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Courriels à caractère raciste et xénophobe via la messagerie professionnelle et respect de la vie privée. Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
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Parution : mardi 19 mars 2024
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La question soumise à la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 2024 (Cass.soc. 06 mars 2024 n°22-11.016 FS-B) était de savoir si un employeur peut fonder un licenciement sur le contenu de messages, qui avaient été envoyés au moyen de la messagerie professionnelle, mais relevaient de la vie personnelle du salarié :
L’employeur n’en avait eu connaissance que suite à une erreur d’envoi de l’un des destinataires.
On rappellera utilement que la Cour de Cassation dans un arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (Cass. ass. plén., 22 déc.2023 n° 21-11.330) consolidant une jurisprudence de la chambre sociale, confirme que le licenciement disciplinaire du salarié ne peut pas être fondé sur une conversation privée par messagerie personnelle lorsqu’il n’y a aucun manquement du salarié à ses obligations professionnelles.
Dans ce cas, la question de la preuve ne se pose pas.
Dans cette affaire, l’intérimaire, chargé de remplacer un salarié en congés, avait utilisé son poste informatique.
Le compte Facebook du salarié absent était resté ouvert sur cet ordinateur, laissant l’intérimaire prendre connaissance d’une conversation par messagerie Facebook qui y avait été tenue à son sujet.
Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique.
L’intérimaire a transmis cette conversation à leur employeur. Le salarié ayant tenu ces propos via Facebook a été licencié pour faute grave, puis il a contesté ce licenciement.
Selon lui, le juge ne pouvait tenir compte de ses conversations par messagerie Facebook car leur utilisation remettait en cause le principe de loyauté de la preuve et portait atteinte au respect de sa vie privée.
La cour d’appel a écarté des débats cette conversation par messagerie Facebook et a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse ; aucune autre preuve ne permettant de démontrer la faute commise par le salarié.
(A contrario : sur la preuve illicite voir l’article : Même illicites les enregistrements d’une vidéo surveillance peuvent justifier un licenciement pour faute).
Une salariée a été engagée, en qualité de technicienne de prestations, par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du Tarn-et-Garonne, à compter du 1ᵉʳ février 1981.
Contestant son licenciement, prononcé pour faute grave par lettre du 16 mars 2017, la salariée a saisi la juridiction prud’homale.
La Cour d’appel de Toulouse a estimé que son licenciement n’était pas justifié.
La CPAM du Tarn-et-Garonne faisait valoir notamment que :
La CPAM reprochait à la cour d’appel d’avoir écarté la qualification de faute grave au prétexte que les courriels litigieux avaient été adressés dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe sans avoir vocation à devenir publics, la salariée ne tenant, selon elle, aucun propos raciste ou xénophobe dans la sphère professionnelle.
Les arguments de la CPAM n’ont pas convaincu la chambre sociale et le pourvoi est rejeté.
Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.
Il en résulte qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
La cour d’appel a d’abord constaté que les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics et n’avaient été connus par l’employeur que suite à une erreur d’envoi de l’un des destinataires.
Si l’article 26 du règlement intérieur interdisait aux salariés d’utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements appartenant à la caisse, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abusait pas et, qu’en l’espèce, l’envoi de neuf messages privés en l’espace de onze mois ne saurait être jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu.
En conséquence, la cour d’appel en a exactement déduit que l’employeur ne pouvait, pour procéder au licenciement de la salariée, se fonder sur le contenu des messages litigieux, qui relevaient de sa vie personnelle.
Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, de sorte qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
L’employeur ne peut donc pas fonder un licenciement sur des messages même envoyés via la messagerie professionnelle, s’inscrivant dans le cadre d’échanges privés, à l’intérieur d’un groupe de personnes, et n’ayant pas vocation à devenir publics.
Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Barreau des Hauts de Seine Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.frCet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).