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[Tribune] A propos des référendums de la Constitution de 1958. Par Raphael Piastra, Maître de Conférences.
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Parution : lundi 6 janvier 2025
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Cet article se propose d’étudier les différents référendums proposés par la Constitution de 1958 notamment celui de l’art. 11C. Il est de plus en plus d’actualité.
Depuis les vœux du président Macron du 31 décembre dernier, le référendum a été remis au goût du jour. Il convient ici de préciser un peu ce qu’il en est de cette règle constitutionnelle éminente de notre Vé. Un certain nombre de contre-vérités, d’approximations voire de mensonges sont dits à son propos. Notamment dans la classe politique surtout à ses extrêmes.
D’abord de quel référendum parle-t-on ? Il existe trois types de référendums : art. 11, art. 89 et art. 72 C. Évacuons les deux derniers, plus secondaires, pour se concentrer sur le premier.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.
Ce texte référendaire révèle à vrai dire deux types de référendums. Le premier et le plus important : le référendum législatif. Le texte soumis au référendum peut porter exclusivement sur les trois sujets suivants :
Ce type de référendum a été utilisé, par exemple, en 1992 pour la ratification du traité de Maastricht sur l’Union européenne ou, plus près de nous, sur la Constitution européenne de 2005. Le premier fut adopté d’extrême justesse alors que le second aboutît à un échec. Il s’avère que l’on est dans les deux cas dans le second domaine sur l’autorisation de ratifier un traité international (européen en l’espèce).
Sur le premier domaine, le seul référendum qui a eu lieu le fût en 1962. Mais le général de Gaulle détourna quelque peu l’article 11 en faisant adopter par le peuple la révision de l’élection du président de la République au suffrage direct. Cette procédure suscita un tollé quasi général car, théoriquement, la révision constitutionnelle relève de l’art. 89 C. Mais comme l’ont souligné un certain nombre de collègues (minoritaires) à l’époque, l’onction populaire large (environ 70%) lave de tout soupçon la manœuvre gaullienne. En revanche, en 1969, lorsque le général veut à nouveau réviser ainsi (régionalisation, fusion Sénat/CES), il échoue et quitte le pouvoir.
Et c’est un de ses plus virulents pourfendeurs d’alors, F. Mitterrand (Le coup d’Etat permanent, 1964) qui cautionna le procédé en 1994. Nous sommes de ceux qui pensent qu’il est possible d’utiliser l’art. 11 C pour réviser la Constitution.
Le dernier domaine référendaire est certainement celui où il y a le plus d’opportunités. Paradoxalement il n’a encore jamais été utilisé. Il est vrai que politique économique, sociale ou environnementale de la Nation englobe beaucoup voire trop de choses. Et puis ce sont des concepts à tout le moins larges et prêtant donc à interprétation. Or on sait depuis Gustave Le Bon que L’interprétation diverse des mêmes mots par des êtres de mentalité dissemblable a été une cause fréquente de luttes historiques.
Lors de ses vœux pour 2025, E. Macron a remis sur la table, non pas le mot référendum lui-même, mais son souhait d’interroger les français directement. Pour la dissolution il lui faut attendre juillet prochain. Il y a bien la démission mais, en l’état actuel et sauf à être plus informé, il ne l’envisage pas.
Il reste donc, il est vrai le référendum. Un certain nombre de partis, aux extrêmes de l’échiquier politique notamment, le demandent. Principalement sur trois domaines : immigration, retraites et fin de vie. Sur l’immigration, en l’état actuel du texte constitutionnel, pas une seule question ne résiste à la sagacité du Conseil d’Etat ou même du Conseil Constitutionnel. Imaginons la question que suggère le RN : êtes-vous pour ou contre l’immigration ? Imaginons que pendant la campagne référendaire un crime ou un délit soit à nouveau commis par un migrant en situation irrégulière. Dans un contexte nauséabond de quasi vendetta, le oui recueillerait a minima 80%. Mais une telle question est inenvisageable en l’état actuel du droit fixé à l’art. 11C. Cela signifie qu’il faut réviser le domaine de ce dernier. Mais avec beaucoup de précaution. Le dernier qui s’y est essayé c’est F. Mitterrand en 1984 (école privée). Il a vite rengainé son projet. En revanche, sur les retraites, c’est tout à fait possible. Encore faut-il trouver la bonne question. Car si c’est : voulez-vous revenir sur la réforme Macron ?, cela déboucherait certes sur une approbation générale mais à quel prix…
Mais cela c’était avant la dissolution inopportune de 2024. Avec l’impopularité record du chef de l’Etat (à peine 22% en novembre 2024 et près de 55% de Français qui souhaitent sa démission) entamer un référendum relèverait de l’échec assuré. Et des conséquences qui, en l’état actuel du contexte politique qui a lui-même provoqué, poserait assurément la question de son maintien à l’Elysée. Pour le référendum de 1969, Mauriac a parlé d’un « cas sans précédent de suicide en plein bonheur ». Qu’en serait-il si Macron en déclenchait un aujourd’hui ?...
On le disait plus haut, l’article 11 prévoit aussi depuis 2008, le référendum d’initiative partagée. Il est aussi un référendum législatif. Il peut être déclenché après qu’une proposition de loi a été soutenue par un dixième du corps électoral. A ce jour, sur huit propositions de RIP déposées, la seule ayant réussi à franchir le premier seuil parlementaire et l’avis du Conseil constitutionnel, est celle visant à considérer le groupe Aéroports De Paris (ADP) comme un service public. Elle n’a recueilli que 1 093 030 signatures, soit moins d’un quart du nombre de soutiens nécessaires (4,7 millions). Ce procédé de RIP défini à l’art 11 C est « une usine à gaz » qui, à notre sens, ne sera jamais couronnée de succès. A moins d’en simplifier les règles.
Attention, le référendum d’initiative partagée est différent du référendum d’initiative populaire ou citoyenne. Seul le premier existe en France, le second faisant partie des revendications de mouvements citoyens (tels que celui des gilets jaunes en 2018). Le référendum d’initiative populaire existe à l’étranger. En Italie, il peut être lancé à la demande de 500 000 électeurs tandis qu’en Suisse, 50 000 électeurs suffisent.
« Un référendum c’est une excitation nationale où on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question » (Michel Rocard).
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