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Quels sont les points à formaliser pour sécuriser la pratique du télétravail ? Par Stéfanie Oudard, Avocat.
Parution : mardi 19 novembre 2024
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Selon une étude publiée par la Dares [1] le 5 novembre 2024, la part des salariés télétravaillant occasionnellement est passée de 9 à 26% entre 2019 et 2023 et celle de ceux télétravaillant au moins 3 jours par semaine de 1 à 5% sur la même période.
Si l’impact de la crise sanitaire sur l’évolution du télétravail en France est bien entendu majeur, les salariés qui ont découvert la pratique du télétravail à cette occasion l’ont pour la plupart adoptée et souhaitent la voir perdurer, voire se développer.
A l’inverse, de plus en plus d’entreprises privilégient un retour des salariés au bureau, craignant que la poursuite du télétravail entraîne une perte de contact avec leurs collaborateurs et un manque de productivité.
Pour concilier ces deux tendances, il est indispensable que la pratique du télétravail s’inscrive dans un cadre clair et connu de tous (I). A cet égard, quel que soit le support retenu pour formaliser le télétravail, certaines dispositions doivent impérativement y figurer (II). La mention de clauses facultatives et l’observation de bonnes pratiques permettent également d’assurer une réalisation sereine et sécuriser du télétravail (III).

I. Le cadre juridique du télétravail.

Selon l’article L1222-9 du Code du travail

« le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Hors circonstances exceptionnelles (telles que cas de force majeure ou crise sanitaire par exemple), la pratique du télétravail peut être mise en place selon trois modalités :

La loi privilégie avant tout la mise en place du télétravail par la voie négociée, à travers la conclusion d’un accord collectif dans les conditions de droit commun.

Cela rejoint la position des signataires de l’ANI du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail, qui ont souhaité faire de la mise en place de celui-ci « un thème de dialogue social et de négociation au niveau de l’entreprise et, le cas échéant, au niveau de la branche professionnelle ».

De fait, bon nombre de conventions collectives (syntec, télécommunications, sociétés financières, entreprises d’architecture, cabinets d’experts-comptables, sociétés d’assurance…) offrent aux entreprises relevant de leur branche un cadre juridique sécurisé en la matière.
Ce n’est donc qu’à défaut d’accord collectif - résultant par exemple, au niveau de l’entreprise, d’un échec des négociations engagées en vue de la conclusion d’un accord ou de l’absence de délégué syndical - que l’élaboration d’une charte unilatérale peut être envisagée.

A noter : dans les entreprises pourvues d’un CSE, le projet de charte sur le télétravail doit donner lieu à sa consultation préalable.

Enfin, en l’absence d’accord collectif ou de charte, employeurs et salariés peuvent formaliser leur accord sur la pratique du télétravail « par tout moyen ».

Il est néanmoins vivement recommandé de procéder à cette formalisation par écrit (e-mail, courrier, avenant au contrat de travail) tant pour des raisons de clarté que de preuve en cas de litige, et de prévoir des dispositions aussi complètes que celles que l’on peut trouver dans un accord ou dans une charte.

II. Le contenu de l’accord ou de la charte régissant la mise en œuvre du télétravail.

Les dispositions que doivent obligatoirement contenir un accord collectif ou une charte unilatérale de télétravail sont listées par l’article L1222-9 du Code du travail.
Pour chacune d’entre elles, une proposition de clause est présentée ci-dessous, à adapter naturellement à la situation particulière de l’entreprise concernée.

Les conditions de passage en télétravail, notamment en cas d’épisode de pollution.

Eligibilité au télétravail.

Les parties conviennent que le télétravail est fondé sur la capacité du salarié à exercer ses fonctions de façon autonome et implique que l’activité du salarié puisse être exercée à distance. Sont dès lors éligibles au télétravail, les salariés :

En considération du fait que leur présence sur le lieu de travail est un élément indispensable à leur apprentissage, les salariés en contrat de professionnalisation, en contrat d’apprentissage, ainsi que les stagiaires ne sont pas éligibles au télétravail.

Formalisme de la demande.

Le salarié qui remplit les conditions et qui souhaite effectuer une partie de son activité en télétravail doit adresser une demande écrite en ce sens au service des ressources humaines. Après examen de sa candidature avec le manager concerné et la direction, le service des ressources humaines notifie sa décision par écrit au salarié dans un délai de __ jours calendaires suivant réception de sa demande. En cas de refus, la décision est motivée.

Fréquence et nombre de jours de télétravail.

