Village de la Justice www.village-justice.com

Le contrôle des comptes de gestion du majeur protégé. Par Léo Olivier, Avocat.
Parution : jeudi 18 juillet 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/controle-des-comptes-gestion-majeur-protege,50271.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le saviez-vous ? Depuis mars 2019, le juge des tutelles peut désigner un nouvel acteur : le contrôleur des comptes de gestion du majeur protégé.

Il aura fallu attendre cinq ans pour que paraissent les trois textes d’applications permettant sa mise en œuvre effective.

Entrés en vigueur les 4 et 5 juillet 2024, le décret n° 2024-659 du 2 juillet 2024 et les arrêtés du 4 juillet viennent ainsi préciser :

  • Les conditions de désignation de la personne habilitée à réaliser ce contrôle ;
  • Les conditions de mise en œuvre de la mission de vérification et d’approbation des comptes de gestion de la personne protégée.

I. Un bref rappel historique.

Précédemment, la tâche de contrôler les comptes de gestion incombait essentiellement aux directeurs de greffe judiciaire.

En 2016, la Cour des comptes [1] tout comme le Défenseur des droits [2] s’étaient émus dans leurs rapports respectifs dédiés à la protection juridique des majeurs : « exception faite de quelques greffes, la procédure d’examen des comptes rendus est largement inopérante. Il s’agit d’une situation alarmante et gravement préjudiciable aux personnes protégées comme aux mandataires ».

Ces défaillances résultaient notamment du manque de moyens humains consacrés à cette mission et du manque de formation en la matière.

Ainsi, la loi de programmation et de réforme pour la justice 2018-2022 [3] est venue assouplir les conditions de contrôle pour les patrimoines les plus modestes et a réécrit l’article 512 du Code civil, et notamment son second alinéa comme suit :

« […] lorsque l’importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, le juge désigne, dès réception de l’inventaire du budget prévisionnel, un professionnel qualifié chargé de la vérification et de l’approbation des comptes dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Le juge fixe dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à ce professionnel le compte de gestion, accompagné de pièces justificatives, en vue de ces opérations ».

Au titre des dispositions transitoires, il était prévu que l’entrée en vigueur de ce point soit différée, au plus tard, au 31 décembre 2023. La vérification et l’approbation des comptes annuels de gestion établis antérieurement à cette date restent dévolues au directeur des services de greffe judiciaires.

Le décret du 2 juillet prévoit ainsi que rétroactivement, si d’aventure des professionnels qualifiés avaient été désignés entre le 1er janvier et le 4 juillet 2024 sera réputé valablement désigner pour toute la durée de sa mission.

Gageons, que si cette hypothèse apparaît peu probable en pratique en l’absence de décret d’application, elle tend à assurer une cohérence juridique des textes.

II. Les conditions de désignation de la personne habilitée.

Dès le jugement d’ouverture de la mesure, et à tout moment, le juge du contentieux de la protection (ex-juge des tutelles) peut désigner un professionnel aux fins de vérification et d’approbation des comptes de la personne protégée dès lors qu’il remplit les conditions suivantes.

1. Les pré-requis.

Article 1257-2 du Code de procédure civile (ci-après CPC)

1.1. Pour les personnes physiques.

4 conditions cumulatives :

Sont dispensés de justifier de ces conditions : les notaires, les commissaires de justice, les commissaires aux comptes et les mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

1.2. Pour les personnes morales.

La personne morale doit remplir 3 conditions cumulatives :

En outre, ses dirigeants et chaque personne susceptible d’exercer cette mission pour le compte de la personne morale doit remplir les conditions requises pour les personnes physiques, à l’exception de l’assurance qui est déjà couverte par celle souscrite par la personne morale.

2. L’inscription sur la liste du Procureur de la République.

Article 1257-1 alinéa 1er du CPC

Les candidats doivent déposer la demande et les justificatifs auprès du Procureur de la République compétent, lequel vérifie que les conditions précitées soient remplies.

Le juge désigne en priorité un professionnel inscrit sur une liste spécifiquement établie par le Procureur de la République du ressort du tribunal judiciaire dont il dépend.

Si besoin, le juge pourra également piocher sur les listes établies par les procureurs de la République siégeant dans un autre tribunal judiciaire, à condition qu’il soit situé dans le ressort de la même Cour d’appel.

À titre exceptionnel, comme en matière d’expertise, le juge peut désigner un professionnel qualifié non inscrit sur l’une de ces listes dont il s’assure qu’il remplit les conditions fixées à l’article 1257-2.

