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Harcèlement moral : l’enquête interne n’est pas obligatoire. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 8 juillet 2024
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A l’égard des salariés, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité dont il doit assurer l’effectivité. Lorsqu’un harcèlement moral est allégué, l’employeur doit, normalement, diligenter une enquête interne. Dans un arrêt récent (Cass. soc. 12-6-2024, n° 23-13.975), la Cour de cassation semble toutefois revenir sur cette exigence.

1/ L’obligation de sécurité de l’employeur.

L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en menant notamment des actions de prévention des risques professionnels [1], avec une attention particulière portée aux risques liés au harcèlement moral, au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes [2].

L’article L1152-4 du Code du travail le rappelle expressément : « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ».

Pour la Cour de cassation, l’employeur doit assurer l’effectivité de son obligation de sécurité [3], ce qui implique la mise en œuvre d’actions concrètes et pertinentes.

En cas de harcèlement moral avéré, l’employeur engage sa responsabilité civile (voire pénale) sur le fondement de ces textes, s’il n’a pas pris les mesures adéquates visant à prévenir et à faire cesser de tels agissements.

A l’inverse, l’employeur qui a pris les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail et, notamment, a mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, ne manque pas à son obligation de sécurité [4].

2/ La nécessité d’une enquête interne.

Selon l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement moral et la violence au travail, invitant les employeurs à mettre en place une procédure appropriée en cas de harcèlement, « les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard ».

La Cour de cassation a pu juger que, l’employeur n’ayant entrepris aucune enquête sérieuse devant l’importance d’un conflit opposant le salarié à son responsable hiérarchique, en dépit de signalements, a manqué à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité du salarié victime de harcèlement [5].

Postérieurement, la Cour de cassation [6] a considéré que l’absence d’enquête interne, après la révélation d’un harcèlement, constitue une violation par l’employeur de son obligation de prévention des risques professionnels qui cause un préjudice à l’intéressé, même en l’absence de harcèlement.

Il semblait donc acquis que toute allégation de harcèlement moral devait donner lieu à la mise en place d’une enquête interne.

En revanche, le Code du travail ne prévoit aucune règle particulière s’agissant des modalités de cette enquête interne et la jurisprudence en a progressivement dessiné les contours, retenant notamment les solutions suivantes :

3/ L’arrêt du 12 juin 2024.

Dans cette affaire, une salariée, engagée en qualité de Directrice des ressources humaines, sollicite des dommages-intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Dans le cadre de son action, elle affirme que l’employeur n’a pris aucune mesure de nature à préserver sa santé et sa sécurité, n’ayant pas déclenché d’enquête afin de déterminer si les faits dénoncés par elle caractérisaient une situation de harcèlement moral.

Conformément à la jurisprudence applicable, son pourvoi soutient que manque à son obligation de sécurité, l’employeur qui ne prend aucune mesure et n’ordonne aucune enquête interne après dénonciation par un salarié d’agissements constitutifs d’un harcèlement moral, peu important que ces agissements soient établis ou non.

Son argumentation est rejetée par la Cour de cassation, qui approuve la cour d’appel aux motifs suivants :

Dans cet arrêt, la Cour de cassation juge donc clairement que l’enquête interne n’est pas une mesure obligatoire lorsque le salarié invoque une situation de harcèlement moral.

En revanche, quelles que soient les décisions prises par l’employeur, le juge du fond doit constater que ce dernier n’a pas manqué à son obligation de sécurité.

En d’autres termes, la Cour de cassation semble faire de l’enquête interne une mesure (parmi d’autres) permettant de faire cesser le harcèlement.

Comme le confirme le rapport de la Conseillère, la chambre sociale « n’a pas pour autant consacré le principe d’une obligation d’un employeur, alerté d’un possible harcèlement moral, de diligenter en interne une enquête ».

Xavier Berjot Avocat Associé au barreau de Paris Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. trav. art. L4121-1.

[2C. trav. art. L4121-2.

[3Cass. soc. 28-2-2006, n° 05-41.555.

[4Cass. soc. 1-06-2016, n° 14-19.702.

[5Cass. soc. 9-7-2014, n° 13-16.797.

[6Cass. 27-11-2019, n°18-10.551.

[7Cass. soc. 17-3-2021, n° 18-25.597.

[8CA Bourges 6-5-2011, n° 10-1128.

[9CA Paris 5-7-2012, n° 10-08296.

[10Cass. soc. 8-1-2020, n°18-20.151.

[11Cass. soc. 21-06-2011, n°10-11.690.

[12Cass. crim. 8-6-2010, n°10-80.570.

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