseignant ou de l’élève pourra s’en prévaloir ? à l’exclusion de l’autre ?
L’effort créatif se déroule dans un espace-temps au sein duquel le créateur de l’œuvre interagit avec l’écosystème de la discipline ou des disciplines d’où il puise tant l’inspiration (le savoir) que la technique (savoir-faire/savoir-être). L’interrelation entre « l’organisme de formation », l’artiste-enseignant et l’élève est un écosystème qui au regard du Code de la propriété intellectuelle, toute chose égale par ailleurs, peut donner lieu à six scenarii.
Le contexte de l’effort créatif détermine la titularité du droit d’auteur et impacte le type de contractualisation qu’il faudra établir afin de gérer ledit droit d’auteur.
Il n’y a pas d’âge pour être titulaire d’un droit d’auteur. Il faut « juste » fournir un effort créatif extériorisé (perceptible par autrui) et un résultat marqué par l’empreinte de la personnalité de l’auteur, manifestant ainsi les choix libres et créatifs de ce dernier. Un mineur peut être titulaire d’un droit d’auteur. Dans ce cas, pour la mise en œuvre des droits moraux et/ou des droits patrimoniaux, il faudra l’intervention de ses représentants légaux [24]. En tout état de cause, que l’effort créatif soit mené par des mineurs et/ou des majeurs, il n’est pas nécessairement inopportun de cadrer la teneur de l’interrelation. Cela est d’autant plus vrai s’il est envisagé une communication publique (gratuite ou onéreuse) du résultat. L’organisme de formation, le cas échéant, l’employeur de l’enseignant et/ou organisateur de la formation ou de l’atelier devrait être vigilant sur le contenu du contrat de travail, mais également du contrat d’adhésion à l’atelier ou à la formation.
Il n’est pas possible de contractualiser de manière générale sur la cession d’œuvres futures [25]. Une telle clause ou un tel contrat serait nul de plein droit. En outre, l’existence d’un contrat de travail ne suffit pas à elle seule [26] car, conformément à l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle :
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Dès lors, conformément aux articles L131-3 et L131-4 du Code de la propriété intellectuelle, s’il y a une volonté de traiter la question en amont, qu’il est impératif de stipuler (dans la mesure du possible) une clause ad hoc ou un contrat ad hoc, avec faculté de réexamen, dans lequel sont posées les conditions de la transmission pour chaque droit cédé (domaine de l’exploitation des droits, étendu et destination, territorialité de l’exploitation et durée, etc.). Cette posture devrait permettre d’équilibrer les échanges salarié-employeur surtout lorsque l’employé a été recruté spécifiquement pour fournir un effort créatif sur un projet spécifique. Sinon, la contractualisation sur la question de la cession de chaque droit devra se faire a posteriori, « au fil de l’eau ».
Pour les artiste-enseignants agents publics [27], le principe reste celui posé par l’article L111-1 du Code précité. Cependant, lorsque l’effort créatif est réalisé dans l’exercice de ses fonctions et/ou dans le cadre de l’exécution de directives hiérarchiques, il y aura une transmission automatique des droits patrimoniaux à l’administration pour un usage « strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public » [28] et non commercial. Pour ce qui est de l’exploitation commerciale de l’œuvre, l’agent public est soumis à un droit de préférence au profit de son administration. En outre, l’agent public à ses droits moraux sur l’œuvre quelque peu restreint car :
Selon qu’il exerce dans une structure privée (le cas échéant, conventionnée ou pas avec l’éducation nationale) ou publique, l’artiste-enseignant à plus ou moins de liberté quant à l’exploitation de l’œuvre ou la mise en œuvre de ses droits moraux.
Pour l’œuvre collective (scénario n°6 précédemment exposé), il n’y a pas de cotitularité du droit d’auteur. Le promoteur (celui à l’initiative duquel l’œuvre a été créée : soit l’institution soit l’enseignant) décide seul des modalités d’exploitation. Dans ce cas, il peut décider de céder tout ou partie (le cas échéant) de l’œuvre ; ou préférer un système de licence payante ou libre.
