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Poursuites pénales, contrôle judiciaire ou incarcération des militaires : quels recours contre les suspensions de fonctions et/ou de rémunération ? Par Tiffen Marcel, Avocate.
Parution : mercredi 11 septembre 2024
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Lorsqu’un militaire ou un gendarme fait l’objet de poursuites pénales, de poursuites disciplinaires (conseil d’enquête notamment) ou d’une incarcération, il peut faire l’objet d’une décision de suspension de fonctions et/ou d’une suspension de rémunération sous certaines conditions.

L’objet de cet article est de faire la lumière sur les droits et recours des militaires en matière de suspension de fonctions et de rémunération.

1. Suspension de fonctions, faute disciplinaire et poursuites pénales.

1.1. Suspension de fonctions et droit à rémunération des militaires : une dérogation à la règle du service fait.

Lorsqu’un militaire ou un gendarme est soupçonné d’avoir commis une faute grave, son administration d’emploi peut décider de le suspendre de ses fonctions, pendant une durée maximale de quatre mois, dans l’attente de l’issue de la procédure disciplinaire qui doit être engagée sans délai.

Dans ce cas, le militaire ou le gendarme concerné demeure en « position d’activité » et continue à percevoir sa solde.

Si à l’expiration du délai de 4 mois, aucune décision disciplinaire n’a encore été prise à son encontre, le militaire ou le gendarme concerné doit être rétabli dans ses fonctions (article L4137-5 alinéas 1 à 3 du Code de la défense) :

« En cas de faute grave commise par un militaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, celui-ci peut être immédiatement suspendu de ses fonctions par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline ou le conseil d’enquête.

Le militaire suspendu demeure en position d’activité. Il conserve sa solde, l’indemnité de résidence et le supplément familial de solde.

La situation du militaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Si, à l’expiration de ce délai, aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire, l’intéressé est rétabli dans ses fonctions, sauf s’il est l’objet de poursuites pénales (…) ».

Si le militaire ou le gendarme concerné fait l’objet de poursuites pénales, il doit, en principe, être rétabli dans ses fonctions dans le même délai de 4 mois, à condition que l’intérêt du service ou les mesures prises dans le cadre de son éventuel contrôle judiciaire n’y fassent pas obstacle.

Si le militaire ou le gendarme concerné n’est pas rétabli dans ses fonctions, le ministre des Armées doit définir le montant de la retenue sur rémunération qu’il va subir, dans la limite de la moitié de sa solde augmentée de l’indemnité de résidence et du supplément familial (article L4137-5 alinéas 4 et 8 du Code de la défense) :

« Lorsque le militaire fait l’objet de poursuites pénales, il est rétabli dans ses fonctions à l’expiration du même délai à condition que les mesures décidées par l’autorité judiciaire ou l’intérêt du service n’y fassent pas obstacle. (…)

Lorsque le militaire, en raison de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans ses fonctions, le ministre de la défense peut déterminer la quotité de la retenue qu’il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de sa solde augmentée de l’indemnité de résidence et du supplément familial de solde ».

Si, à l’issue de la procédure disciplinaire engagée contre lui, le militaire ou le gendarme en cause ne s’est vu infliger aucune sanction disciplinaire, il bénéficie du droit au remboursement des retenues sur solde opérées durant sa suspension de fonctions (article L4137-5 alinéa 9 du Code de la défense) :

« Si le militaire n’a subi aucune sanction disciplinaire, il a le droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération. Toutefois, en cas de poursuites pénales, ce droit n’est définitivement arrêté que lorsque la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive ».

Bien entendu, toute décision de suspension de fonctions prise à l’encontre d’un militaire ou d’un gendarme est susceptible de recours.

1.2. Recours des militaires contre les décisions de suspension de fonctions.

Par principe, les recours contentieux formés par les militaires et les gendarmes à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle doit être précédé d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) devant la commission des recours des militaires (article R 4125-1 du Code de la défense).

Cependant, ce recours préalable obligatoire n’est pas applicable aux recours formés contre les décisions relatives à l’exercice du pouvoir disciplinaire.

Les décisions de suspension de fonctions étant prises dans le cadre de l’exercice du pouvoir disciplinaire, elles n’ont pas à être contestées devant la commission des recours des militaires et peuvent directement être attaquées devant le tribunal administratif ou le Conseil d’État, pour les officiers.

La faculté, pour les militaires, de saisir directement le juge administratif d’un recours contre une décision de suspension de fonctions est rappelé à l’article R4137-134 du Code de la défense qui dispose ce qui suit :

« La décision portant sanction disciplinaire ou professionnelle ou suspension de fonctions prononcée à l’encontre d’un militaire peut être contestée par l’intéressé, y compris après cessation de l’état militaire, dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

La notification de la décision mentionne la possibilité d’exercer un droit de recours administratif, ainsi que l’indication des voies et délais d’un recours contentieux devant les juridictions administratives  ».

Ceci étant, les recours contentieux contre les décisions de suspension de fonctions ne sont pas suspensifs, de sorte que les militaires concernés par une suspension de fonctions demeurent suspendus durant la procédure contentieuse ou, à tout le moins, durant les 4 mois que couvre la décision litigieuse (article R4137-140 du code de la défense) :

« L’exercice du droit de recours n’est pas suspensif de l’exécution de la décision contestée.

À tout moment, le requérant peut décider de retirer sa demande.

Les décisions prises à l’occasion d’un recours ne peuvent avoir pour effet d’aggraver la sanction du militaire en cause ».

