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Entrée en vigueur du décret du 29 décembre 2023 : quelles nouveautés pour l’amiable ? Par Eugénie Criquillion, Avocat.
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Parution : jeudi 19 septembre 2024
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L’amiable s’immisce de façon de plus en plus affirmée dans le paysage judiciaire français, y compris devant la cour d’appel. Le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile, entré en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024, en est un nouvel exemple.
Article vérifié par son auteur en mai 2025.
En cette rentrée judiciaire, deux réformes phares sont sur toutes les lèvres :
La « simplification » est en marche, selon les intitulés de ces deux décrets.
De façon subtile, l’amiable est venu pointer le bout de son nez dans le décret du 29 décembre 2023 entré en vigueur le 1ᵉʳ septembre dernier.
Depuis quelques années, gentiment mais surement, l’amiable joue des coudes au sein du processus judiciaire.
De façon non exhaustive, on peut citer, parmi les étapes les plus marquantes ces dernières années :
Des MARD, donc, qui ne sont pas totalement nouveaux, mais qui peinent à entrer en pratique dans le paysage judiciaire, malgré une volonté affichée du législateur de proposer (voire d’imposer) aux parties d’y recourir.
A fortiori, la procédure participative aux fins de mise en état [6], déjà (très, voire trop) peu usitée, tout comme la médiation judiciaire, ont d’autant moins convaincu au stade de la procédure d’appel.
Il a donc fallu se questionner sur les raisons de ce désintérêt, et la façon de les rendre attrayantes, y compris devant la Cour d’appel, en ces temps où les moyens dévolus à la justice sont réduits à une peau de chagrin, ce qui n’est pas sans incidence sur la longueur des procédures et les droits des justiciables.
Indépendamment du fait que la procédure participative et la médiation judiciaire sont méconnues, voire ignorées (volontairement ou non), le cours des délais Magendie instaurés par décret du 9 décembre 2009 imposait aux parties de poursuivre leurs diligences procédurales (pour signifier la déclaration d’appel, pour déposer, notifier, et signifier leurs conclusions) à peine de caducité de l’acte d’appel ou d’irrecevabilité des conclusions [7].
Incontestablement, l’accomplissement de ces obligations procédurales venait parasiter le processus de résolution amiable des litiges qu’offrent la procédure participative ou la médiation judiciaire.
Le décret du 6 mai 2017 fut un premier levier pour remédier à cette difficulté en consacrant un effet interruptif, sur le cours des délais Magendie, au bénéfice des parties ayant recours à une convention de procédure participative ou une médiation judiciaire.
S’agissant de la procédure participative, l’article 1546-2 du CPC (anc.) disposait ainsi que :
Devant la cour d’appel, l’information donnée au juge de la conclusion d’une convention de procédure participative entre toutes les parties à l’instance d’appel interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incidents mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’information donnée au juge de l’extinction de la procédure participative.
L’article 910-2 du CPC (anc.), disposait, concernant la médiation judiciaire :
La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur.
L’intention du législateur était louable, la mise en pratique moins évidente.
D’abord parce que, concernant la procédure participative aux fins de mise en état, les dispositions s’y rapportant ne figuraient pas aux chapitres relatifs à la procédure d’appel ; faute de visibilité et donc de lisibilité, ce mode amiable est resté inaperçu si bien que cela n’a guère augmenté le nombre de recours à ce mode alternatif de résolution du différend [8].
S’agissant de la médiation judiciaire, l’absence de pédagogie et de réticence évidente des praticiens de recourir à ce mode de règlement (souvent parce que l’on pense, parfois à tort, qu’au stade de l’appel l’amiable n’a plus sa place), n’ont pas favorisé sa mise en œuvre au sein des juridictions d’appel.
Enfin et surtout, il est apparu une difficulté d’interprétation liée à l’absence de définition de la notion d’« expiration de la mission du médiateur », ce qui n’est pas sans incidence sur la computation des délais Magendie et le risque qui en découle pour les parties au litige [9].
Conscient du peu d’attrait des modes amiables au stade de l’appel, le législateur persévère avec le décret du 29 décembre 2023.
Le nouvel article 905 du CPC, en son alinéa 2, instaure une systématisation de la proposition du Greffe aux parties de conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état.
L’attrait de ce mode de règlement est renforcé au stade de l’appel par le fait que :
A l’égard de la médiation judiciaire, le décret met partiellement fin à une incertitude concernant la notion d’« expiration de la mission du médiateur », en précisant à l’article 915-3, 2° du CPC que l’effet interruptif du cours des délais prévus aux articles 906-2 nouveau, et 908 à 910, prend fin soit à l’achèvement du délai imparti aux parties pour rencontrer un médiateur, soit à l’achèvement de la mission du médiateur.
En l’absence de définition, il convient cependant de s’attendre à ce que la notion d’ « achèvement de la mission du médiateur » soit sujet à interprétations et à discussions.
Au travers des réformes successives qui s’opèrent, l’amiable s’affirme au sein du paysage judiciaire.
Le décret du 29 décembre 2023, entré en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024, est applicable aux instances d’appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date.
Et si ce décret procède avant tout d’une volonté de simplifier la procédure d’appel (entre deux ou trois chausse-trappes), il est cependant le parfait exemple d’un souhait de convaincre que le processus judiciaire, même au stade de la procédure d’appel, n’est pas exclusif de l’amiable.
Eugénie Criquillion Avocat au barreau de Bordeaux https://www.criquillion-avocat.com/[1] Art. 2238 du C.Civ.
[2] Art. 2062 et suivants du C.Civ.
[3] Art. 2238 du C.Civ.
[4] Ancien article 56 alinéa 3 du CPC, qui fut supprimé par décret du 11 décembre 2019 créant l’art 750-1 du CPC.
[5] Art. 750-1 du CPC, issu du décret du 11 décembre 2019, abrogé par Décision du CE du 22 septembre 2022, modifié par décret du 25 février 2022 puis par décret du 11 mai 2023.
[6] Art. 2062 C.Civ : La convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige. Cette convention est conclue pour une durée déterminée.
[7] Anc. art 902, 908 à 911, 905-2 du CPC.
[8] Les dispositions propres à la procédure d’appel figurent au Titre VI du Livre II du CPC, tandis que la procédure participative est régie par le Titre II du Livre V du CPC, mais également au Titre XVIII du Livre II du Code civil.
[9] Cf. Civ. 2ᵉ., 1 janv. 2023, N° 20-20.941 : « Les pourparlers poursuivis de façon informelle (après la mesure de médiation) ne sont pas de nature à interrompre les délais pour conclure » Civ. 2ᵉ., 23 nov. 2023, N° 21-23.099 : « La date de la fin de mission du médiateur constitue le point de départ du délai pour conclure, à moins qu’une ordonnance d’un juge constate l’échec ou la fin de la médiation ».
[10] Par qui l’information est donnée : « par la partie la plus diligente », et à qui : « au président de la chambre saisie, au magistrat désigné par le premier président ou au conseiller de la mise en état ».
[11] Art. 914-1 nouveau du CPC.
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