3. Les incompatibilités.

Article 1257-1 alinéas 2 et 3 du CPC

Si la mesure de protection ou les fonctions de subrogé curateur ou subrogé tuteur sont déjà exercées par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ne peuvent être désignés en qualité de personne qualifiée pour effectuer la mission de contrôle :

4. La prévention des conflits d’intérêt.

Article 1257-6 du CPC.

Durant les cinq années précédant sa désignation, le professionnel qualifié ne doit pas :

En toute hypothèse, le professionnel ne doit pas : avoir d’intérêt ou de lien de parenté ou d’alliance avec le majeur protégé ou la personne désignée pour exercer la mesure de protection.

III. Les conditions de mise en œuvre de la mission de vérification et d’approbation.

1. La soumission au secret professionnel.

Article 1257-5 du CPC

La personne habilitée est tenue au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont elle a pu avoir connaissance dans le cadre de cette mission.

2. Les délais de transmissions des rapports.

Articles 1254 et 1257-9 du CPC

La transmission annuelle des attestations d’approbation et rapports de difficulté.

L’article 1254 du Code de procédure civile précise ainsi que le compte de gestion est réalisé par année civile, sauf lors de la première année, les opérations portant à compter du jour de sa désignation jusqu’au 31 décembre de l’année en cours.
La personne en charge de la mesure de protection (tuteur, curateur, personne habilitée ou mandatée) adresse annuellement ledit compte de gestion, accompagné de l’intégralité des pièces justificatives directement au juge en cas de patrimoine modeste, ou au contrôleur désigné en cas de patrimoine plus important [4].

Cette transmission doit avoir lieu avant le 30 juin de l’année suivante ; ou dans les trois mois suivant la fin de la mesure. À défaut, un rapport de difficulté sera édicté par le contrôleur [5].

La personne chargée de vérifier le compte de gestion aura alors jusqu’au 31 décembre dans le premier cas ou dans les six mois de la transmission en cas de fin de la mesure pour adresser au juge soit une attestation d’approbation ou d’un rapport de difficulté.

Une transmission récapitulative au terme de sa mission.

Au terme de sa mission, le professionnel transmet au juge l’intégralité des comptes de gestions, pièces justificatives ainsi que les attestations d’approbation et rapports de difficulté des cinq dernières années.

Pour guider les contrôleurs, la chancellerie a fixé trois modèles-types pour le compte de gestion, l’approbation du compte de gestion et le rapport de difficulté, actes obligatoires définis respectivement aux articles 510, 512 et 513-1 du code civil.

Il conviendra de se référer aux annexes de l’arrêté du Garde des Sceaux 4 juillet 2024 relatif aux modèles de compte de gestion, d’attestation d’approbation et de rapport de difficulté [6].

3. Les droits d’accès et de communication.

Article 1257-7 du CPC

Pour mener à bien sa mission, le professionnel qualifié peut obtenir, de la personne en charge de la mesure, toute pièce ou information utile pour l’accomplissement de sa mission, et avoir accès à l’entier dossier détenu au greffe.

4. La rémunération du professionnel qualifié.

L’arrêté du 4 juillet 2024 fixe proportionnellement à la fortune du majeur à protéger la rémunération du professionnel qualifié chargé du contrôle des comptes de gestion [7].

5. La sanction des manquements de la personne habilitée.

Articles 1257-4 et 1257-8 du CPC

En cas de manquement caractérisé dans l’exercice de la mission de vérification et d’approbation des comptes de gestion, le juge peut (d’office, à la demande du majeur protégé ou de la personne chargée de la mesure de protection ou du procureur de la République) dessaisir le professionnel qualifié de sa mission, après avoir donné à celui-ci la possibilité de présenter ses observations par tout moyen ; voire demander au procureur de la République de retirer cette personne de la liste des professionnels qualifiés.

En outre, plusieurs situations donneraient lieu à un dessaisissement d’office : méconnaissance de l’obligation d’information, retrait de la liste du procureur de la République, ou encore conflit d’intérêt ou incompatibilité suite à un changement de la qualité du tuteur ou subrogé en charge de la mesure.

Enfin, dans le cas où « des manquements caractérisés ou répétés dans l’exercice des missions qui leur ont été confiées » seraient relevés, l’article 1257-4 du Code de procédure civile prévoit la procédure d’exclusion des listes à l’initiative du Procureur de la République.

Léo Olivier, Avocat, Barreau de Lille.

[1La protection juridique des majeurs : une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante - Septembre 2016.

[2Rapport - Protection juridique des majeurs vulnérables 29 septembre 2016.

[3Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice.

[4Article 513 du Code civil.

[5Articles 510 et 514 Code civil

[6NOR : JUSC2417385A

[7NOR : JUSC2333314A

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).

Comentaires: