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La destitution du Président de la République. Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : vendredi 11 octobre 2024
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Le 2 octobre 2024, la commission des lois de l’Assemblée nationale a rejeté une proposition de résolution visant à engager la procédure de destitution du président de la République. Cette procédure rare est encadrée par l’article 68 de la Constitution et pilotée par le Parlement réuni en Haute Cour. Elle peut conduire à une crise de régime.

Le président de la République est irresponsable pendant l’exercice de son mandat pour tous les actes accomplis en qualité de chef de l’État (Article 67 de la Constitution). Cette irresponsabilité est absolue et permanente : elle est valable à la fois dans les domaines politique, pénal, civil et administratif. Aucune action ne peut donc être engagée contre le chef de l’État pour des actes accomplis en qualité de Président, même après la fin de son mandat.

Afin de protéger la fonction, le président de la République bénéficie également d’une immunité temporaire ou « inviolabilité » pour les actes détachables de l’exercice de ses fonctions, qui ne peuvent pas faire l’objet de poursuites pendant le quinquennat. En revanche, un mois après la fin de ses fonctions, le président de la République redevient un justiciable ordinaire et les poursuites peuvent reprendre. C’est ainsi que l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a pu faire l’objet de poursuites dans « l’affaire des écoutes » ou l’affaire Bygmalion par exemple.

Un président de la République en exercice ne peut donc pas comparaître devant un tribunal.

Étant irresponsable pendant l’exercice de son mandat, à la fois pour les actes accomplis en qualité de chef de l’État (immunité totale) et pour les actes détachables de l’exercice de ses fonctions (immunité temporaire), le président de la République est aussi inamovible. C’est-à-dire que personne ne peut contraindre le président de la République à démissionner ou ne peut révoquer le chef de l’État pendant son mandat.

Cette règle souffre toutefois deux exceptions.

La première est l’hypothèse dans laquelle le président de la République se rend coupable de génocide, de crime de guerre ou de crime contre l’humanité. Dans ce cas, le chef de l’État est justiciable de la Cour pénale internationale (CPI).

La seconde est l’hypothèse de la destitution du président de la République. Cet « impeachment » à la française est prévu par l’article 68 de la Constitution qui dispose que :

« Le président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour »

Il faut relever que, depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, l’article 68 ne fait plus référence à la « haute trahison » du président de la République et que la Haute Cour de justice a été remplacée par la Haute Cour composée exclusivement des parlementaires (l’ensemble des députés et sénateurs), sans magistrat.

La destitution du président de la République peut donc être prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour et présidée par le Président de l’Assemblée Nationale. Pour destituer le président de la République, il faut un vote à la majorité qualifiée des 2/3 des parlementaires. La Haute Cour doit caractériser un « manquement du président de la République à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » qui est le point le plus délicat.

Les étapes importantes de la procédure de destitution du président de la République sont les suivantes :

Sous la Vᵉ République, deux propositions de résolution visant à réunir la Haute Cour ont été déposées contre François Hollande le 10 novembre 2016 et contre Emmanuel Macron le 4 septembre 2024, mais ces propositions n’ont même pas été adoptées en commission (Proposition de résolution de M. Christian Jacob et plusieurs de ses collègues visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution, n° 4213, déposée le 10 novembre 2016 ; Proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution, n° 178, déposé(e) le mercredi 4 septembre 2024 et renvoyé(e) à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République).

Dans la dernière procédure en date, la commission des lois de l’Assemblée nationale a rejeté le 2 octobre 2024 la proposition de résolution de Mme la députée Mathilde Panot visant à réunir le Parlement en Haute Cour en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du président de la République. L’article 8 de la Constitution laisse en effet la liberté au président de la République de nommer le Premier ministre de son choix sans contreseing. Aucun manquement du président de la République à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ne peut donc se fonder sur cet article, qui constitue un pouvoir propre du chef de l’État.

La destitution du président de la République est donc une procédure réservée aux cas les plus graves qui peut conduire à une crise de régime. Elle ne constitue pas un troisième tour électoral. C’est la raison pour laquelle elle ne doit pas être engagée avec légèreté à des fins politiques.

Pierrick Gardien Avocat Droit Public [->contact@sisyphe-avocats.fr] http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic

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