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Lutte contre le harcèlement : de nouveaux droits pour les victimes ? Par Moinaechat Assoumani, Avocat.
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Parution : mardi 1er octobre 2024
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Lutter contre le harcèlement, c’est prévoir des règles qui permettent de le combattre en tous lieux et sous toutes ses formes.
Le législateur pourrait se satisfaire d’avoir agi en ce sens par l’adoption de textes permettant de lutter contre le harcèlement scolaire [1], le harcèlement au travail [2], au domicile [3], sur la voie publique [4], qu’il s’agisse de harcèlement moral [5], sexuel [6], téléphonique [7], de cyberharcèlement [8] ou de revenge-porn [9].
Mais lutter contre le harcèlement c’est aussi : renforcer l’importance de la parole de la victime présumée en lui accordant un droit de regard sur la décision de sanction - ou de non-sanction - adoptée après la dénonciation des faits.
Or, le législateur a fait le constat de l’invisibilité de la victime dans le cadre des procédures précontentieuses [10] visant à lutter contre le harcèlement. En pratique, limitées à la dénonciation des faits, les prérogatives des victimes sont souvent réduites à peau de chagrin.
Le législateur s’est donc interrogé sur la nécessité de créer un statut spécifique en faveur des victimes présumées de harcèlement, afin de faciliter la lutte contre ce fléau par :
C’est en synthèse ce qui résulte des récents travaux parlementaires sur le sujet et précisément : la proposition de loi n° 252 visant à mieux lutter contre le harcèlement scolaire (1) [11], et la proposition de loi n° 2507 visant à créer un statut de victime de harcèlement dans l’administration (2) [12].
Cette proposition de loi permet de renforcer la parole de la victime présumée dès lors que sa dénonciation des faits impose à l’établissement qui en aurait pris connaissance d’agir. Une inaction de sa part, constituerait alors une faute de l’établissement, d’autant plus que l’article R421-10 du Code de l’éducation prévoit que le chef d’établissement assure la sécurité des personnes et des biens, est responsable de l’ordre dans l’établissement et engage une procédure disciplinaire
« lorsque l’élève commet des actes de harcèlement, notamment de cyberharcèlement, à l’encontre d’un autre élève, y compris lorsque ce dernier est scolarisé dans un autre établissement (…) ».
Cette proposition de loi permet par ailleurs d’accorder à la victime un droit de regard sur les mesures prises puisque si elle estime que la réaction du chef d’établissement est insuffisante, elle peut exercer un recours. Il s’agira nécessairement et en préalable d’un recours hiérarchique avant tout recours juridictionnel.
Là encore, cette proposition de loi permet de renforcer la parole de l’agent présumé victime de harcèlement. Elle deviendrait en effet particulièrement utile pour l’établissement de la réalité des faits puisque l’accès préalable au dossier permettrait à l’agent de connaître l’étendue des informations en possession de l’instance disciplinaire pour juger de l’affaire. Ainsi, l’agent pourrait présenter toutes les observations utiles pouvant venir en complément, en confirmation ou en opposition des éléments du dossier afin de permettre à l’instance disciplinaire de disposer d’éléments plus exhaustifs pour se prononcer et motiver sa décision.
Enfin, cette proposition de loi permettrait également à l’agent présumé victime de harcèlement de disposer d’un droit de regard sur l’issue de la procédure disciplinaire puisqu’il disposerait du droit de se voir notifier la décision rendue par l’instance disciplinaire et de la contester.
On assisterait ici à une nouveauté puisque classiquement seuls prennent part à une procédure disciplinaire l’auteur présumé des faits et les membres de l’instance disciplinaire. Pour des raisons de vie privée et de confidentialité, il n’est jusqu’ici pas admis que les éléments d’une procédure concernant personnellement un agent, un salarié ou un élève soient communiqués à un tiers.
Sans la consécration d’un tel droit de regard, les victimes présumées ne pourraient revendiquer en phase précontentieuse, un accès au dossier disciplinaire de l’auteur présumé des faits ou la communication de la décision qui aurait été rendue par l’instance disciplinaire.
La promulgation de ces textes aurait in fine l’avantage :
Par ces deux propositions de lois, le législateur affiche sa volonté renouvelée de s’emparer de la question de l’amélioration des conditions de prise en compte des victimes de harcèlement.
La solution semble résider dans une forme de judiciarisation du traitement des problématiques de harcèlement en phase précontentieuse. On emprunterait en quelque sorte les codes du procès [14] pour attribuer à la victime une place pleine et entière dans le processus de lutte contre le harcèlement en phase précontentieuse.
Ces textes étant encore en travaux, il est loisible de s’interroger sur leur évolution et notamment sur un éventuel accroissement de cet emprunt aux codes du procès particulièrement au regard du principe essentiel d’impartialité des organes d’enquête et décisionnaires, dont l’assurance est parfois remise en cause par les victimes ou leurs proches.
En tout état de cause, quelle que soit l’échéance de la promulgation d’un texte portant sur l’instauration d’un statut spécifique pour les victimes de harcèlement, il apparait primordial pour celles-ci de se faire conseiller et accompagner au mieux eu égard à la multiplicité des textes et des procédures susceptibles d’être mises en œuvre selon le contexte du harcèlement.
Moinaechat Assoumani Avocat au Barreau de Bordeaux[1] Loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, dont l’article 11 précise que le suicide ou la tentative de suicide de la victime a pour effet d’entraîner une augmentation de la peine encourue à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, cf Article 222-33-2-3 du Code pénal.
[2] Articles L1151-1 et suivants du Code du travail.
[3] Article 222-33-2-1 du Code pénal pour le harcèlement commis par ex ou conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin.
[4] Article 222-33-1-1 du Code pénal relatif à l’outrage sexiste et sexuel.
[5] Article 222-33-2-2 du Code pénal.
[6] Article 222-33 du Code pénal.
[7] Article 222-16 du Code pénal.
[8] Article 222-33-2-2 du Code pénal : le cyberharcèlement est un harcèlement moral qui s’accompagne d’une circonstance aggravante à savoir l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique.
[9] Articles 226-1, 226-2 et Article 226-2-1 du Code pénal.
[10] C’est-à-dire avant tout procès ou saisine d’un juge.
[11] Proposition de loi n° 252 visant à mieux lutter contre le harcèlement scolaire, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 septembre 2024.
[12] Proposition de loi n° 2507 visant à créer un statut de victime de harcèlement dans l’administration et enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2024 sous la précédente législature.
[13] Règlement général sur la protection des données : Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).
[14] Principe du contradictoire et communication des éléments de procédure, observations devant l’instance disciplinaire, règles de notification des décisions, etc.
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