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Les voies d’exécution en copropriété : la détermination de la mesure d’exécution. Par Charles Dulac, Avocat.
Parution : vendredi 20 décembre 2024
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S’il n’existe pas une légalité propre à l’exécution forcée en copropriété, la mise en œuvre des voies d’exécution dans ce domaine comporte des spécificités liées à la matière. Ainsi, les généralités devront se mêler à une application concrète.

Au risque de froisser la magistrature mais un jugement ce n’est finalement qu’un bout de papier. Vous pouvez pavaner avec la plus belle des condamnations, vous enorgueillir d’être le Dupond-Moretti du recouvrement de charges de copropriété, « zéro débouté à mon actif, que des jugements favorables », in fine, vous n’avez dans les mains qu’une décision de justice signée et tamponnée qui se caractérise, ni plus ni moins, par de l’encre séchée sur une feuille de papier A4. Voilà ! Pas plus. Et trop souvent c’est l’écueil. Le mea-culpa revient certainement et en priorité à ma corporation. N’en déplaise à certains de mes confrères, mais l’aspiration à un « bon » jugement fait souvent oublier le véritable objectif de la poursuite initiale. Or, dès l’origine, il convient de se préoccuper des suites d’une décision judiciaire. Surtout en copropriété où la recherche d’une condamnation n’a, contrairement au pénal, aucune portée symbolique. En effet, lorsqu’on engage une procédure en recouvrement de charges, une procédure en dépose d’une installation litigieuse, en demande de réparation de désordres… l’objectif est entièrement concret et vise à obtenir une action effective, une rentrée pécuniaire. Et, en ce sens, la réflexion quant à l’application de la condamnation devient autant, voire plus importante, que l’obtention elle-même de la décision. Ainsi, entre en jeu les voies d’exécution forcée.

L’exécution forcée n’est rien d’autre que la concrétisation d’une décision. Il s’agit de l’ensemble des instruments qui permettent au créancier d’un droit de contraindre son débiteur à s’en acquitter. Les voies d’exécution forcée sont ainsi le complément indispensable de la justice, pour la faire passer de la fictivité que représente la décision impérieuse du magistrat, à sa matérialisation. Historiquement, les procédures d’exécution ont tout d’abord chercher à s’humaniser. Elles ont pris en considération la personne du débiteur, en lui octroyant des mesures protectrices (insaisissabilité d’un bien, surendettement) et en limitant l’exécution sur la personne (fin de l’emprisonnement privé et de la vente comme esclave). Puis, il a fallu standardiser les modes d’exécution forcée. Tout d’abord normalisées dans le Code de procédure civile de 1806, elles ont subi une réforme générale en juillet 1991 [1], notamment sur la procédure de saisie immobilière, avant d’être intégralement codifiées le 1ᵉʳ juin 2012 et la création du Code des procédures civiles d’exécution [2]. Une volonté désormais de permettre une plus grande efficacité et célérité dans la mise en œuvre de ces procédures pour le créancier.

Ainsi, le premier article du Code des procédures civiles d’exécution dispose :

« Tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard » [3].

Quelles sont alors les applications concrètes de ces mesures dans le domaine de la copropriété ? En réalité, la mise en ouvre des voies d’exécution forcée est peu ou prou identique pour toutes les matières civiles. Néanmoins, l’intérêt de cette discipline réside dans l’adaptation de ces outils de contrainte à la réalité du terrain, aux aspérités du monde la copropriété. On parle alors de déterminer la mesure d’exécution.

I. La détermination de la mesure d’exécution se caractérise tout d’abord par l’obtention ou non d’un titre exécutoire.

C’est la condition substantielle de l’exécution. Sans titre, l’exécution n’a pas de valeur étant donné qu’elle est censée justement justifier, matérialiser la décision de justice. C’est bien sur la base de ce bout de papier exécutoire que la contrainte pourra s’exercer. Notons tout de même, et cela sera évoqué dans un second temps, que des exceptions existent et permettent d’engager de manière exorbitante une première pression sur le débiteur, dans la perspective d’un jugement.

