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Les basiques de la preuve dématérialisée en droit procédural civil congolais. Par Gael Ngoya, Juriste.
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Parution : jeudi 5 septembre 2024
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Dans quelle mesure l’intégration des preuves dématérialisées dans le droit procédural civil congolais améliore-t-elle l’efficacité des procédures judiciaires tout en garantissant la sécurité et la fiabilité des preuves, et comment cela impacte-t-il les droits des parties en litige ?
Cette question permet d’examiner à la fois les avantages de la dématérialisation pour accélérer les procédures et les défis liés à la sécurisation des preuves, tout en prenant en compte l’impact sur les droits des parties impliquées dans les litiges.
Dans le contexte contemporain, la dynamique socio-légale a subi une mutation significative, propulsant les considérations juridiques au cœur même du fonctionnement sociétal. Les années 2000 ont marqué un point d’inflexion majeur, caractérisé par l’impulsion de l’homme à promouvoir son environnement par le biais de progrès technologiques monumentaux. Tandis que ces avancées sont vénérées par certains comme des exploits remarquables, d’autres les perçoivent comme un retour en arrière. Toutefois, il est indéniable que ces avancées technologiques exercent une influence incontestable sur notre tissu social.
Face à cette pression techno-juridique, le législateur congolais a réagi inévitablement en encadrant le secteur du numérique [1]. En outre, dans le domaine judiciaire, la procédure civile occupe une position de primauté indéniable. Comme le souligne avec justesse le Professeur Luzolo ; « elle constitue un passage obligé pour toute personne aspirant à saisir la justice » [2]. En substance, la procédure judiciaire revêt un caractère de garantie et de pérennité vis-à-vis des actions judiciaires engagées.
L’analyse de la procédure civile, dans sa confrontation avec les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), se révèle être d’une importance cruciale. Cette branche juridique vise à établir les règles régissant les relations entre individus devant les instances judiciaires, ainsi que les formalités à suivre pour la résolution des litiges. Dans ce cadre, la charge de la preuve incombe aux parties en présence, reléguant le rôle du juge à une posture essentiellement passive, conformément au principe accusatoire. Il est essentiel de rappeler que le procès civil demeure l’affaire des parties impliquées, leur conférant un contrôle substantiel sur le contentieux et les éléments à soumettre à l’appréciation judiciaire. Cette prérogative restreint la marge de manœuvre du juge au strict cadre de la demande présentée par les parties, illustrant ainsi le principe bien établi du "ne eat judex ultra petita partium" ou principe dispositif.
A. La preuve.
L’adage latin de droit : « actor incumbit probatio » reflète l’essence même de l’existence de la preuve dans le sillage judiciaire. Il importe à celui qui exige l’exécution d’une obligation de la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation [3]. La preuve civile est légale et hiérarchisée. Le professeur Verheyden Jean Mart renchérit cette légalité probatoire en ces termes : « la preuve, en droit civil n’est jamais assimilable à la démonstration dans le domaine de la science. Elle doit être règlementée » [4]. Il ne suffit pas qu’elle soit règlementée, encore que, cette preuve doit obéir à une certaine logique puisque toutes les preuves n’ont pas la même valeur.
Au sens traditionnel, la preuve est une démonstration afin de persuader de l’exactitude d’un fait allégué dans l’optique de faire prévaloir un droit [5]. Celle relative à l’électronique ne se résume qu’à la dématérialisation des documents servant de preuve.
De manière succincte, trois questions sont à soulever dans l’examen de notre article au regard du droit congolais ;
• L’admissibilité de la preuve électronique ;
• La conservation de la preuve électronique ; et
• La communication électronique.
Ces problèmes trouveront lumière sur les lignes qui suivent.
1. L’Admissibilité de la preuve électronique.
Le code numérique récupère toutes les sécurités instituées par le droit, depuis le code civil en extrapolant une réalité nouvelle dans la démonstration de la preuve. Il a reconnu à l’écrit et à la signature électronique un statut stable décalqué de celui de l’écrit traditionnel. Comme c’était le cas antérieurement [6].
L’écrit électronique est admis comme preuve au même titre que l’original sur papier et à la même force probante que celui-ci. Cette admissibilité nécessite deux conditions cumulatives ; d’abord identifier l’auteur de l’écrit électronique servant de preuve. Ensuite, établir et conserver l’écrit dont il est question de manière à garantir son intégrité. L’arrêt de la Cour de cassation française a éclaircie la question de la force probante de l’écrit électronique. Elle affirme que cette force est appréciée indépendamment du support de communication électronique utilisé. Elle le qualifie d’ailleurs de « neutralité technologique » [7]
2. La conservation de la preuve électronique.
L’article 96 du code numérique établit les conditions d’exigences de la conservation des écrits sous forme des documents, enregistrement ou informations à caractère électronique.
