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La location-gérance de fonds de commerce dans l’espace OHADA, par Elhadji Mame Gning, Avocat
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Parution : jeudi 12 février 2009
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Pôle essentiel du développement de l’activité de l’opérateur, le fonds de commerce a fait l’objet d’une certaine attention du législateur OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) qui s’est employé à mettre en place un outil le plus performant possible pour les opérateurs économiques.
Cette approche se retrouve dans le régime de la location-gérance du fonds de commerce analysé dans cet article. Après des informations générales, la présentation des conditions de formation des conventions de location - gérance, de leur durée d’exécution et de la situation des parties en fin de location - gérance, l’auteur constate que ce régime a été relativement simplifié de manière à rendre cette technique contractuelle :
attrayante pour les opérateurs économiques, grâce à son formalisme minimal, et
économiquement performante, en l’épurant de ce qu’elle avait pu comporter d’excessif dans son fonctionnement, notamment l’institution d’une solidarité de longue durée entre le bailleur et le locataire - gérant.
INTRODUCTION
1- Le fonds de commerce peut faire l’objet d’une exploitation directe par le commerçant qui s’investit personnellement ou de manière indirecte, dans le cadre d’un contrat de location - gérance.
1-1 La location - gérance est réglementée par les articles 106 à 114 du chapitre 2 du titre II de l’acte uniforme OHADA relatif au droit commercial général.
1-2 Ainsi l’article 106 de l’acte uniforme OHADA susvisé définit la location - gérance dans les termes suivants "... une convention par laquelle, le propriétaire du fonds de commerce, personne physique ou morale en concède la location, à un gérant, personne physique ou morale qui l’exploite à ses risques et périls"
1-3 Nous précisons que la location - gérance peut porter aussi bien sur tout ou partie du fonds de commerce dont l’exploitation entière ou partielle, est confiée au gérant - libre, moyennant paiement d’une redevance par ce dernier au propriétaire du fonds.
1-4 Cette forme d’exploitation faite aux risques et périls du locataire gérant peut aider à sauvegarder la clientèle d’un fonds, le temps de régler une succession, ou permettre à un mineur encore incapable d’exercer un commerce, que l’exploitation se poursuive jusqu’à sa majorité, ou bien encore rendre possible, sous de nombreuses législations et dans des conditions exceptionnelles, la continuation de l’exploitation d’une société en redressement judiciaire.
1-5 D’autre part, ce type d’exploitation constitue un excellent outil pour un commerçant qui avant son installation définitive, entend tester le marché, en faisant une sorte d’essai, situation dans laquelle, la technique de la location - gérance lui aura ainsi permis de créer un système d’incubation pour son entreprise , n’ayant pas nécessité de gros investissements...Elle constitue également, une excellente technique juridique de gestion décentralisée, dans le secteur de la distribution ,à l’usage des pétroliers, notamment, par l’implantation de stations service.
1-6 Ne perdons pas de vue que la location - gérance est une situation qui revêt un caractère plutôt provisoire, de courte ou moyenne durée. Durant cette période, le locataire - gérant exploite, et à la fin du contrat il remet en l’état le fonds de commerce au propriétaire.
Nous examinerons tour à tour, les conditions de formation d’une convention de location - gérance (A), sa durée d’exécution (B) et la situation des parties en fin de location - gérance.(C).
A - CONDITIONS DE LA LOCATION - GERANCE.
2- Tout contrat de location - gérance doit être publié dans les quinze (15) jours de la signature, sous forme d’extrait dans un journal d’annonces légales et le bailleur doit modifier l’inscription qui le concerne au registre de commerce et du crédit mobilier, par la mention de la mise en location - gérance de son fonds.
2-1 Le locataire-gérant est astreint aux mêmes formalités d’inscription au registre de commerce. Il est en outre tenu d’indiquer sur tous ses documents d’affaires, la nature de l’exploitation du fonds de commerce.
2-2 Le concédant de la location - gérance, personne physique ou morale a pour obligation d’avoir été pendant deux (2) ans, commerçant ou d’avoir exercé pendant une durée équivalente des fonctions de gérant ou de directeur commercial ou technique d’une société ; ou d’avoir exploité pendant une année au moins en qualité de commerçant, le fonds de commerce mis en gérance.
