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Licenciement pour inaptitude d’une salariée travailleur handicapé : la Cour de Cassation peu protectrice. Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.
Parution : jeudi 27 juin 2024
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Par un arrêt rendu le 15 mai 2024 (n°22-11.652), la Cour de cassation s’est prononcée sur la nullité du licenciement d’une salariée au statut de travailleur handicapé.
En application de l’article L1134-1 du Code du travail selon lequel « il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination », la Cour de cassation décide, que si le refus de l’employeur de prendre les mesures appropriées pour permettre au travailleur handicapé de conserver un emploi caractérise une discrimination à raison du handicap et rend nul le licenciement consécutif, la simple omission de prendre en compte le statut de travailleur handicapé et de lui proposer des mesures particulières ne permet pas de justifier la nullité du licenciement.

I. Faits et procédure.

Une salariée engagée en qualité d’agent de nettoyage a été victime d’un accident de travail à la suite duquel elle a été déclarée inapte au poste d’agent de service par le médecin du travail, et le statut de travailleur handicapé lui a été reconnu par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

La salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, par lettre du 9 novembre 2015.

Par un arrêt rendu le 9 décembre 2021, la Cour d’appel de Paris déclare le licenciement nul, au motif que la société n’a pas pris en compte le statut de travailleur handicapé de la salariée et ne lui a proposé aucune mesure particulière dans le cadre de la recherche de reclassement.

L’employeur se pourvoit en cassation sur le fondement des articles L5213-6 et L1133-3 du Code du travail, selon lesquels respectivement,

« afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l’article L5212-13 d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée »,

et

« les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées ».

II. Moyens.

L’employeur fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de déclarer nul le licenciement de la salariée et de le condamner ainsi à lui payer plusieurs sommes afférentes pour licenciement nul.

Pour appuyer son pourvoi devant la Cour de cassation, l’employeur rappelle que

« seul le refus de l’employeur de prendre les mesures appropriées pour permettre au travailleur handicapé de conserver un emploi caractérise une discrimination à raison du handicap, et rend nul le licenciement consécutif ».

A cet égard, l’employeur souligne que la cour d’appel s’est bornée à relever que la société n’avait pas pris en compte le statut de travailleur handicapé de la salariée et ne lui avait proposé aucune mesure particulière dans le cadre de la recherche de reclassement.

En effet, l’employeur consent que le statut de travailleur handicapé n’a pas été évoqué lors de la consultation des délégués du personnel le 15 octobre 2015 dans le cadre de la recherche de reclassement.

Toutefois, l’employeur reproche à la cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur des motifs qui ne font ressortir qu’une omission de prendre en compte le statut de travailleur handicapé, et non un refus de l’employeur de prendre les mesures appropriées pour permettre à la salariée de conserver un emploi.

De cette manière, le demandeur au pourvoi devant la Cour de cassation présente et défend une distinction entre l’omission et le refus, de la prise en compte du statut de travailleur handicapé, distinction aux conséquences importantes sur la caractérisation ou non, de la nullité du licenciement de la salariée.

III. Solution.

L’omission, et non le refus, de la prise en compte du statut de travailleur handicapé d’un salarié dans le cadre de la recherche de reclassement, peut-elle justifier la nullité de son licenciement ?

La Cour de cassation répond par la négative au visa de l’article L1134-1 du Code du travail, selon lequel, « il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination », et au visa des articles L5213-6, L1133-3, L1133-4 et L1134-1 du Code du travail, les articles 2, 5 et 27 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées signée à New York le 30 mars 2007 et les articles 2§2 et 5 de la directive du Conseil 2000/78/CE du 27 novembre 2000, dispositions qui permettent de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, et de lutter contre la discrimination.

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’en premier lieu, le juge doit rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l’employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures.

En second lieu, il appartient au juge de rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre.

A cet égard, la Cour de cassation retient que la cour d’appel n’a pas fait application des dispositions de l’article L1134-1 du Code du travail, mais seulement application de l’article L5213-6 du Code du travail, selon lequel

« le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L1133-3 ».

Or, l’article L1134-1 du Code du travail commande de considérer les preuves de la partie défenderesse, ici l’employeur, selon lesquelles sa décision de licencier la salariée au statut de travailleur handicapé est justifiée par des éléments objectifs à toute discrimination.

Ainsi, selon la Cour de cassation, il ne suffit pas de retenir objectivement que le statut de travailleur handicapé d’un salarié n’a pas été considéré et qu’aucune mesure particulière ne lui a été proposé dans le cadre de la recherche de reclassement, pour venir justifier la nullité du licenciement.

Au contraire, il appartient au juge du fond de considérer les éléments objectifs à toute discrimination, rapportés par l’employeur, dont la simple omission, et non le refus, de prendre en compte le statut de travailleur handicapé dans le cadre de la recherche de reclassement.

Par conséquent, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris est cassé et annulé en ce qu’il dit le licenciement de la salariée nul, et en ce qu’il condamne l’employeur à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement nul.

La solution de la Cour de cassation est très peu protectrice des salariés au statut de travailleur handicapé au profit d’une interprétation combinée, stricte et littérale des articles L5213-6 et L1134-1 du Code du travail qui consacre, une distinction fragile entre refus et omission de considérer le statut de travailleur handicapé.

Source.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 mai 2024, 22-11.652, Publié au bulletin

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) Sarah Bouschbacher, Juriste M2 Propriété intellectuelle Paris 2 Assas Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

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