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La théorie de la forme juste et utile : une contribution pour la réforme du CPC marocain. Par M’hamed Segame, Avocat.
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Parution : mercredi 24 avril 2024
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C’est à l’occasion de la réforme du Code de procédure civile marocain et de la discussion au parlement de l’actuel projet de ce code qu’est née une réflexion sur les finalités de la forme. Quels questionnements faut-il poser aujourd’hui à propos des différentes règles de procédure contenues dans le projet du Code de procédure civile actuellement soumis au parlement ? Faut-il toujours maintenir les mêmes règles qui doivent aujourd’hui être dépassées dans la mesure où elles peuvent causer, dans certaines situations précises, beaucoup de torts aux justiciables qui viennent aux tribunaux chercher la protection et la garantie de leurs droits ? Faut-il continuer encore à sacraliser des règles de procédure et de forme qui ne réalisent pas totalement la vraie justice et qui peuvent ne pas avoir une certaine utilité pour le dénouement des litiges soumis aux différentes juridictions ?
Ces interrogations se justifient sensiblement en raison des abus qui peuvent être commis au détriment des justiciables au nom du respect des règles de forme et de procédure. Au lieu de rechercher le fond des droits, certaines décisions judiciaires s’ingénient à faire imposer ces règles de forme et de procédure au préjudice de la recherche de la justice et de l’équité.
La forme et le formalisme ne doivent pas être un obstacle à la réalisation d’une bonne justice, bien au contraire, ils doivent concourir sensiblement à la sauvegarde des droits des différentes parties impliquées dans un procès civil. Une décision de justice déclarant irrecevable une demande en justice ou un recours judiciaire en raison d’un vice de forme alors qu’il est parfaitement possible de régulariser la procédure, doit être considérée comme étant une décision abusive et injuste. L’irrecevabilité ne peut être admise que s’il est impossible de régulariser la procédure par une requête ou une demande rectificative ; le juge doit chercher à rendre la justice et non à faire imposer des règles de forme qui peuvent parfois avoir un rôle très accessoire dans un procès civil.
Accorder une importance capitale à la théorie de la forme juste et utile ne signifie nullement l’abandon des règles de forme et de procédure qui réalisent effectivement et concrètement et dans une certaine mesure l’équité à l’occasion d’un procès civil. C’est la bonne compréhension de ces règles qui leur donne leur pleine utilité et efficacité ; si au contraire, elles ne sont pas bien assimilées, elles deviennent une entrave à la fonction essentielle de la justice qui est celle de rendre la justice.
L’intérêt de ces interrogations s’impose en urgence en raison des discussions et des débats qui ont lieu actuellement à l’occasion de l’adoption imminente par le parlement marocain, durant la session du printemps 2024, du projet du Code de procédure civile.
Le projet en question, contenant 644 articles, propose du point de vue de la forme, un nouveau texte en remplacement du texte actuel de la procédure civile en vigueur depuis le 28 septembre 1974. Proposer une nouvelle mouture doit en principe représenter une nouvelle vision du droit de la forme surtout après un demi-siècle d’application du texte de 1974. Une nouvelle approche du droit de la forme et de la procédure doit en principe être l’humus profond de l’actuel projet. Si ce n’est pas le cas, il aurait fallu tout simplement se suffire à l’amendement de quelques dispositions légales tout en sauvegardant le CPC actuel.
Certaines préoccupations majeures doivent à notre sens motiver l’adoption de l’actuel projet :
La discussion de ces règles doit aboutir normalement à l’adoption d’une nouvelle conception de la procédure civile à savoir que ses règles doivent être justes et utiles et c’est ce qui justifie la théorie de la forme juste et utile. Toute règle de forme ou de procédure qui ne revêt pas ces deux caractères doit purement et simplement être écartée. Une règle de forme ou de procédure n’a pas de finalité en soi ; elle ne se justifie que si elle est réellement et effectivement juste et utile.
L’actuel Code de procédure civile adopte une conception très relative de la théorie de la forme juste et utile ; l’article 49 du CPC consacre la règle selon laquelle il n’y a pas de nullité sans grief ; la nullité de la procédure ne peut être prononcée par le juge que si les intérêts de la partie qui invoque cette nullité ont été lésés en fait. En d’autres termes, les exceptions visant à déclarer la nullité de la procédure ne peuvent être reçues que si un préjudice est établi du fait de l’irrégularité de la procédure ; dans le cas contraire, le juge doit rejeter de telles exceptions.
