Village de la Justice www.village-justice.com

Le rôle du syndic dans les contentieux privatifs : les contentieux de sinistralité. Par Charles Dulac, Avocat.
Parution : lundi 9 septembre 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/role-syndic-dans-les-contentieux-privatifs-les-contentieux-sinistralite,50765.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

S’il n’est pas contesté que le syndic, de par l’essence même de sa mission, pourrait engager sa responsabilité pour un sinistre en partie commune, qu’en est-il quand le désordre est privatif ?

Partons du début et donc d’une définition générale. Sommairement, le syndic est le représentant légal du syndicat des copropriétaires. Sa mission est définie très précisément à l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 et lui confère, à ce titre, un mandat de gestion des finances et de l’administration de la copropriété. En ce sens, le syndic doit autant tenir la comptabilité du syndicat sur un compte séparé et dédié, établir un budget prévisionnel pour les charges courantes et un budget provisionnel pour les dépenses exceptionnelles et de travaux, lever les fonds auprès des copropriétaires et en respect des tantièmes, assurer la trésorerie du syndicat et le paiement des fournisseurs, mais également, convoquer l’assemblée générale annuellement, assurer la conservation du bâtiment, son entretien et, en cas d’urgence, faire exécuter les travaux nécessaires, veiller au respect du Règlement de copropriété, gérer et assurer la conservation des archives, représenter le syndicat des copropriétaires en justice.

Le syndic est contraint de remplir ces missions et ne peut se faire substituer. En outre, en cas de négligence dans leur accomplissement, il peut voir sa responsabilité engagée et être condamné à payer une indemnité à la copropriété. Effectivement, le syndic est avant tout un mandataire et de ce fait il « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion » [1]. En outre, sa responsabilité peut également être recherchée sur le terrain du droit commun, aux articles 1240 et suivants, par tout copropriétaire qui se prévaut d’une faute de sa part, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

De ce postulat, on comprend aisément que le syndic puisse être mis en cause si un désordre se produit ou provient des parties communes et que ce dernier n’en ait pas tenu compte. La jurisprudence foisonne de cas en ce sens et la nature même du mandat du syndic conduit à lui imputer une part de responsabilité. Mais, pour un sinistre de nature privative, qu’en est-il ? Le cas classique, c’est le propriétaire qui subit un dégât des eaux de son voisin du dessus. Il n’est pas contesté que le sinistre a été causé par la rupture du tuyau d’alimentation en eau de la machine à laver le linge et finalement le dossier semble ne concerner que ces deux copropriétaires. Or, le terme « co » propriétaire est utilisé à escient ici. Car, à de multiples manières, ce désordre peut concerner la copropriété et, de ce fait, toucher le syndic dans sa mission de garant de la sauvegarde de l’immeuble. Entre ici un jeu délicat, convergeant la fonction de syndic et la responsabilité de plein droit du syndicat des copropriétaires, telle qu’énoncée à l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965. Aussi, doit-on se questionner sur le rôle du syndic dans les contentieux de sinistralité.

I. Le rôle de prophylaxie du syndic dans les contentieux privatifs de sinistralité.

Certains verront un titre trompeur et ils auront assurément raison. Pourtant, le choix de débuter un article sur « les contentieux de sinistralité » par le rôle de prévenance du syndic ne doit rien au hasard. En copropriété, bons nombres de contentieux de ce type pourraient être évités. Le caractère privatif des désordres ou de la cause conduit trop souvent le syndic à se désintéresser de la situation, certainement par manque de temps, mais malheureusement à tort. Le rôle du gestionnaire est en réalité primordial pour prévenir et anticiper des contentieux parfois bien plus importants et couteux.

