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[Point de vue] Accès à la profession d’avocat : entre réforme académique et reconnaissance de l’expérience.
Parution : lundi 18 novembre 2024
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L’accès à la profession d’avocat évolue sous l’impulsion de la loi du 20 novembre 2023, qui rehausse dès 2025 le niveau de diplôme requis pour les aspirants à la voie classique. Tandis que ce parcours académique s’intensifie avec l’exigence d’un master 2 en droit, la passerelle pour les juristes d’entreprise expérimentés reste inchangée, valorisant une pratique juridique de longue durée. Entre réforme et continuité, ces deux voies reflètent des philosophies distinctes, mais complémentaires, pour garantir la compétence et la diversité des professionnels du barreau.

L’accès à la profession d’avocat est un cheminement exigeant, encadré par des règles qui visent à préserver l’excellence et la déontologie. Deux grandes voies s’ouvrent aux aspirants : la voie classique, ancrée dans un parcours académique rigoureux, et la passerelle, qui valorise l’expérience professionnelle acquise dans des fonctions juridiques.

Avec l’entrée en vigueur de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 [1], le paysage de ces modalités se redessine, conférant davantage de poids à la formation académique tout en maintenant la reconnaissance des compétences acquises sur le terrain.

I. La voie classique : un itinéraire académique renforcé.

A. Un cadre renouvelé.

Jusqu’à présent, la voie classique permettait d’accéder à la profession d’avocat après un master 1 en droit. Cependant, la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, dans son article 49, impose, à compter du 1er janvier 2025, l’obtention d’un master 2 en droit comme condition préalable. Ce rehaussement du niveau académique répond à une volonté d’harmoniser les standards d’accès à la profession, dans un contexte où le droit se complexifie et exige des spécialisations pointues.

B. Les étapes du parcours.

La voie classique se décline en trois grandes étapes :

  1. La formation universitaire : dès le 1er janvier 2025, les aspirants devront justifier d’un master 2 en droit, lequel offre une spécialisation approfondie dans des branches variées telles que le droit des affaires, le droit public ou encore le droit pénal.
  2. L’examen d’entrée au centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) : cet examen, réformé en 2017 [2], évalue les compétences des candidats à travers des épreuves théoriques et pratiques, parfois redoutées pour leur sélectivité.
  3. La formation au CRFPA : sur une durée de 18 mois, cette formation combine cours théoriques, exercices pratiques et stages, avec pour finalité l’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), indispensable pour prêter serment.

C. Un temps d’apprentissage prolongé.

Si l’objectif est d’assurer une préparation plus solide, la réforme allonge également la durée des études. Celle-ci s’établit désormais à près de sept années après le baccalauréat, incluant cinq années d’université et 18 mois de formation pratique. Ce parcours rigoureux se destine aux jeunes diplômés souhaitant intégrer la profession avec une formation complète et normée.

II. La passerelle pour les juristes d’entreprise : une reconnaissance immuable de l’expérience.

A. Une voie distincte et pragmatique.

Contrairement à la voie classique, la passerelle s’adresse à des professionnels du droit ayant déjà fait leurs preuves. Encadrée par l’article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat [3] qui prévoit :

« Les juristes d’entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d’une ou plusieurs entreprises. »

Elle dispense les candidats de la formation théorique et pratique, ainsi que de l’obtention du CAPA. Elle vise notamment les juristes d’entreprise, les notaires et autres praticiens du droit remplissant des conditions strictes d’éligibilité.

B. Les critères d’accès.

Pour bénéficier de cette passerelle, le juriste d’entreprise doit :

C. Un examen de déontologie.

Si les candidats sont dispensés de formation, ils doivent néanmoins se soumettre à un examen de contrôle en déontologie et réglementation professionnelle, conformément à l’article 98-1 du décret précité. [5] Cet examen, bien que spécifique, s’inscrit dans une logique de continuité avec l’exigence déontologique de la profession.