2-3 Il est a noter que les délais susvisés peuvent être réduits ou supprimes par ordonnance du président du tribunal de grande instance du ressort du principal lieu d’exploitation du fonds, pour des impossibilités d’exploitation dûment justifiées.
2-4 Il y a lieu de préciser, toutefois, que ces délais requis du concédant pour la mise en location - gérance de son fonds de commerce ne concernent pas :
l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les personnes devenues incapables, en ce qui concerne le fonds dont elles étaient propriétaires, avant la survenance de l’incapacité ;
les héritiers ou légataires d’un commerçant, en ce qui regarde le fonds exploité par ce dernier,
les mandataires de justice chargés de l’exploitation d’un commerce, à condition qu’ils aient été autorisés par la juridiction qui les a désignés et qu’ils aient satisfait aux mesures de publicité prévues en matière de location - gérance.
2-5 Détail d’importance, l’exploitation du fonds de commerce aux risques et périls du locataire - gérant n’est pas immédiate. En effet, jusqu’à la publication au journal d’annonces légales du contrat de location - gérance, le propriétaire reste solidairement responsable des dettes de son locataire, contractées pour l’exploitation du fonds de commerce.
2-6 Par ailleurs, l’action en déchéance du terme des obligations du propriétaire du fonds peut-être intentée à l’initiative de toute personne intéressée, dans le bref délais de trois mois, à dater de la publication au journal d’annonces légales du contrat de location - gérance, sous peine de forclusion. La déchéance du terme qui rend immédiatement exigibles les dettes du propriétaire du fonds de commerce est prononcée par le tribunal de Grande instance lorsqu’il estime que la mise en location - gérance du fonds met en péril leur recouvrement.
2-7 En contre partie de cette location, un loyer est versé par le locataire gérant, loyer qui peut être fixe ou variable en fonction du chiffre d’affaire ou des bénéfices nets nés de l’exploitation du fonds, à condition d’une stipulation contractuelle expresse.
B - DUREE DE LA LOCATION GERANCB GERANCE
3- L’acte uniforme OHADA sur le droit commercial général n’impartit aucune condition de durée au chapitre de la location - gérance. Les parties sont alors libres de fixer par voie de dispositions contractuelles la durée de la location - gérance.
3-1 Rien n’interdit non plus aux parties de ne pas indiquer de durée, auquel cas la location - gérance sera à durée indéterminée.
3-2 Toutefois il y a lieu de préciser que le contrat de location - gérance n’étant pas une situation de longue durée, il excède rarement trois ans (3).
C- FIN DE LA LOCATION GERANCE
4- LES CAUSES METTANT FIN AU CONTRAT DE LOCATION - GERANCE .
4-1 L’arrivée du terme stipulé met fin au contrat de location gérance à durée déterminée, sauf clause de reconduction tacite initialement prévue au contrat.
4-2 La tacite reconduction s’opère pour une durée indéterminée, s’il n’est pas justifié que le bail a été conclu pour des périodes successives. Le contrat tacitement reconduit ne donne lieu à aucune publicité nouvelle.
4-3 Si le contrat de location -gérance est à durée indéterminée, chacune des parties pourra y mettre valablement fin en donnant congé.
En l’absence de dispositions OHADA particulières, les parties peuvent procéder à toutes sortes d’aménagements contractuels, notamment en édictant des règles de forme, de fond ou de procédure appropriées pour mettre fin au contrat.
4-4 En pratique, le contrat lui même précise le délai de préavis ; à défaut il y aura lieu de se référer aux usages ou à l’équité. Les tribunaux peuvent accorder des délais plus longs, s’il s’avère que le préavis donné par l’une des parties paraît trop court.
4-5 Le contrat peut prendre fin à la suite d’une résiliation amiable pour défaut d’exécution par le gérant ou le propriétaire de leurs obligations respectives, (exploitation insuffisante par le gérant, troubles de fait ou de droit provenant de tiers auxquels le bailleur n’aura pas réussi à mettre un terme). Il arrive qu’une partie au contrat cherche à mettre fin aux relations contractuelles par l’exercice d’une clause résolutoire de plein droit dont elle fait constater l’existence devant les tribunaux, au cas de non paiement de redevance ou d’inexécution par le gérant ou le bailleur, des clauses et conditions de la convention, dûment constatés, suite à une sommation restée infructueuse, après un certain nombre de jours.