« Seuls constituent des titres exécutoires :
1° Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
2° Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
2° bis Les décisions rendues par la juridiction unifiée du brevet ;
3° Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
4° Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
4° bis Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce ou à leur séparation de corps par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du Code civil ;
5° Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L125-1 ;
6° Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement ;
7° Les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente
 ».

Bonne chance, sachant que chaque point de la liste pourrait faire l’objet d’un livre de droit. Ainsi, simplifions et intéressons nous à ce qui nous concerne, à savoir les titres exécutoires courants en copropriété. Le titre exécutoire majoritairement usité en copropriété est… la décision rendue par l’ordre judiciaire. Il peut s’agir d’un jugement, lorsque la décision a été rendue par une juridiction de première instance : tribunal judiciaire, juge de proximité ou juge des contentieux de la protection. Il peut s’agir d’une ordonnance, lorsque la décision résulte d’un juge des référés ou d’une requête, notamment en injonction de payer. Ajoutons qu’en matière d’appel, on parle d’arrêt de la cour d’appel.

En outre, ce titre doit revêtir la forme « exécutoire », qui se caractérise concrètement par la formule apposée à la fin de chaque décision, suivi de la signature et du tampon de la Juridiction : « En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis ». En revanche, le titre n’est pas obligé d’avoir l’autorité de la chose jugée, signifiant qu’il n’est plus susceptible d’aucun recours. En effet, la plupart des décisions bénéficient de la force de la chose jugée et sont exécutoires provisoirement (de droit désormais). Ainsi, la mesure forcée peut être mise en œuvre, à charge pour le débiteur de la contester ou d’en demander la suspension.

Enfin, pour être parfaitement exécutoire, le titre doit être signifié par huissier. Cette condition a pour objectif de porter la décision à la connaissance du débiteur et de faire courir l’éventuel délai de recours (appel, opposition ou cassation). Notons qu’en matière d’ordonnance en injonction de payer ou de jugement rendu par défaut, c’est-à-dire sans la comparution du défendeur, le titre doit être signifié dans les six mois sous peine d’être caduque.

Le droit de la copropriété se distingue de deux façons en matière de saisie sans titre exécutoire. Premièrement, depuis la Loi du 9 avril 2024, dite Habitat dégradé (Loi n° 2024-322 du 9 avril 2024), l’article L511-2 du Code des procédures civiles d’exécution a été étendu aux charges de copropriété impayées. En vertu de cette disposition, au même titre que pour les dettes de loyers ou bancaires, le Syndicat bénéficie dorénavant d’une « super-saisie conservatoire » qui lui permet de geler sa créance sur les biens du débiteur (comptes bancaires, meubles, loyers..) ou de prendre une sûreté (nantissement de fonds de commerce, de parts sociales), sans autorisation préalable du juge, à charge d’engager une procédure judiciaire dans le délai d’un mois. Cette mesure, qui ne nécessite pas d’habilitation préalable du syndic [5], doit être mise en œuvre par le Commissaire de justice, sans qu’il soit précisé des documents dont doit justifier le Syndicat (décompte, appels de fonds, procès-verbaux… ?), pour conserver non seulement les charges exigibles [6], mais également prévisionnelles, comme le prévoit l’article 19-2 de la Loi du 10 juillet 1965. A ce titre, même si le texte ne prévoit pas si la procédure judiciaire ultérieure doit répondre aux exigences de l’article 19-2, il est conseillé de délivrer en amont une mise en demeure au débiteur assortie d’un délai d’un mois (30 jours), tout simplement pour respecter la condition de délai pour l’engagement de l’action en justice postérieure.