D. Une valorisation de l’expérience.

La passerelle repose sur un principe fondamental : valoriser l’expertise acquise par l’exercice du droit en entreprise. Toutefois, cette transition vers la profession d’avocat nécessite de justifier d’au moins huit années de pratique juridique en entreprise, gage d’une expertise solide, et d’un master 1 en droit [master 2 à compter du 1er janvier 2025].

Ainsi, contrairement à la voie classique, la procédure d’accès est allégée, se limitant aux formalités administratives et à la réussite de l’examen de déontologie, ce qui en fait une reconnaissance de l’expérience professionnelle avant tout.

III. Une comparaison des deux voies.

Les critères comparatifs des deux voies d’accès à la profession d’avocat se distinguent comme suit :

  1. Diplôme requis : à compter de janvier 2025, le master 2 en droit devient obligatoire pour accéder à la profession d’avocat, tant par la voie classique que par la passerelle. [6]
  2. Expérience professionnelle : la voie classique ne nécessite pas d’expérience préalable, tandis que la passerelle s’adresse aux juristes ayant au moins huit ans d’expérience professionnelle dans une activité juridique prédominante.
  3. Formation pratique : la voie classique impose une formation de 18 mois au sein du CRFPA, comprenant des cours théoriques et des stages pratiques. La passerelle dispense ses candidats de toute formation pratique spécifique.
  4. Examens requis : les candidats de la voie classique doivent passer l’examen d’entrée au CRFPA et obtenir le CAPA. Ceux de la passerelle doivent réussir un examen de contrôle en déontologie et réglementation professionnelle.  [7]
  5. Durée totale estimée : le parcours classique se déroule en deux étapes : une première période de quatre années [portée à cinq années à compter du 1er janvier 2025] après l’obtention du baccalauréat, consacrée aux études universitaires, suivie d’une seconde période de 18 mois dédiée à la formation pratique. Dans le cadre de la passerelle, l’accès repose sur un minimum de huit ans d’expérience professionnelle, auxquels s’ajoutent les formalités administratives et le passage de l’examen de déontologie.

IV. Les nuances jurisprudentielles.

A. La notion d’expérience juridique substantielle.

À plusieurs reprises, la jurisprudence a précisé les contours de la notion d’« expérience juridique » requise pour bénéficier de la passerelle prévue par le 3° de l’article 98 du décret du 27 novembre 1991. Cette disposition, réservée aux juristes d’entreprise justifiant de huit années d’activité, fait l’objet d’une interprétation rigoureuse par les juridictions. Ainsi, seules les activités directement et exclusivement juridiques, exercées au sein d’un service spécialisé, peuvent être prises en compte. Les tâches connexes, comme la gestion ou les fonctions administratives, ne sauraient satisfaire ces exigences.

Dans un arrêt récent, la Cour d’appel de Versailles [8] a réaffirmé ces principes en examinant la demande d’un candidat invoquant une expérience de juriste dans divers contextes professionnels. L’appréciation s’est focalisée sur deux critères essentiels : l’exclusivité des fonctions juridiques et leur exercice au sein d’un service juridique clairement identifié.

L’intéressé, en qualité de responsable juridique dans une galerie d’art, revendiquait la gestion de contentieux et d’autres tâches juridiques. Cependant, la Cour a relevé que ces missions étaient mêlées à une multitude d’activités annexes, telles que la gestion administrative et organisationnelle. Cette diversité de fonctions et l’absence d’un rattachement exclusif à un service juridique spécialisé ont conduit à écarter cette expérience comme conforme aux critères de l’article 98.

Cet arrêt souligne une nouvelle fois que la notion d’expérience juridique repose sur l’exercice exclusif et autonome de fonctions strictement juridiques, exercées au sein d’un service juridique structuré et dédié. La jurisprudence protège ainsi le caractère spécialisé de cette passerelle en excluant les expériences où les missions juridiques qui sont diluées parmi d’autres fonctions.