En cas d’urgence, et après avoir introduit leur requête au fond en vue de l’annulation de la décision de suspension de fonctions, les militaires concernés pourront envisager de saisir le juge des référés du tribunal administratif d’une requête tendant à la suspension de la décision litigieuse et à la réintégration dans leurs fonctions (article L521-1 du Code de justice administrative) :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

2. Suspension de rémunération des militaires et impossibilité d’exercer : la règle du service fait.

2.1. Contrôle judiciaire et incarcération des militaires : quid de la suspension de rémunération ?

Lorsqu’un militaire fait l’objet de poursuites pénales, il peut être suspendu de ses fonctions, en application des dispositions précitées de l’article L4137-5 du Code de la défense.

Dans ce cas, il conserve sa rémunération durant les 4 premiers mois puis, a minima, la moitié de sa solde.

Cependant, il est des cas où l’impossibilité, pour un militaire ou un gendarme, d’exercer ses fonctions résulte directement d’une incarcération, à raison d’un placement en détention provisoire ou d’une condamnation pénale.

Dans ce cas, l’autorité d’emploi du militaire concerné n’est pas tenue de suspendre le militaire de ses fonctions et celui-ci ne bénéficie pas du droit au maintien de sa solde.

En effet, en pareil cas, la suspension du versement de la solde du militaire concerné résulte directement de l’absence de « service fait » :

Il en va de même lorsqu’un militaire est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer ses fonctions ou de se rendre sur les lieux de son ancienne affectation.

En pareille circonstance, son autorité d’emploi est également, tenue de suspendre le versement de sa rémunération en l’absence de service fait (CE, 6 mars 2015, req. n°369857) :

« 1. Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, alors qu’il était directeur adjoint au centre hospitalier Henri Guérin, M. A. a été placé d’office en congé de longue maladie à compter du 28 mai 1996, puis en congé de longue durée ; que, par un arrêté du 12 novembre 2001, le ministre de l’Emploi et de la solidarité et le ministre délégué à la santé ont mis fin au congé de longue durée à compter du 21 octobre 2001 et ont réaffecté l’intéressé dans ses fonctions de directeur adjoint ; que M. A. était cependant placé sous contrôle judiciaire par une ordonnance du 6 août 1999 qui lui interdisait de se rendre au centre hospitalier ; que si cette mesure avait pour effet de le priver, pendant la période où elle était en vigueur, du droit d’occuper effectivement son emploi et de percevoir un traitement, elle a pris fin, en application de l’article 471 du code de procédure pénale, lorsque le tribunal correctionnel l’a condamné, par un jugement du 16 janvier 2003, à une peine d’emprisonnement avec sursis ; qu’en dépit des démarches qu’il a accomplies pour en informer le ministre chargé de la santé et demander à être effectivement réintégré dans ses fonctions, M. A. a continué à être rémunéré sans recevoir d’affectation ; que, toutefois, le directeur du centre hospitalier a, par une décision du 10 mars 2006, suspendu son traitement, dont le service n’avait pas repris lorsqu’il a été mis à la retraite pour invalidité à compter du 13 avril 2007 ; ».

En tout cas, quand bien même le versement de la solde d’un militaire doit être suspendu durant son placement sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer ou son incarcération, il demeure en position d’activité tant que son administration ne l’a pas radié des cadres ou des contrôles par mesure disciplinaire ou constatation d’une éventuelle perte de grade.

Dans ces conditions, le militaire concerné demeure soumis à l’interdiction d’exercer une activité privée lucrative en application de l’article L. 4122-2 du code de la défense :

« 3. Considérant que, pour annuler la décision qui lui était déférée, le tribunal administratif a relevé que l’exécution de la décision du Conseil d’État du 20 avril 2011 impliquait nécessairement pour le centre hospitalier l’obligation de verser à M. A. son traitement au titre de la période comprise entre le 10 mars 2006 et le 13 avril 2007, sans que puissent en être déduites les sommes perçues le cas échéant par l’intéressé à un autre titre durant cette période ; que l’autorité de chose jugée qui s’attache à cette décision du Conseil d’État faisait effectivement obstacle à ce que l’administration puisse à nouveau invoquer l’absence de service fait par M. A. pour refuser de lui verser les sommes qu’il aurait dû percevoir au titre de son traitement ; que cependant, elle ne s’étend pas à la situation où, l’administration ayant établi que l’agent s’était procuré des revenus professionnels en exerçant, en méconnaissance des dispositions de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, une activité privée pendant la période au cours de laquelle, s’il avait été laissé sans affectation, il était néanmoins en position d’activité, elle est tenue de procéder à une retenue sur son traitement à concurrence des sommes indument perçues, en application des dispositions du V de cet article 25 ; qu’il suit de là qu’en excluant par principe que l’administration puisse se fonder sur une telle circonstance, alors qu’il lui appartenait de rechercher si l’intéressé était effectivement dans une situation pouvant ainsi justifier une retenue sur son traitement, le tribunal administratif de Toulon a entaché son jugement d’une erreur de droit qui doit en entraîner l’annulation ; » (CE, 6 mars 2015, req. n° 369857).

Ainsi, s’il souhaite pouvoir retrouver une activité professionnelle dans le "civil", le militaire concerné par une suspension de sa rémunération n’aura d’autre choix que de solliciter un placement en congé pour convenance personnelle en application des articles R4138-65et suivants du code de la défense ou sa radiation des cadres ou des contrôles.

Bien entendu, des telles décisions restent soumises à l’agrément du ministre des Armées ou de l’Intérieur (pour les gendarmes).

Tiffen Marcel Avocate en droit des militaires Barreau de Paris [->tiffen.marcel@obsalis.fr] [->https://www.obsalis.fr/]

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