La seconde particularité du droit de la copropriété en matière de saisie sans titre exécutoire résulte du droit d’opposition article 20. Cette technique qui vise, pour le syndic, à retenir puis se faire reverser la créance du Syndicat des copropriétaires sur le prix de vente du bien, est exorbitante du droit commun des exécutions forcées. Elle n’est par ailleurs pas prévue par le Code des procédures civiles d’exécution mais par la loi du 10 juillet 1965 et son Décret d’application du 17 mars 1967, qui imposent des conditions de forme (notification par voie d’huissier dans un délai de 15 jours à compter de la notification notariale) et de fond (mention précise de la créance exigible et certaine) extrêmement strictes. Rappelons enfin que le débiteur saisi, vendeur de son bien, dispose d’un délai de trois mois après la vente pour solliciter la mainlevée de la saisie devant une Juridiction du fond (et non un juge de l’exécution).

II. La détermination de la mesure d’exécution se caractérise ensuite par l’identification de son cadre.

A nouveau, l’obtention d’un titre exécutoire n’est pas une fin en soi. En copropriété, comme dans toutes les matières civiles, il faut considérer l’exécution du jugement en amont et projeter sur la nature des mesures qui devront être mises en œuvre. Pour ce faire, il convient d’anticiper le cadre du litige pour envisager par la suite d’une mesure adéquate. Or, plusieurs aspects vont jouer quant aux voies d’exécution qui seront considérées après l’obtention de la décision judiciaire : de l’identité du débiteur à la nature de l’obligation et celle du bien objet de l’exécution.

En outre, la distinction entre personne morale et personne physique n’est pas suffisante. Car, au sein même de ces deux groupes, il existe des distinctions (évidemment). Sur les personnes physiques, par exemple, il n’est pas possible de mener une procédure en exécution forcée si elle fait l’objet d’une procédure en surendettement et si un jugement a été rendu et notifié par la Commission. Il convient de noter qu’un plan de surendettement, s’il peut être contesté, suspend, non pas l’action judiciaire aux fins de condamnation, mais les poursuites forcées y afférant. De même, un majeur protégé devra faire l’objet d’une attention toute particulière. Effectivement, autant si la mise sous sauvegarde judiciaire demeure une mesure souple, le placement sous curatelle ou, encore plus fort, sous tutelle nécessite de dénoncer les actes judiciaires, notamment d’exécution forcée, au représentant désigné. Enfin, les mineurs bénéficient également d’un régime particulier quant à l’application de certaines mesures d’exécution forcée. A titre d’exemple, la Préfecture aura plus de difficultés à délivrer son concours tant que le mineur (ou une famille) ne sera pas relogé (DALO).

Enfin, une distinction doit également se faire au sein des personnes morales. Tout d’abord, la structure de la société, à responsabilité limitée ou indéfinie, pourra déterminer des poursuites ou non sur les dirigeants. De même, une société placée sous procédure collective ne pourra plus être saisie et la créance judiciaire devra être déclarée, dans les délais sous peine de forclusion, auprès du mandataire désigné par le Tribunal de commerce.

En conclusion, on observe que la détermination de la mesure d’exécution forcée nécessite de déterminer en amont le cadre du dossier. Il est essentiel de l’anticiper dès l’engagement de la procédure introductive d’instance pour envisager des suites et de la mise en œuvre de la décision à venir.

III. La détermination de la mesure d’exécution se caractérise enfin par l’identification de son mode.

Pour achever cette partie sur la détermination de la mesure d’exécution, il faut évidemment s’intéresser à l’essence même de cette mesure. A son mode de mise en œuvre. S’il existe assurément plusieurs typologies de classification à ce sujet, la plus englobante est à mon sens celle qui distingue trois types d’exécution forcée : celle par nature, celle équivalente et celle sur la personne.

Charles Dulac Avocat au Barreau de Paris [->contact@dulac-avocat.com]

[1Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991.

[2Ordonnance du 19 décembre 2011 et Décret du 30 mai 2012.

[3Article L111-1 - CPCE.

[4Article L511-4 - CPCE.

[5Article 55 - Loi du 10 juillet 1965.

[6Article 14-1 Loi du 10 juillet 1965.

[7Article 1103 du Code civil.

[8Article 1221 du Code civil.

[9Article 1222 du Code civil.

[10Cass. Civ. 3ᵉ, 11 mai 2005, n°03-21.136.

[11Cass. Civ.1ère, 27 novembre 2008, n°07-11.282.

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