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Sécurité des immeubles menaçant ruine et péril imminent : les pouvoirs de l’expert judiciaire et du Maire face aux droits des occupants et des propriétaires. Par Valentin Bergue, Avocat.
Parution : mercredi 30 octobre 2024
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Après l’identification et le signalement d’un immeuble menaçant ruine, les autorités compétentes doivent mettre en œuvre des mesures pour assurer la sécurité publique.

Cet article se concentre sur les phases qui suivent immédiatement la nomination de l’expert judiciaire et notamment le déroulement des opérations d’expertise contradictoire avant la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative par le moyen d’un arrêté de péril ou un arrêté de mise en sécurité. Cette phase se caractérise par la recherche constante de l’équilibre entre l’urgence de l’action administrative et le respect des droits des propriétaires et des occupants.

Les opérations d’expertises contradictoires sous l’égide de la procédure de référé « immeuble menaçant ruine ».

Le cadre juridique de la procédure « immeuble menaçant ruine » s’articule autour d’un ensemble de dispositions du Code de justice administrative (CJA). L’article R556-1 du CJA, spécifique à cette procédure, renvoie aux articles R531-1 et suivants, qui eux, régissent le référé-constat. Ces derniers font à leur tour référence partiellement aux articles R621-3 et suivants, lesquels organisent les mesures d’expertise au sein du contentieux administratif.

A leurs aunes, les opérations d’expertise doivent garantir le caractère contradictoire, avec une notification préalable aux parties des dates et heures des opérations. L’expert devra consigner les observations des parties, qui ont l’obligation de fournir les documents jugés nécessaires par l’expert.

Dans le contexte de ces opérations et en vertu de l’article R621-7 du CJA, l’expert devra rendre utile le principe du contradictoire en communicant tous les éléments nécessaires aux parties afin qu’elles puissent produire leurs observations. Dans ce sens, la communication aux parties d’un pré-rapport d’expertise aux fins de production de dires, à l’instar des pratiques observées durant les procédures d’expertise judiciaire, doit être encouragée par les juridictions administratives.

Cette procédure de référé « immeuble menaçant ruine » a la particularité d’être astreint à des délais contraints en raison des intérêts graves qu’elle tend à conserver et protéger. La balance de la garantie de ces intérêts au détriment des garanties procédurales ne doit pourtant pas conduire à l’extinction du principe du contradictoire.

Les pouvoirs exceptionnels de l’expert au titre de l’urgence : l’injonction au Maire d’ordonner l’évacuation de l’immeuble sans contradictoire.

Lors des opérations d’expertise et avant la restitution de son rapport, l’expert nommé par le tribunal administratif est en mesure d’enjoindre à l’autorité administrative de prendre des mesures particulièrement coercitives pour les occupants.

L’expert peut ainsi enjoindre la Mairie à ordonner l’évacuation sans délai de l’immeuble.

Cette évacuation immédiate est particulièrement attentatoire aux droits des occupants et est ordonnée sans procédure contradictoire préalable.

Au terme de sa mission, l’expert dépose son rapport définitif auprès du tribunal administratif et le notifie aux parties. Ce rapport contient toutes les constatations utiles et ses prescriptions pour la sauvegarde de l’immeuble.

La procédure de référé « immeuble menaçant ruine » confère à l’expert judiciaire des prérogatives exceptionnelles, notamment le pouvoir d’enjoindre à l’autorité administrative l’évacuation immédiate de l’immeuble.

Cette faculté, exercée sans procédure contradictoire préalable, illustre la primauté accordée à la sécurité publique dans ces situations d’urgence.

Arrêtés de mise en sécurité ou de péril : des interventions graduées face aux immeubles menaçant ruine.

La mise en œuvre de la police administrative des immeubles menaçant ruine se décline en deux procédures distinctes : l’arrêté de mise en sécurité et l’arrêté de péril.

Sur la base du rapport d’évaluation, du rapport d’expertise ordonné par le tribunal administratif ou, cas plus rare, du rapport du directeur de l’Agence régionale de santé, ainsi que des prescriptions que ces rapports contiennent, l’autorité compétente, le Maire, décidera de prendre un arrêté de mise en sécurité ou de prendre, en cas d’urgence, un arrêté de péril.

L’arrêté de mise en sécurité s’applique lorsque la situation permet une intervention planifiée non-urgente. Il détaille les travaux de réparation, d’aménagement et de renforcement structurel nécessaires. Cette procédure, encadrée par l’article R511-3 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), inclut une phase contradictoire. Les propriétaires peuvent ainsi présenter leurs observations et proposer des solutions alternatives avant la prise de l’arrêté.

En revanche, l’arrêté de péril, prévu par l’article L511-19 du CCH, s’impose en cas de danger imminent et manifeste. Cette procédure d’urgence, plus radicale, impose une intervention immédiate pour sécuriser l’immeuble et ses occupants.

L’urgence à intervenir est donc le critère qui distingue les situations où le danger imminent et manifeste impose une intervention immédiate par un arrêté de péril, des autres situations où un simple arrêté de mise en sécurité suffira pour garantir la sauvegarde de l’immeuble.

La mission de l’expert face à un immeuble menaçant ruine : la difficile conciliation entre efficacité administrative et protection des droits.

La procédure relative aux immeubles menaçant ruine relève donc d’un équilibre délicat entre les principes directeurs du droit de l’urbanisme, du droit de la construction et les impératifs de sécurité publique.

L’éventail des arrêtés - mise en sécurité et péril - permet à l’expert nommé par le tribunal administratif de proposer aux autorités administratives un arsenal juridique nuancé, permettant d’adapter leur réponse à la gravité de chaque situation.

Cette procédure concilie l’urgence de l’action administrative avec le respect des droits des propriétaires et occupants, notamment à travers l’introduction du contradictoire lors de la procédure d’expertise.

Cependant, sa mise en œuvre pratique par les collectivités interroge quant à la juste pondération entre la célérité nécessaire pour assurer la sécurité publique et les garanties procédurales accordées aux parties concernées, notamment quand celles-ci subissent une interdiction d’occupation de l’immeuble.

A ce titre, des immeubles qui pourraient faire l’objet d’un arrêté de mise en sécurité, seront ainsi soumis à un arrêté de péril avec interdiction d’occupation. L’expert a la lourde charge d’apprécier la gravité de la situation.

L’enjeu majeur de cette procédure réside donc dans la mise en œuvre pratique de ce cadre juridique, qui doit permettre une intervention efficace des autorités et de l’expert tout en préservant un équilibre entre les impératifs de sécurité et les droits individuels des occupants.

Valentin Bergue Urbanisme et environnement - Avocat au barreau de Bayonne Droit administratif - Droit de l’environnement [->vb@bergue-avocat.com] www.bergue-avocat.com

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