Afin de maintenir le lien social avec la communauté de travail et préserver le bon fonctionnement des activités de l’entreprise, le nombre de jours maximum télétravaillés est de __ jours par semaine.
Il appartient aux managers de fixer avec chaque salarié concerné le ou les jours de la semaine qui seront télétravaillés, en veillant à assurer la présence simultanée d’un nombre minimum de salariés dans les locaux habituels de travail.
A titre exceptionnel, et en raison de nécessité de services, les jours initialement prévus en télétravail pourront être effectués sur site à la demande du salarié ou de son manager, en respectant un délai de prévenance de __ jours.
Hypothèses de circonstances exceptionnelles, notamment épisode de pollution
Des circonstances exceptionnelles telles que, notamment, une menace d’épidémie, des intempéries majeures, des grèves nationales, la survenance d’un épisode de pollution ou un cas de force majeure, peuvent rendre le télétravail nécessaire afin de permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des collaborateurs.
Dans ces hypothèses, et conformément aux dispositions de l’article L1222-11 du Code du travail, le télétravail peut être mis en place unilatéralement et temporairement par la direction pour la seule durée des évènements exceptionnels. L’application du présent accord/de la présente charte s’en trouvera alors suspendue.
Il est précisé que l’aménagement du poste de travail issu de l’application de cette clause ne constitue pas une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du collaborateur.

Les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail.

Une période d’adaptation au télétravail d’une durée de __ mois est prévue afin de vérifier, entre autres, la capacité du salarié à télétravailler et celle de l’entreprise à organiser le travail à distance. Durant cette période, chaque partie peut mettre fin unilatéralement et par écrit au travail hybride en respectant un délai de prévenance de __ jours.
A la suite de cette période probatoire, l’entreprise et le salarié pourront, à tout moment, mettre fin au télétravail en respectant un délai de prévenance de __ jours.
En cas de réversibilité à l’initiative de l’employeur, celui-ci devra en motiver les raisons par écrit sur la base notamment des critères d’éligibilité.
Lorsqu’il est mis fin à la situation de télétravail, quels qu’en soient la durée et les motifs, le salarié reprend son activité dans les mêmes conditions que celles applicables antérieurement.
Par ailleurs, la situation de télétravail prend fin automatiquement en cas de changement de poste du salarié sur un poste qui ne peut être exercé en télétravail.

Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail.

Le télétravail peut être mis en place soit à l’initiative du salarié, soit à celle de l’entreprise, mais suppose en toute hypothèse l’accord des deux parties. Ainsi, le télétravail ne peut être imposé ni au salarié ni à l’entreprise.
La mise en œuvre du télétravail fera l’objet d’un avenant au contrat de travail qui précisera notamment :

Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail.

Le télétravail ne doit pas avoir pour effet d’augmenter la charge de travail habituelle du collaborateur, de compromettre la bonne exécution de ses missions ou d’entraîner un dépassement des durées maximales de travail ou le non-respect des durées minimales de repos.
Il appartient conjointement à la direction de l’entreprise et au télétravailleur de veiller au respect des dispositions légales ou conventionnelles relatives aux temps de travail et de repos et au maintien d’une charge de travail raisonnable.
En cas de difficulté, il est demandé au télétravailleur de se rapprocher de son manager afin de trouver ensemble et dans les meilleurs délais les solutions appropriées à la résolution des difficultés rencontrées.
Indépendamment de points réguliers, la charge de travail et les conditions d’activité du télétravailleur sont examinées annuellement au cours d’un entretien organisé entre le manager et le salarié concerné.

La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

Afin de respecter la vie privée du salarié en situation de télétravail, des plages horaires durant lesquelles il peut être contacté sont fixées d’un commun accord par le manager et le salarié.
Dans le but de permettre à chaque salarié de continuer à bénéficier d’un cadre de travail conciliant au mieux vie professionnelle et vie personnelle, la pratique du télétravail requiert une vigilance accrue quant au droit à la déconnexion.
A ce titre et sauf circonstances exceptionnelles, les managers ne doivent pas solliciter leurs collaborateurs :

Les modalités d’accès au télétravail des travailleurs handicapés, des salariées enceintes et des salariés aidants.

Pour faciliter leur insertion professionnelle et à leur maintien dans l’emploi et lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle, une attention particulière est portée par le management et les ressources humaines aux demandes formulées par les salariés se trouvant dans des situations personnelles particulières ou faisant l’objet de contraintes médicales spécifiques leur permettant de bénéficier en priorité du télétravail, dans des conditions adaptées. Entrent dans cette catégorie les collaborateurs :

Les conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail seront définies en concertation avec le service des ressources humaines, le salarié concerné et son manager, ainsi que les services de santé au travail, le cas échéant.

III. Les clauses facultatives et les bonnes pratiques.

Outre ces dispositions obligatoires, il est fortement recommandé de prévoir dans l’accord ou la charte des clauses précisant :

Enfin, pour assurer une information précise et complète des salariés et des managers, il peut être utile de leur remettre un livret ou guide des bonnes pratiques du télétravail, comprenant notamment :

Stéfanie Oudard Avocat à la Cour Barreau de Paris Eunice Avocats [->stefanie.oudard@eunice-avocats.fr]

[1Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques.

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