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Accident de la circulation : l’indemnisation intégrale sous toutes ses formes. Par Sophie Kerzerho, Avocate.
Parution : mercredi 16 octobre 2024
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La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans cet arrêt publié au bulletin du 10 octobre 2024 (n°22-22642), statue sur l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile.

Il censure l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble sur six points :

  • L’absence de réduction de l’indemnité due au titre de la tierce personne familiale ;
  • L’absence d’imputabilité de la pension d’invalidité sur le poste dépenses de santé actuelles ;
  • L’évaluation des pertes de gains professionnels futurs ;
  • L’imputation de la pension d’invalidité des travailleurs indépendants sur le déficit fonctionnel permanent ;
  • Le préjudice sexuel ;
  • La pénalité pour absence d’offre.

L’absence de réduction de l’indemnité due au titre de la tierce personne familiale.

Il est assez surprenant d’apprendre, à la lecture de l’arrêt, que la Cour d’appel de Grenoble avait, pour évaluer l’indemnité due au titre du besoin d’assistance, retenu que la victime ne justifiait pas avoir eu recours à un salarié, ni avoir exposé de charges sociales. Les Juges du fonds prenaient aussi argument du fait que l’aide n’était pas spécialisée pour fixer l’indemnisation de ce poste de préjudice sur la base d’un coût horaire de 12 euros.

La Cour de cassation rappelle, au visa du principe de réparation intégrale, son attendu de principe habituel :

« Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance par une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification des dépenses effectives ».
Et censure ainsi les juges du fonds :
« En statuant ainsi, en réduisant l’indemnisation de la victime en raison du caractère familial de l’aide apportée et de l’absence de dépenses effectives, la Cour d’appel a violé le principe susvisé ».

L’absence d’imputabilité de la pension d’invalidité sur le poste dépenses de santé actuelles.

La victime présentait une perte de revenus avant consolidation. Elle avait cependant perçu sur cette période, des indemnités journalières puis une pension d’invalidité.

Pour déterminer la perte de revenus, la Cour d’appel avait déduit des pertes de revenus pré-consolidation l’ensemble des prestations versées sur la période.

Or, comme le rappelle la Cour de cassation, l’imputation des créances des tiers payeurs s’opère poste par poste.

Ainsi, la Cour d’appel casse encore l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble au visa de l’article 29 de la Loi Badinter de l’article L635-5 du Code de la sécurité applicable et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime et décide :
« En statuant ainsi, alors que la pension d’invalidité, qui répare un préjudice permanent, quand bien même son versement aurait commencé avant la date de consolidation retenue par le Juge, ne pouvait être imputée sur ce poste de préjudice patrimonial temporaire, la Cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés ».

L’évaluation des pertes de gains professionnels futurs.

La victime avait formulé une demande d’indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs en produisant aux débats ses avis d’imposition et un rapport d’expertise judiciaire comptable.
La Cour d’appel l’avait pourtant déboutée de sa demande aux motifs que « la réalité factuelle de cette perte n’est pas établie de façon contradictoire et objective ».

Au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, selon lequel le Jugement doit être motivé, la Cour d’appel censure les Juges du fonds en retenant :

« En statuant ainsi, sans analyser, fût-ce de façon sommaire, les pièces versées aux débats par la victime pour justifier de la perte de gains professionnels futurs qu’elle alléguait, notamment ses avis d’imposition produits pour les années antérieures et postérieures à la consolidation, la Cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de ce texte ».

Ainsi, la Cour de cassation impose aux juges du fonds d’analyser les pièces qui leur sont soumises pour vérifier l’existence d’un préjudice indemnisable.

L’imputation de la pension d’invalidité des travailleurs indépendants sur le déficit fonctionnel permanent.

Il convient de rappeler sur ce point qu’avant les arrêts rendus par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation le 20 janvier 2023, les pensions d’invalidités versées dans les suites d’un accident s’imputaient d’abord sur les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle, puis sur le déficit fonctionnel permanent.

Désormais, dans les suites de deux arrêts d’assemblée plénière du 20 janvier 2023 et d’un arrêt de la 2ᵉ chambre civile de la Cour de cassation du 6 juillet 2023, « la pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent et ne s’impute dès lors, que sur les postes de pertes de gains professionnels futurs et d’incidence professionnelle ».

La Cour de cassation juge, dans le cas d’espèce, que :

« Cette solution doit être transposée à la pension d’invalidité versée aux travailleurs indépendants, qui est désormais déterminée de manière forfaitaire en fonction du revenu professionnel annuel de la personne affiliée et de la catégorie d’invalidité qui lui a été reconnue ».

Le préjudice sexuel autonome.

La victime sollicitait l’indemnisation de son préjudice sexuel en lien avec les douleurs lombaires, constitutives d’une gêne dans la pratique sexuelle.

Les Experts n’avaient pas retenu ce préjudice, au motif qu’il aurait été indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent.

La Cour d’appel avait rejeté la demande indemnitaire sur la base des conclusions du rapport d’expertise, ajoutant la libido de la victime n’avait pas disparu, que les relations sexuelles persistaient, qu’il n’y avait pas d’impossibilité des rapports ni d’infertilité.
La Cour de cassation rappelle, au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que le poste du préjudice sexuel « comprend tous les préjudices touchant la sphère sexuelle » et « constitue un préjudice permanent à caractère personnel, distinct du déficit fonctionnel permanent ».
Ainsi, l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble est encore cassé de ce chef.

Pénalité pour absence d’offre.

L’article L211-9 du Code des assurances impose à l’assureur du véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident d’adresser à la victime une offre provisionnelle dans les 8 mois de l’accident.

À défaut, l’article L211-13 du Code des assurances prévoit que le montant de l’indemnité offerte par l’assurance ou allouée par la juridiction produit intérêts de plein droit au double du taux légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou de Jugement devenu définitif.

En l’espèce, la victime indiquait que seules des provisions successives lui avaient été adressées. La Cour d’appel avait cependant rejeté la demande. Elle s’est encore exposée à la censure de la Cour de cassation qui a statué :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le document transmis constituait une offre d’indemnisation provisionnelle ou le non paiement d’une provision, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

En conclusion, on peut dire que l’arrêt soumis à la censure de la haute Cour enfreignait la jurisprudence largement établie en droit du dommage corporel. La cassation s’imposait.

Il est regrettable que la victime ait dû subir un tel parcours judiciaire pour obtenir l’indemnisation de son juste préjudice

Sophie Kerzerho, Avocate au Barreau de Paris Spécialiste en droit du dommage corporel DIU en évaluation du traumatisme crânien https://sophiekerzerho-avocat.fr/

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