B. Une évaluation encadrée par la jurisprudence.

Bien que le 3° de l’article 98 du décret du 27 novembre 1991 ouvre une passerelle aux juristes d’entreprise justifiant de huit années de pratique professionnelle, le texte reste silencieux quant à une définition précise de la notion de « juriste d’entreprise » et des activités reconnues. Dans ce contexte, les Conseils de l’Ordre doivent nécessairement s’appuyer sur une jurisprudence riche et évolutive pour évaluer les candidatures.

Chargés de garantir le respect des critères, les Conseils de l’Ordre procèdent à une analyse rigoureuse des parcours professionnels, s’attachant à vérifier la régularité, la densité et la spécialisation des missions juridiques invoquées. Ces principes jurisprudentiels offrent un cadre structurant qui guide leurs décisions, tout en laissant place à une certaine adaptation face à la diversité des expériences.

Néanmoins, malgré l’existence de repères bien établis, chaque parcours étant unique, une part d’interprétation demeure inévitable dans l’évaluation. Cette dimension subjective, propre à l’exercice, peut parfois être perçue comme une source d’incertitude, tant pour les candidats, soucieux de voir leur expérience reconnue dans toute sa singularité, que pour les Conseils de l’Ordre, chargés de trancher des situations parfois complexes. Ainsi, comme l’a illustré la décision de la Cour d’appel de Versailles du 27 septembre 2022 (CA Versailles, 27 septembre 2022, n° 21/04953), les Conseils doivent conjuguer rigueur dans l’application des critères jurisprudentiels et discernement face à des expériences professionnelles variées, ce qui peut rendre certaines décisions délicates.

Ainsi, en l’absence de définition légale explicite, la jurisprudence constitue pour les Conseils de l’Ordre un outil essentiel. Elle leur permet d’apprécier avec cohérence et minutie les dossiers soumis, tout en s’efforçant d’allier rigueur et considération des spécificités individuelles.

Conclusion : vers des barreaux d’excellence, diversifiés et enrichis par des parcours variés.

L’entrée en vigueur de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 constitue une avancée majeure dans l’évolution de la profession d’avocat. À compter du 1er janvier 2025, l’exigence d’un master 2 en droit pour accéder à la profession, désormais alignée avec d’autres professions juridiques, reflète une volonté de reconnaissance et de valorisation des compétences élevées, renforçant ainsi le rayonnement et le prestige de la profession.

En rehaussant les exigences académiques pour la voie classique, cette évolution s’inscrit dans une logique de spécialisation et de compétences, tout en établissant une certaine cohérence avec l’expérience exigée des juristes accédant à la profession par la passerelle. Le maintien de cette passerelle souligne l’importance de reconnaître la richesse des parcours professionnels, permettant aux barreaux de s’enrichir de profils diversifiés et complémentaires.

Ces deux voies d’accès, bien que distinctes, traduisent un équilibre harmonieux entre une formation académique approfondie et la valorisation des savoir-faire pratiques. Elles contribuent à la constitution de barreaux non seulement plus compétents, mais aussi plus diversifiés et représentatifs, garantissant ainsi l’excellence, le dynamisme et la richesse de la profession d’avocat.

Dorian-Jacob Le Bay Juriste - Legal Designer Droit des affaires : droit de la distribution bancaire, droit des assurances, droit du numérique et droit des entreprises en difficulté [->dorian-jacob.lebay@objectifprojet.fr]

[1Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

[2Arrêté du 17 octobre 2016 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats.

[3Article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.

[4Civ. 1ère, 5 février 2009, n°08-10.434

[5Article 98-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.

[6Article 11, 2°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

[7Arrêté du 30 avril 2012 fixant le programme et les modalités de l’examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle prévu à l’article 98-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.

[8CA Versailles, 27 septembre 2022, n° 21/04953.

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