La seconde règle se rattachant à l’application des dispositions de l’article 49 du CPC relève de l’ordre qu’il est impératif de respecter en soulevant les exceptions de forme ; il y a lieu de soulever les exceptions de nullité de la procédure in limine litis, c’est-à-dire, au début de la procédure et avant tout débat au fond.
Ces quelques règles traduisant l’application quelques aspects de la théorie de la forme juste et utile ne sont pas d’un grand apport dans la recherche d’une justice efficiente et efficace dans la mesure où le Code de procédure civile actuel lui-même consacre des injustices flagrantes dans la sanction de l’inobservation de certaines règles de forme et qui peuvent parfaitement être régularisées à tout moment de la procédure. L’on donnera juste quelques exemples pris dans ce code et qui traduisent de l’incompréhension de l’esprit des règles de forme.
Le CPC, dans certains cas, consacre la passivité du juge dans la régularisation des conditions de forme nécessaires pour la recevabilité de la demande en justice. Le dernier alinéa de l’article 32 du CPC ne fait de l’intervention du juge dans la régularisation de la procédure qu’une simple éventualité ; aucun texte n’impose au juge d’intervenir d’office en mettant en demeure la partie dont la demande judiciaire est viciée d’avoir à régulariser la procédure. En d’autres termes et en application de l’actuel CPC, si le juge constate l’irrégularité de la demande en justice, il est en droit de prononcer l’irrecevabilité de cette demande sans avoir à en aviser préalablement la partie ayant introduit cette demande.
Dans la pratique et même en l’application des dispositions de l’article premier du CPC qui sont d’ordre public, de très nombreuses demandes en justice sont déclarées irrecevables alors que les juges sont tenus grâce à la loi de mettre en demeure la partie concernée d’avoir à régulariser la procédure dans un délai qu’ils déterminent. Le même article premier ne prévoit aucune solution positive si une décision d’irrecevabilité est prononcée en violation de l’obligation faite au juge de procéder à la mise en demeure dont il est parlé dans cet article. La demande déclarée irrecevable doit être présentée une seconde fois devant le même tribunal en acquittant une nouvelle fois les taxes judiciaires qui ont été déjà acquittées ; ainsi, le procès perdure inutilement dans le temps et le coût de la procédure devient très pesant pour le justiciable. Sur ce point, le CPC actuel n’apporte aucune solution équitable et juste. L’actuel projet reste également muet sur ce point ; la taxe doit être acquittée une seconde fois en violation d’un grand principe qui veut que les taxes, quelle que soit leur nature, ne doivent être payées qu’une seule fois.
Dans certaines situations, les solutions retenues par le CPC sont radicales et se détournent totalement de l’esprit profond des règles de forme et de procédure. L’actuel CPC, d’ailleurs comme l’actuel projet, consacre expressément des sanctions draconiennes si les règles de forme ne sont pas respectées à la lettre. L’on donnera un seul exemple tiré de l’article 355 du CPC qui sanctionne par l’irrecevabilité toute requête de cassation ne mentionnant pas les indications de forme contenues dans cet article. Aux termes de cette disposition légale du CPC « la requête doit, à peine d’irrecevabilité indiquer les noms, prénoms et domiciles réels des parties et contenir un exposé sommaire des faits et moyens ainsi que les conclusions ». Les sanctions prévues dans l’article 355 du CPC sont injustifiées pour les raisons suivantes :
Dans la présente étude, qui est d’ailleurs très succincte, nous nous contentons de donner quelques exemples de règles qui faussent l’esprit de la théorie de la forme juste et utile. De prime abord, nous constaterons que l’actuel projet ne consacre aucune avancée par rapport aux règles contenues dans l’actuel CPC ; bien plutôt, la sanction de la violation des règles de forme sont aggravées et on retrouve dans ce projet certaines solutions retenues exceptionnellement par les rédacteurs de ce projet cherchant à atténuer la rigueur des sanctions se rapportant aux conditions de forme et de procédure.
Nous exposons sommairement quelques remarques qui traduisent de l’incohérence de ce projet par rapport aux grands objectifs moraux et philosophiques des règles de la procédure civile. Un nouveau code contenant 644 articles mériterait que l’on s’y attarde quelque peu et serait peut-être l’occasion de voir les choses autrement. En plus que les règles de procédure doivent être perçues autrement, le droit de la forme renferme en son sein le fond du droit, l’âme de la demande en justice, si bien sûr cette demande est fondée et largement justifiée. Les juges ont le devoir de protéger l’âme de cette demande et de la préserver contre toutes les exceptions de procédure qui tendent à la tronquer, voire même à l’anéantir.
