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Sur le cumul d’infractions en droit pénal et droit du travail. Par Jean-Eloi de Brunhoff, Avocat et Colin Dupas, Elève-Avocat.
Parution : mercredi 6 novembre 2024
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La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 23 janvier 2024 en matière de droit pénal du travail, a eu l’occasion une nouvelle fois d’appliquer sa récente interprétation du principe ne bis in idem [1], selon laquelle il y a lieu désormais de poursuivre cumulativement, pour les mêmes faits, les infractions au Code du travail et les infractions au Code pénal qui seraient en concours.
(Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 23 janvier 2024, 23-81.091, Publié au bulletin.)

I - Le principe de l’admission du cumul des qualifications pour un même fait.

Rappelons d’abord brièvement que le concours idéal de qualifications « se caractérise par un fait unique, mais dont l’exploitation juridique peut passer par l’application de plusieurs textes d’incrimination. La question est de savoir si toutes les qualifications en conflit doivent être cumulées, ou si, au contraire, une seule doit être retenue » [2].

Pour résoudre ce conflit de qualifications, la jurisprudence se fonde sur le principe ne bis in idem, interdisant qu’une personne soit poursuivie et punie à raison des mêmes faits.

Auparavant, la Cour de cassation n’admettait le cumul des qualifications juridiques qu’en cas d’atteintes, par un même fait, à des valeurs sociales différentes qu’il convenait de protéger de façon autonome [3].

Depuis un arrêt de principe en date 15 décembre 2021 bouleversant les règles précédemment admises, la règle désormais posée par la Cour de cassation en présence d’un tel conflit est celle du cumul des qualifications, sauf dans trois hypothèses :

Ainsi, en vertu de cette nouvelle interprétation, véritable création normative prétorienne, la Cour de cassation a pu admettre le cumul des qualifications :

II - Le principe du cumul des qualifications pour un même fait en droit pénal du travail.

L’arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 2024, dont le raisonnement est à double détente, illustre l’application de cette nouvelle interprétation en matière de cumul entre des infractions au Code du travail et la contravention de blessures involontaires prévue dans le Code pénal.

Pour déclarer le prévenu coupable de trois infractions constituées d’un même fait, la cour d’appel avait considéré que l’exécution de travaux par une entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme ou sans information préalable des salariés sur les risques [9] pouvait constituer l’élément matériel de la contravention de blessures involontaires prévue au Code pénal, à savoir un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, et que ces trois infractions pouvaient, en outre se cumuler, chacune protégeant des intérêts distincts.

Faisant application de sa jurisprudence du 15 décembre 2021, la Cour de cassation a d’abord censuré cette motivation obsolète des juges du fond, mais a tout de même admis la triple condamnation prononcée par la cour d’appel, estimant qu’aucune des trois infractions poursuivies « n’est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’une des deux autres ».

La Cour de cassation a donc profité de cette occasion pour allonger la liste ci-dessus des infractions pouvant se cumuler les unes avec les autres pour un même fait, en l’espèce : le délit d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme [10], le délit d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et la contravention de blessures involontaires [11].

En poussant le raisonnement de la Cour de cassation, il semble désormais que les infractions d’homicide ou blessures involontaires puissent se cumuler avec toutes les infractions au Code du travail, dès lors que celles-ci prévoient des obligations de prudence ou de sécurité.

En effet, le Code pénal sanctionne, au titre des infractions non intentionnelles, toute « faute de maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » [12], sans faire référence à telle ou telle disposition du Code du travail.

Le droit pénal étend donc son emprise sur le domaine vaste et de plus en plus complexe des règles de prudence ou de sécurité au travail.

Jean-Eloi de Brunhoff Avocat Associé chez Rineau & Associés Barreau de Nantes http://www.rineauassocies.com et Colin Dupas Elève avocat

[1On ne condamne pas deux fois pour les mêmes faits.

[2Mayaud Yves, « Violences involontaires : théorie générale », chapitre 1, section 1, article 2, §125, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale février 2022.

[3Cass. crim., 3 mars 1960, Bull. crim. n°138.

[4Specialia generalibus derogant.

[5Ibid. §34.

[6Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 9 juin 2022, 21-80.237.

[7Infraction d’acceptation par un parti politique d’un financement provenant d’une personne morale prévue et réprimée par les articles 11-4 et 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

[8Cass. crim., 19 juin 2024, n°23-82.194, affaire des kits de campagne du Front national.

[9Articles R4512-15 et L4741-1 du Code du travail.

[10Articles R4512-6 et L4741-1 du Code du travail.

[11Article R625-2 du Code pénal.

[12Articles 222-19 à 222-21, R625-2 à R.625-6 du Code pénal.

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