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Marché public : rappels jurisprudentiels en marché à procédure adaptée (MAPA). Par Nicolas Pillet, Avocat.
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Parution : lundi 6 mai 2024
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Illustration d’une décision du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nancy (TA Nancy, 12 mai 2023, req. n° 2301200). Il est précisé que le rédacteur de l’article était l’avocat de la société requérante et qu’en l’absence de pourvoi la décision commentée est devenue définitive.
« Pour voir clair : Lunettes Leclerc » ! Cette citation parlera sans doute aux plus tintinophiles d’entre vous, mais elle s’impose (« clairement ») pour illustrer deux nouveaux rappels du juge du référé précontractuel saisi d’une contestation d’une procédure de passation d’un marché à procédure adaptée.
Le premier concerne le respect du principe d’égalité de traitement des candidats et de transparence des règles de la procédure.
Le second rappelle la rigueur à laquelle doit s’astreindre le pouvoir adjudicateur (ou son assistant) quand il analyse les offres reçues et, notamment, le mémoire technique au regard des critères et sous-critères de sélection.
La procédure s’est ainsi déroulée : après remise de leurs offres initiales, les candidats ont été, chacun à leur tour, invités à négocier avec la commune, notamment au cours d’une réunion de présentation et d’échange, dernière étape avant une remise d’offres finales.
Au cours de cette réunion, la commune avait demandé aux candidats de lui proposer une offre avec une éventuelle remise commerciale à laquelle ils consentiraient.
Le candidat évincé a, tout d’abord, reproché à la commune d’avoir unilatéralement modifié le prix de son offre finale, qui était présenté en deux temps :
Selon la société évincée, il fallait nécessairement soustraire au montant de la DPGF la remise commerciale proposée dans le courrier d’accompagnement (sinon cette proposition de remise aurait été inutile…).
La commune ne l’a pas entendu de cette façon, qui a considéré qu’elle était simplement liée par le montant figurant dans la DPGF, sans devoir en déduire le montant du rabais commercial consenti.
Devant le juge, la commune a soutenu qu’elle avait clairement donné consigne aux candidats d’inclure la remise commerciale directement dans la DPGF afin qu’elle puisse avoir le prix final dans un seul document.
Mais la commune n’en rapportait pas la preuve, ce qui suggérait que cette « consigne » orale avait simplement été donnée à l’entreprise attributaire et non aux deux autres évincées (ce qui s’est su dans la mesure où la commune, qui n’était pas représentée, a produit le rapport d’analyse des offres dans son intégralité …).
Le juge du référé précontractuel a retenu le moyen invoqué et considéré que « la commune, en ne tenant compte que du prix sans rabais proposé par la société X, a modifié les termes de son offre ».
Précisons tout de même que si la commune avait tenu compte des rabais proposés dans les courriers d’accompagnement, la société requérante, classée en troisième et dernière position, n’était même pas certaine de remporter le marché, qui aurait été plutôt attribué à la deuxième société (sous réserve que son rabais n’ait pas pour effet de constituer une offre anormalement basse) tandis que l’attributaire serait passé de la première à la troisième et dernière position.
Autrement dit, la lésion potentielle irriguait toute la procédure et concernait tous les candidats, qui aurait tous vu leur classement modifié.
Pour rappel, les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence sont, par exemple, méconnus lorsque le pouvoir adjudicateur procède à une modification unilatérale du prix de l’offre (v. par ex : TA Grenoble, 4 mars 2021, req. n° 2100938 [1]) ou encore lorsque toutes les règles de sélection ne sont pas portées à la connaissance de l’ensemble des candidats (v. en ce sens : TA Nancy, 8 octobre 2020, req. n° 2002312 [2]).
Des manquements sont susceptibles de léser la société qui les invoque, notamment quand l’écart des points au classement final est faible (CE, 18 mai 2021, req. n°448618 ; v. par ex : TA Toulouse, 6 avril 2023, req. n°2301257 [3]).
En cas de manquement du pouvoir adjudicateur à son obligation de transparence, il appartient au juge administratif « de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de manière indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE, 4 mars 2021, req. n° 438859) sans « rechercher à ce titre si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats » (CE, 1er juin 2011, req. n° 345649 v. aussi : CE, 13 juin 2016, req. n° 396403).
Cette exigence de lésion potentielle s’apprécie globalement et non individuellement c’est-à-dire « tant [pour] la société requérante que [pour] les autres soumissionnaires » ([TA Nancy, 8 octobre 2020, req. n° 2002312 [4]).
Il n’y a donc pas besoin de démontrer que la candidate évincée aurait dû remporter le marché : il faut seulement démontrer qu’elle aurait pu le remporter, ce qui revient à expliquer au juge qu’elle a perdu une chance de le remporter.
Attention aux informations qui seraient oralement données lors d’une négociation. Les pouvoirs adjudicateurs doivent prendre la précaution, par exemple et après la réunion de négociation, d’envoyer un même courriel à tous les candidats pour récapituler les dernières « consignes » qui auraient été données à cette dernière étape.
Le candidat évincé a, ensuite, reproché à la commune d’avoir dénaturé le contenu de son mémoire technique en retenant, dans son cadre réservé à l’analyse du sous-critère 1.5 « Mesures en faveur du Développement Durable et de la Qualité environnementale » que :
« à part le respect rt.2012. Aucune mesure particulière présentée »
Or, l’analyse du mémoire technique révélait qu’il n’y avait pas « aucune » mesure mais que des précisions étaient tout de même apportées au titre de la protection de l’environnement (la collecte des déchets et utilisation de matériels recyclables) ainsi qu’au titre de circuits courts (fournisseurs locaux) auxquels il était imposé de « diminuer le nombre d’emballages non recyclables utilisés pour le packaging des produits commandés ».
Le juge administratif a également fait droit à ce moyen en retenant que « quelle que soit l’appréciation portée sur les mesures proposées dans ces rubriques, la commune ne pouvait, sans dénaturer le contenu de l’offre de la société requérante retenir qu’aucune mesure n’était proposée ».
La lésion potentielle était également démontrée compte tenu du très faible écart de points, qui aurait été comblé si la commune avait tenu compte de ces informations du mémoire technique et accordé un point supplémentaire qui, après pondération, aurait conféré deux points supplémentaires à la société évincée.
Pour rappel encore, « il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi au choix de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats » (CE, 9 juin 2020, req. n° 436922).
Le pouvoir adjudicateur ne doit pas se borner à une analyse déconnectée « par rubrique » du mémoire technique mais doit, d’une part, faire l’effort de rechercher si des « des mentions éparses mais nombreuses et cohérentes » existent dans le mémoire technique pour l’analyse d’un critère ou sous critère et, d’autre part, s’abstenir d’indiquer qu’une offre ne comporte « aucune » mention « nonobstant la circonstance que les éléments exposés par la société … aient été succincts et peu précis » alors même qu’est relevée l’existence « de mentions peu claires sur ce sujet dans l’offre d’une société concurrente » ([TA Cergy-Pontoise, 9 mars 2020, n° 2001861 [5]).
Mieux vaut écrire que les mesures proposées sur tel ou tel critère ne sont pas suffisantes, pas assez précises ou trop générales, plutôt que de prétendre qu’il n’y a « aucune » mesure.
Nicolas Pillet, avocat inscrit au barreau de ParisCet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).