À titre d’illustration, l’actuel projet au lieu d’appliquer l’esprit de la théorie de la forme juste et équitable, accentue la rigueur de sanctions de l’inobservation des règles de forme et ce en comparaison avec l’actuel code. L’article 77 du projet évoque expressément l’irrecevabilité de la demande introductive d’instance si les indications prévues dans cet article ne sont pas mentionnées. L’actuel article 32 du CPC ne contient pas une telle sanction même si cette disposition légale revêt un caractère impératif. L’article 77 du projet maintient le même rôle passif du juge qui peut prononcer l’irrecevabilité de la demande en justice sans mettre en demeure le demandeur d’avoir à régulariser la procédure. En même temps, le même article permet au juge de jouer un rôle positif en communiquant au demandeur l’irrégularité d’une requête non signée et en lui permettant par la même occasion de parfaire cette imperfection. Si cette règle répond parfaitement à l’esprit de la théorie de la forme juste et utile, le même article 77 du projet semble fausser totalement les règles de cette théorie en refusant d’appliquer la même logique lorsque la défaillance concerne les autres indications et mentions de forme prescrites dans ce projet de code. Il y a lieu de s’interroger sur les raisons de la différence du traitement opéré entre les différentes conditions de forme. A titre d’exemple et à travers l’article 77 du projet, on se demandera quelle différence à faire entre une requête non signée et une requête ne mentionnant pas le domicile des parties ? La première irrégularité peut être rattrapée à l’initiative du juge ; la seconde irrégularité entrainera l’irrecevabilité de la demande par décision du même juge.
Subséquemment, dans le cadre d’une procédure diligentée devant la cour d’appel, l’article 216 du projet du CPC retient la même solution prévue dans l’article 77 du projet et ce concernant les requêtes d’appel non signées. Nous retenons les mêmes remarques concernant les autres mentions de forme exigées à la présentation d’une requête d’appel.
S’agissant des requêtes de cassation, l’article 377 du projet du CPC retient toujours la même solution pour les requêtes non signées et maintient la même sévérité et rigueur pour les autres mentions de forme que doit indiquer cette requête. Cette façon de voir les choses doit changer complètement en appliquant les règles et les principes se rattachant à l’application de la théorie de la forme juste et utile.
La théorie de la forme juste et utile veut que la taxe judiciaire ne doit être payée qu’une seule fois. Si la demande initiale est déclarée irrecevable, le demandeur doit être exonéré de payer une seconde fois les mêmes taxes judiciaires. Il en est de même s’il doit interjeter appel contre une décision rendue par une juridiction du premier degré prononçant l’irrecevabilité ou le rejet de la demande.
Par ailleurs, l’actuel projet dans l’article 215 consacre une contradiction notoire concernant l’exonération du paiement de la taxe judiciaire selon la nature de l’affaire qui doit faire l’objet d’un recours en appel. S’il s’agit d’une affaire administrative, l’exonération est totale. L’exonération n’est pas possible si l’affaire est civile ou commerciale. En plus que la taxe judiciaire ne doit être acquittée qu’une seule fois pour la même demande, les règles instituées dans l’actuel projet et même dans l’état actuel des choses sont anticonstitutionnelles.
Nous avons jugé bon de présenter quelques imperfections qui sévissent toujours dans le Code de procédure civile et qui sont maintenues sinon aggravées dans le présent projet de Code de procédure civile. La théorie de la forme juste et utile impose que les vices de forme doivent toujours être régularisés dans la mesure où la finalité de la forme et de la procédure c’est de réaliser un objectif utile à savoir l’équité et la justice. Il faut cesser de sacraliser les règles de forme et de procédure qui peuvent à tout moment être régularisées si jamais elles se trouvent viciées.
En vertu de la théorie de la forme juste et utile, l’on peut titrer quelques conclusions :
Aux termes de cette étude très concise, nous proposons de changer certaines dispositions contenues dans l’actuel projet du CPC. Une formule générale respectant l’esprit de la théorie de la forme juste et utile doit être présentée de la manière suivante :
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CELA FAIT PENSER A LA METHODE DITE "" DE L’EFFET UTILE "" QUI EST APPLIQUEE EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC EN MATIERE D’INTERPRETATION DES TRAITES