Pour illustration concrète, il est possible de citer la problématique plus que récurrente du transfert de pont thermique dans les immeubles anciens, lorsque qu’un copropriétaire a décidé de faire installer des doubles vitrages. Classiquement, l’entreprise qui a procédé à la pose n’a pas tenu compte des éléments structurels de l’immeuble et n’a pas prévu une ventilation suffisante. Ainsi, les veilles fenêtres non isolantes, qui constituaient le point froid auparavant, ont été supprimées et, désormais, la partie froide de la pièce se trouve être le mur en façade sur laquelle se dépose l’humidité et la moisissure. Eh bien, un grand nombre d’expertises judiciaires pourrait être évité si le syndic, conscient des caractéristiques de l’immeuble, prévenait les copropriétaires de la nécessité d’installer un système de ventilation performant en cas de pose de double vitrage. On observe alors que si le sinistre reste privatif, le rôle du syndic est pourtant prégnant.

Un autre exemple pourra achever cette première observation. Dans le contexte des référés dits « préventifs », notamment ceux initiés par un promoteur dans le cadre du constat des avoisinants au début de la construction, le syndic a un rôle de prévention des conflits. En effet, surtout lors des fondations, la vibration des travaux fait souvent apparaitre des fissures dans les logements voisins. Il faut savoir que ces fissures, certes inesthétiques, sont rarement structurelles et excipent simplement le vieillissement naturel de l’immeuble. Or, il n’est pas rare d’observer la multiplication des accédits judiciaires pour examiner ces fissures dont, à 99% du temps, l’expert notera qu’elles ne sont pas imputables au chantier. Ainsi, pour éviter les frais de déplacement, le rôle du syndic est sans aucun doute fondamental. Dans la mesure où il peut se faire entendre par les propriétaires inquiets…

Ne nous trompons pas, il ne s’agit pas ici de dire que le syndic à un rôle de maitrise d’œuvre, de suivi d’exécution sur les travaux privatifs. Toutefois, il se doit de vérifier que ces derniers n’affectent pas les parties communes. Son acuité de professionnel doit l’inciter à ouvrir son champ de vision et anticiper des travaux irréguliers qui pourraient, à terme, causer un sinistre en partie commune ou en partie privative. Quand bien même ses travaux auraient été approuvés en assemblée générale ! Par exemple, même si le raccordement d’un sanibroyeur a été validé, le syndic peut, sans y être tenu, inviter le propriétaire à s’enquérir sur le diamètre du tuyau d’évacuation considérant celui de la colonne commune. L’idée est à nouveau de prémunir une situation contentieuse naissante, comme par exemple un débordement des eaux de vannes chez le voisin du dessous.

II. Le rôle déclaratif du syndic dans les contentieux privatifs de sinistralité.

En matière de sinistralité, j’entends (trop) souvent le syndic me dire « ça ne concerne pas la copropriété, c’est du privatif ». Cette réflexion est dangereuse pour deux raisons : 1) les causes de désordres sont souvent multiples et rien n’indique qu’un facteur ne provient pas des parties communes ; 2) les désordres, notamment les infiltrations d’eau, ont souvent une répercussion plus important que le sinistre privatif circonscrit et peuvent affecter les parties communes. Or, un sinistre non déclaré, c’est de la responsabilité du syndic. Aussi, en cas de contentieux privatif de sinistralité, le syndic doit procéder de deux manières.

Tel a par exemple été aussi le cas lors d’une expertise judiciaire. Le désordre consistait en un dégât des eaux au niveau du plancher haut d’un local commercial situé au rez-de-chaussée de l’immeuble. Les premières investigations avaient, semble-t-il, mis en évidence le caractère fuyard des installations sanitaires du voisin du dessus, au 1ᵉʳ étage. L’expert examine cet appartement et, qu’elle ne fût pas sa surprise, en levant la tête, de découvrir les mêmes désordres au niveau du plafond du 1ᵉʳ. L’accédit s’est alors poursuivi au 2ᵉ, avec les mêmes auréoles au niveau du plafond. Et, ainsi de suite jusqu’à l’avant dernier étage. Achevons le suspens, les fuites provenaient en réalité des WC communs, situés sur le palier du dernier étage ! Voilà comment d’un désordre privatif, la cause est devenue commune.