En premier lieu, le stockage des documents, enregistrements, contenus ou informations électroniques conservés doit favoriser leur accessibilité et leur consultation. En second lieu, ils doivent demeurer au format auquel ils ont été générés, envoyés ou reçus. Autrement, ce format doit garantir l’intégrité et l’exactitude des informations générées, envoyées ou reçues. En dernier lieu, ils sont conservés sous un format permettant d’identifier, le cas échéant, leur origine et leur destination ainsi que l’horodatage.
Pour Xavier Linant de Bellefonds, la conservation fidèle de la preuve électronique doit observer deux vertus ; « la non altérabilité des contenus et la permanence de la forme » [8]. .
La communication électronique, c’est l’émission, la transmission et la réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou d’informations de toute nature par fil, fibre optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques. Souligne l’article 2.16 du présent code.
Le code numérique n’impose pas les moyens de communication, moins encore de faire parvenir une preuve dite électronique. Du moins, il attribue aux prestataires de service de confiance un grand rôle à jouer ; surtout dans la transmission des données. Car, le service de confiance fait bénéficier de la présomption de l’exactitude et de l’intégrité de ces données transmises.
Il ne suffit pas uniquement de transmettre lesdits documents électroniques, l’objectif est d’atteindre l’autre partie. Telle est l’économie de l’article 100 du code, qui dispose ; « la remise d’un écrit sous forme électronique est effective lorsque le destinataire, après avoir pu en prendre connaissance, en a accusé réception ». Fort malheureusement, le législateur congolais n’a pas déterminé exactement par quel moyen émettre un accusé de réception dans ce genre de cas. Il a fallu recourir en droit comparé pour trouver solution au vide contenu dans cette disposition sus-évoquée. A ce sujet l’article 275 du code numérique béninois dispose ; « la remise d’un écrit sous forme électronique est effective lorsque le destinataire en a accusé réception par tout moyen, y compris par voie électronique » [9]. Le législateur béninois a vite tranché sur la manière d’émettre un accusé de réception. Omne breve ,par tous les moyens y compris les réseaux sociaux. À titre exemplatif, une partie au procès peut prétendre avoir reçu un accusé de réception, via WhatsApp, par une simple notification de lecture ou de vue avec ou sans réponse en retour de la partie adverse.
L’intégration de la preuve électronique dans le contexte juridique congolais, marquant ainsi la convergence entre la procédure civile et les défis posés par le numérique, constitue un jalon important dans l’évolution du droit. Cependant, cette avancée souligne également les lacunes persistantes dans la législation congolaise. Bien que le code numérique soit relativement récent, la question de la preuve électronique est une préoccupation ancienne et constante dans les litiges judiciaires. Cette réalité met en évidence une certaine inertie du législateur congolais, qui, en puisant des dispositions dans des législations étrangères, n’a pas réussi à élaborer un cadre législatif original et complet répondant pleinement aux besoins spécifiques du droit de la preuve en République Démocratique du Congo. Ainsi, malgré les progrès accomplis, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour adapter la législation congolaise aux défis contemporains et aux exigences du monde numérique en constante évolution.
Gael NGOYA, Juriste. Kinshasa, République démocratique du Congo [->gaelngoya2@gmail.com][1] Ordonnance-loi n°23-010 du 13 mars 2023 portant code du numérique
[2] L. LUZOLO BAMBI, Cours de procédure civile, Université de Kinshasa, 2015.
[3] Art.197 du Décret du 30 juillet 1888 des contrats ou des obligations conventionnelles.
[4] VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, Maison Larcier, Bruxelles, 1991, p.24
[5] T. NZASHI LUHUSU, L’obtention de la preuve par la police judiciaire, Thèse de doctorat, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2013, p.19
[6] X.LINANT DE BELLEFONDS, Le droit du commerce électronique, PUF, Paris, 2005, p.92.
[7] Les faits sont si simples. La Cour de cassation française, dans un arrêt rendu par la première chambre civile, dans une affaire opposant un club de football français et un agent sportif à propos du transfert d’un joueur, a rendu lumière sur la distinction entre l’écrit électronique et l’écrit papier.
Cass.1e civ, 11 juillet 2018, n*17-10.458, FS-FB.
[8] X.LINANT DE BELLEFONDS, Le droit du commerce électronique, op.cit., p.90
[9] Loi n*2017-20 du 20 avril 2018 portant code numérique telle que modifiée par la loi n*2020-35 du 06 janvier 2021 en République du Bénin.
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