Pour ce qui est de l’œuvre composite, dont l’une ou l’ensemble des œuvres préexistantes pourrait être des œuvres collectives ou/et des œuvres de collaboration, l’auteur peut décider seul des modalités d’exploitation sous réserve de ne pas être en violation des droits d’auteurs de l’œuvre ou des œuvres préexistants. Dans ce cas, il faudra que l’auteur de l’œuvre composite contractualise avec le ou les auteurs de ou des œuvres préexistantes.
Pour ce qui est de l’œuvre de collaboration, les coauteurs sont en indivision. Dès lors, pour l’exploitation de l’œuvre, ils doivent s’entendre sur les modalités et conditions.
En cas d’échec de la recherche à l’amiable d’un terrain d’entente, c’est le juge civil qui sera compétent pour statuer sur cette difficulté. Dès lors, il peut être très opportun de formaliser un contrat copropriété du droit d’auteur permettant de fluidifier la gestion courante de l’œuvre et de poser les éléments de bonne entente pour la question de l’exploitation de l’œuvre. Le modèle de la copropriété de brevet peut être une source d’inspiration (Voir les articles La copropriété de brevets (première partie). Par Isabelle Pinaud, CPI. et La copropriété de brevets (partie 2). Par Isabelle Pinaud, CPI.).
Laurent Thibault Montet Docteur en droit[1] Art. L411-1 à L731-4 et R511-1 à R722-7 du Code de la propriété intellectuelle.
[2] Art. L111-1 à L343-7 du Code de la propriété intellectuelle.
[3] Art. L111-1 à L113-10 du Code de la propriété intellectuelle.
[4] Art. L111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[5] Art. L112-1 et L112-2 du Code de la propriété intellectuelle, toutes les œuvres de l’esprit : littéraire, musicale, cinématographique, peinture, sculpture, logiciel, photographie, etc.
[6] Art. L111-1 al. 1 du Code de la propriété intellectuelle.
[7] Art. L111-2 du Code de la propriété intellectuelle.
[8] Cass. Com., 8 novembre 2017, pourvoi n° : 16-10.850. Cass. Chb. Civ. 1e, 12 juillet 2006, pourvoi n°05-17.555. Cass. Chb. Civ. 1e, 15 mai 2015, pourvoi n°14-11.705.
[9] CJUE, 12 septembre 2019, n° C-683/17, Cofemel - Sociedade de Vestuario Sa / G-Star Raw : L’œuvre « reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ».
[10] Art. L111-1al.1 du code précité.
[11] Droits patrimoniaux, art. L122-1 à L122-12 et R122-2 à R122-12 du Code de la propriété intellectuelle.
[12] Droit moral, art. L121-1 à L121-9 du Code précité.
[13] « Le droit de divulgation s’épuisant par le premier usage qu’en fait l’auteur » : Cass. Chb. Civ. 1e, 11 décembre 2013, pourvoi n°11-22.031.
[14] Art. L122-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[15] Droit de représentation, Art. L122-2 à L122-2-4 du Code de la propriété intellectuelle.
[16] Droit de reproduction, art. L122-3 à L122-3-1 du Code précité.
[17] A contrario de la CJUE, 12 septembre 2019, n° C-683/17, Cofemel - Sociedade de Vestuario Sa / G-Star Raw : L’œuvre « reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ».
[18] Art. L111-1 et L113-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[19] Art. L111-1 et L113-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[20] Art. L113-2 al. 2 et L113-4 du Code de la propriété intellectuelle.
[21] Art. L113-2 al. 1 et L113-3 al. 1 et 2 L113-3 al.1 et 2 : « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord ».
[22] Cass. Chb. Civ. 1e, 13 novembre 1973, pourvoi n°71-14.469 : Guino c/ Renoir.
[23] At. L113-2 al. 3 et L113-5 du Code de la propriété intellectuelle.
[24] Art. 1146 et 1148 du Code civil.
[25] Art. L131-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[26] Cass. Soc., 11 mai 2016, pourvoi n°14-26.507.
[27] Art. L131-3-1, L131-3-2, L131-3-3 et L121-7-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[28] Art. L131-3-1 al. 1 du Code précité.
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