4-6 Le prononcé de la nullité du contrat de location - gérance entraîne la fin du contrat.
Cette nullité est encourue lorsque le contrat ne remplit pas les conditions nécessaires à sa validité. Nous relevons toute fois que la violation des dispositions relatives à la publicité du contrat qui n’ont pour objet que l’information des tiers ne peut entraîner une annulation. L’annulation du contrat de location - gérance n’a d’effets qu’entre les parties.
4-7 De même le décès du gérant ou l’impossibilité juridique ou de fait, pour celui-ci de continuer l’exploitation, pour cause d’emprisonnement ferme de longue durée, de maladie, d’incapacité physique, de faillite personnelle, d’interdiction d’exercer le commerce ou encore pour toute autre cause reconnue légitime entraînent la fin du contrat de location - gérance.
4-8 Enfin la déclaration de cessation des paiements prononcée par décision de justice met fin au contrat de location- gérance, en dépit d’une clause contraire de maintien, ceci, en raison du caractère intuitu personae du contrat vis-à-vis du gérant (article 107 de l’acte uniforme OHADA sur les procédures collectives d’apurement du passif).
5- DROITS ET OBLIGATION DES PARTIES EN FIN DE GERANCE - FORMALITES REQUISES
5-1 A l’inverse du statut des baux commerciaux, le locataire - gérant ne bénéficie pas du droit au renouvellement du bail.
5-2 Au terme du contrat, à moins d’une clause de reconduction , le locataire doit restituer le fonds. Si cette restitution n’a pas lieu de plein gré, l’expulsion sera poursuivie devant le tribunal de Grande instance.
5-3 La fin du contrat rend immédiatement exigibles les dettes afférentes à l’exploitation du fonds, contractées par le locataire - gérant pendant la durée de la gérance.
5-4 La fin de la gérance donne lieu aux mêmes mesures de publicité que la mise en gérance : mention au registre de commerce dans le délais d’un mois à compter de la cessation d’activité du gérant (la même formalité incombe au propriétaire du fonds ,dans le mois suivant sa reprise d’activité) et insertion dans un journal d’annonces légales dans les quinze jours qui suivent la fin de la gérance.
5-5 Le défaut de publication de la fin de la gérance entraîne comme sanction, son inopposabilité aux tiers qui sont censés ne pas connaître la situation juridique nouvellement créée.
5-6 Faute par le gérant de demander sa radiation dans les délais prescrits, le greffe y procédera sur décision du Tribunal de Grande instance, saisi à la requête du propriétaire, sans préjudice des dommages- intérêts qui pourront être réclamés. La radiation doit faire l’objet d’une insertion dans un journal d’annonces légales (Article 36 de l’acte uniforme sur le droit commercial général).
CONCLUSION
L’impression générale qui se dégage de cette présentation panoramique à caractère informationnel est la permanence d’une option prise par le législateur OHADA de simplifier au maximum la législation communautaire. Ainsi, cette technique contractuelle économiquement performante qu’est la location gérance de fonds de commerce, a été épurée de ce qu’elle avait pu comporter d’excessif dans son fonctionnement, notamment l’institution d’une solidarité de longue durée entre le bailleur et le locataire - gérant. Par ce fait, le législateur communautaire a incontestablement rétabli une justice contractuelle dont le déséquilibre né d’une confusion de situations juridiques constatée dans des législations antérieures n’était que dommageable.
D’autre part, la simplification résulte aussi du fait notoire que, aucune règle de forme précise n’est exigée, pour la formation du contrat de location - gérance ; un simple écrit suffit, le législateur s’étant résolument départi,nous l’espérons,du démon du dirigisme contractuel ,en rendant aux parties au contrat dont le professionnalisme est requis, toute initiative en la matière, tout en manifestant sa volonté d’exercer ses prérogatives de créer un cadre juridique propice au bon développement des affaires en Afrique.
Par Maitre Elhadji Mame GNING
Avocat au Barreau du Sénégal
Ancien Chargé d’Enseignement
Université Gaston Berger-St-Louis
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