Au cas particulier, si l’immeuble à moins de dix ans, le syndic est responsable de l’action en garantie, qu’il soit le syndic « constructeur », mais également tous ceux qui lui succèdent durant les dix années couvertes par la décennale. Cette responsabilité doit être pleinement considérée par le syndic tant pour la déclaration de sinistre que pour la contestation de l’indemnisation dans le délai de deux ans. La Cour de cassation n’hésite pas à engager sa responsabilité au visa de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Encore récemment, pour un défaut de contestation de l’indemnisation dans les deux années, et donc la perte de chance d’une meilleure indemnité, la Haute juridiction a rappelé la responsabilité pleine et entière du syndic [5].

A la suite de cette déclaration, il n’est pas rare qu’une ou des expertises amiables entre assureurs soient effectuées. Il est indispensable que le syndic les suivent pour connaître l’évolution des investigations mais également les intentions des parties, parfois judiciaires.

III. Le rôle d’initiatives du syndic dans les contentieux privatifs de sinistralité.

Cette fois-ci, nous y sommes ! Le contentieux, au sens littéral d’action judiciaire, s’est enfin produit. En matière de sinistralité, il est possible de diviser les actions en deux catégories : celles en référé et celle indemnitaire.

L’autre grande mesure du référé, c’est évidemment l’instruction in futurum : l’expertise judiciaire. Le but est de constituer une preuve tangible en vue de l’ouverture d’un procès au fond. D’où l’intérêt du syndic de suivre l’évolution des désordres. Tout d’abord, pour solliciter la mise en cause du syndicat des copropriétaires s’il s’avère que les parties communes sont concernées. Ensuite, permettre au syndic d’attraire les assureurs et les entreprises qui pourraient être concernées pour garantir le syndicat des copropriétaires d’une éventuelle condamnation. Enfin, le suivi des opérations d’expertise est primordial pour connaître le sens des conclusions de l’expert et tenter d’en orienter la position. L’intervention d’un expert technique lors des accédits, pour le compte du syndicat des copropriétaires, n’est pas inintéressant. C’est ce que font par ailleurs les assureurs.

IV. Les éventuelles responsabilités du syndic dans les contentieux privatifs de sinistralité.

Notons toutefois que le syndic pourra tenter de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que des mesures ont été proposées en assemblée générale mais sans être ratifiées. Par exemple, dans le cas cité, plusieurs propositions de ravalement avaient été envisagées. Aussi, seule la responsabilité de plein droit du syndicat des copropriétaires avait été reconnue.

La responsabilité pénale : en matière de construction, plusieurs textes constitutifs de règlementations d’urbanisme et environnementaux sont grevés d’une sanction pénale en cas d’irrespect. Citons, à titre d’illustration, le défaut de souscription à l’assurance Dommage-Ouvrage passible pour le syndic de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 75.000 euros [7]. De même que le refus pour le syndic de se soumettre à une injonction de l’administration de procéder à des travaux de ravalement est puni d’une amende de 3.750 euros [8]. Les infractions de ce type sont pléthores et cela nécessite la plus grande prudence du syndic.
Ajoutons pour conclure que le syndic doit être vigilent sur le risque de conflit d’intérêt dans le cadre d’une promotion immobilière. En effet, il n’est pas rare qu’une agence pratique l’exercice de syndic mais également de promoteur. En cas de conflit, le risque de se voir reprocher une faute sera plus important et il conviendra bien de démontrer la séparation des activités en deux services distincts.

Charles Dulac Avocat au Barreau de Paris [->contact@dulac-avocat.com]

[1Article 1992 du Code civil.

[2CA Paris, Pôle 4, Ch.2, 11 janvier 2012.

[3CA Paris, Ch.6, 20 novembre 2009.

[4Article L113-2 - Code des assurances.

[5Cass., Civ. 3ᵉ, 9 septembre 2021, n°20-12.554.

[6Article 18 - loi du 10 juillet 1965.

[7Article L243-3 Code des assurances.

[8Article L183-12 - Code de la construction et de l’habitation.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).