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Les suites à donner à une plainte pour harcèlement. Par Thomas Cuq, Avocat.
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Parution : lundi 4 novembre 2024
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Comment gérer une plainte pour harcèlement moral ? Telle est la question épineuse à laquelle doivent répondre régulièrement bon nombre d’employeurs.
Cet article a vocation à s’appliquer également à la situation par laquelle l’employeur a eu connaissance de faits pouvant être constitutifs de harcèlement non pas par la victime mais par des témoins car dès qu’il a connaissance de faits pouvant constituer un harcèlement, il doit immédiatement réagir.
Voici ci-dessous les différentes étapes :
Tout d’abord, il convient de s’enquérir de son état de santé.
Ensuite, la priorité est de recueillir sa position :
En tout état de cause, il convient bien entendu de préserver la confidentialité de cet échange.
Cet article se focalise sur l’enquête interne dans la mesure où il s’agit d’une mesure particulièrement efficace pour faire la lumière sur les faits dénoncés.
Il ressort de l’étude des décisions récentes en la matière que :
L’enquête interne peut être l’une de ces mesures, mais elle n’est pas obligatoire.
Il a déjà été jugé que le seul fait que l’employeur ne déclenche pas une enquête interne ne caractérise pas un manquement à son obligation légale de sécurité dès lors qu’il prend les « mesures suffisantes » [1].
Néanmoins, l’employeur a tout intérêt à en diligenter une car :
Il n’est en principe pas nécessaire que les représentants du personnel conduisent cette enquête, ni même qu’ils soient consultés [4].
Il est cependant préférable de les y associer et a minima de leur transmettre le compte-rendu de l’enquête.
L’enquête peut se faire à l’insu du salarié mis en cause, c’est-à-dire sans l’en informer, ni entendre ses explications [5].
Il est toutefois préférable d’entendre ses explications afin d’avoir les deux versions des faits et de respecter pleinement le principe du contradictoire.
Il n’est en principe pas nécessaire d’auditionner l’ensemble des salariés témoins [6].
Si l’employeur n’a pas l’obligation de recueillir les témoignages de tous les témoins, il a intérêt à élargir au maximum les auditions et ne pas se contenter de la version du salarié ayant dénoncé les faits et celle du mis en cause.
L’enquête interne permet dans la plupart des cas de déterminer si les faits dénoncés sont ou non avérés.
Hypothèse n°1 : l’enquête établit que le harcèlement n’est pas avéré.
S’agissant du salarié qui a dénoncé à tort les faits : en premier lieu, il est souhaitable de lui transmettre rapidement le compte-rendu de l’enquête ou a minima de lui indiquer par courrier les conclusions de celle-ci afin de lui faire comprendre que si le résultat n’est pas celui escompté, sa plainte a été prise en considération par la Direction.
Si l’employeur n’a pas l’obligation de communiquer le compte-rendu de l’enquête aux salariés [7], il est souhaitable d’en réaliser un, ce qui pourra être utile en cas de contentieux ultérieurs.
Dès lors, il conviendra de veiller d’une part, à ce que la copie des auditions de chaque salarié interrogé ne soit pas annexée à ce compte-rendu afin de respecter la confidentialité des échanges et d’éviter tout acte de représailles à leur égard et d’autre part, que les personnes ayant témoigné ne puissent être identifiées.
Ensuite, l’employeur pourra, dans la mesure du possible et par précaution, prendre des mesures (favoriser le télétravail, lui demander de solder ses congés et RTT) à son égard dans la mesure où il est possible que son état de santé se soit dégradé (même s’il n’a pas été victime d’actes constitutifs de harcèlement moral).
En revanche, l’employeur ne pourra pas licencier le salarié pour avoir dénoncé des faits non avérés [8], sauf s’il est en mesure de prouver sa mauvaise foi [9], laquelle ne peut résulter que de la démonstration qu’il avait connaissance de la fausseté des faits qu’il a dénoncé [10].
Dans la majorité des cas, les employeurs devront veiller à ne pas le sanctionner dans la mesure où il sera particulièrement difficile en cas de contentieux de démontrer sa mauvaise foi.
S’agissant du salarié injustement mis en cause, il est souhaitable de lui transmettre également le compte-rendu de l’enquête, de lui renouveler par écrit sa confiance et en aucun cas de le sanctionner.
Hypothèse n°2 : l’enquête établit que le harcèlement moral est avéré.
Voici quelques-unes des mesures pouvant être prises par l’employeur :
A l’égard du salarié victime :
A l’égard du salarié harceleur :
Mettre fin à une situation n’est en soi pas suffisant.
Il convient en effet de faire en sorte qu’elle ne se reproduise pas.
Plusieurs mesures peuvent être prises par l’employeur à l’encontre du salarié harceleur, notamment :
Dans bon nombre de cas, une seule mesure se révèle insuffisante pour protéger à l’avenir la santé du salarié victime.
Ainsi, à titre d’exemple, il a déjà été jugé que ne satisfait pas à son obligation de sécurité, l’employeur qui se borne à sanctionner d’un avertissement l’auteur d’un harcèlement sexuel, sans éloigner celui-ci de sa victime [11].
L’employeur doit, a minima, rappeler à l’ordre le salarié dont le comportement nuit à la santé d’un de ses collègues et s’il souhaite le sanctionner disciplinairement, déterminer la sanction la plus appropriée parmi celles figurant sur le règlement intérieur.
Les juridictions n’hésitent pas à juger fondé le licenciement d’un salarié qui aurait commis des actes constitutifs de harcèlement moral [12] ou de harcèlement sexuel [13].
Thomas Cuq Avocat Associé au barreau de Paris Ad Hoc avocats [->tcuq@adhoc-avocats.com] https://www.adhoc-avocats.com/ https://www.linkedin.com/in/thomascuq/[1] Cass. soc. 12 juin 2024, n°23-13.975.
[2] Cass. soc. 6 décembre 2023, n°22-14.062 ; 29 juin 2022, n°21-11.437.
[3] Cass. soc. 29 juin 2011, n°09-70.902.
[4] Cass. soc. 1er juin 2022, n°20-22.058.
[5] Cass. soc. 17 mars 2021, n°18-25.597.
[6] Cass. soc. 8 janvier 2020, n°18-20.151 ; 29 juin 2022, n°21-11437.
[7] CA Versailles 28 janvier 2021, n°19/02684.
[8] C. trav. art. L1152-2 et L1152-3.
[9] Cass. soc. 10 mars 2009, n°07-44.092.
[10] Cass. soc. 7 février 2012, n°10-18.035.
[11] Cass. soc. 17 février 2021, n°19-18149.
[12] Cass. soc. 28 juin 2006, n°05-40.990.
[13] CA Versailles 6 septembre 2011, n°10/04998.
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