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La valeur juridique des smart contracts : entre promesses technologiques et réalités juridiques. Par Yasser Elkouri, Doctorant
Parution : mercredi 15 janvier 2025
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Dans un monde de plus en plus numérisé, les smart contracts, portés par la technologie blockchain, promettent de révolutionner la manière dont les engagements contractuels sont exécutés. Mais cette innovation soulève des interrogations fondamentales : sont-ils compatibles avec les principes établis du droit des contrats ? Cet article se propose d’explorer la nature juridique des smart contracts, leur conformité aux exigences du Dahir des Obligations et des Contrats marocain, et les défis qu’ils posent à l’équilibre entre innovation technologique et cadre juridique traditionnel.

Introduction

L’avènement des smart contracts, rendu possible par la technologie blockchain, pose des questions fondamentales quant à leur statut juridique. Ces programmes informatiques, qui exécutent automatiquement des transactions dès que certaines conditions sont remplies, se présentent comme une alternative moderne aux contrats traditionnels. Mais leur immuabilité, leur transparence et leur absence d’intermédiaires suffisent-ils à les considérer comme des contrats au sens juridique du terme ? Cet article explore cette question à travers une démarche rigoureuse, articulée autour des définitions technique et juridique, des conditions de validité des contrats et de leur compatibilité avec le cadre marocain.

Définitions essentielles.

La définition technique des smart contracts.

Un smart contract est un programme informatique auto-exécuté, inscrit sur une blockchain. Concrètement, il s’agit d’un code qui formalise des obligations contractuelles entre des parties et en garantit l’exécution automatique lorsqu’une condition préalablement définie est réalisée.
Ses caractéristiques principales incluent :

La définition juridique du contrat.

Selon l’article premier du Dahir des Obligations et des Contrats (DOC), un contrat est « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes en vue de créer, éteindre, transmettre ou modifier des obligations juridiques ». Cette définition repose sur quatre éléments essentiels :

Analyse des conditions de validité des smart contracts.

Consentement : un concept réinterprété.

Dans un contrat classique, le consentement peut être écrit, verbal ou tacite. Pour un smart contract, le consentement se manifeste par l’acceptation et le déploiement du code informatique. Cette formalisation pose plusieurs questions :

Capacité juridique : un défi technique.

La capacité juridique des parties est une condition sine qua non de la validité d’un contrat. Or, la nature décentralisée et pseudonymisée de la blockchain complique l’identification des contractants. Il devient difficile de vérifier si une partie est juridiquement apte à conclure un contrat.

Objet : un terrain propice, mais non exempt de risques.

L’objet du contrat doit être licite, clairement déterminé et exécutable. Les smart contracts remplissent souvent ces critères, car les termes codés sont précis. Cependant, des problèmes surviennent lorsque l’objet est illicite dans certaines juridictions, soulevant des enjeux de territorialité juridique.

Cause : l’ombre d’une ambiguïté.

Dans le cadre des smart contracts, la cause est rarement explicite. Cela complique l’évaluation de la licéité et des motivations des parties. Ce manque de transparence pourrait être une source de litiges.

Les smart contracts à l’épreuve du Dahir des Obligations et des Contrats (DOC).

En droit marocain, l’article 417-1 du DOC reconnaît la validité des écrits électroniques. Cette disposition offre une base juridique pour considérer les smart contracts comme des contrats électroniques. Toutefois, leur application soulève des questions importantes :

  1. L’immutabilité : un atout, mais aussi une contrainte. L’immutabilité des smart contracts garantit la sécurité des transactions, mais pose un problème majeur en cas d’erreur ou de changement de circonstances. Contrairement aux contrats traditionnels, ils ne permettent pas de modifier les termes après leur déploiement.
  2. L’identification des parties : un obstacle majeur. La pseudonymisation des identités sur la blockchain complique l’authentification des parties contractantes. Cela peut être préjudiciable lors d’un recours judiciaire, où l’identité des parties est essentielle.
  3. L’absence de recours adaptés. Les contrats traditionnels prévoient des solutions en cas de non-respect des obligations (nullité, réparation). Les smart contracts, eux, se heurtent à l’immutabilité de leur exécution, rendant les recours juridiques complexes.

Tableau de synthèse : comparaison entre contrat traditionnel et smart contract.

Comparaison entre contrat traditionnel et smart contract
CritèresContrat traditionnelSmart contract
Consentement Libre, éclairé, multiple formes Implicite, traduisible en algorithme
Objet Objet

Licite
Licite mais parfois transfrontalier
Cause Explicite Peu ou pas codifiée
Modification Possible avec accord des parties Immuable
Recours en cas de litige Tribunaux Complexe (pas de recours direct)

Conclusion

Les smart contracts incarnent une révolution dans les pratiques contractuelles, mais leur nature technique et immuable soulève des enjeux juridiques complexes. Bien qu’ils puissent être reconnus comme des contrats électroniques au Maroc, leur mise en œuvre effective nécessite des ajustements législatifs et une meilleure harmonisation internationale. Une réflexion approfondie reste essentielle pour concilier innovation technologique et sécurité juridique.

Yasser Elkouri, doctorant à la Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales de Tanger, Université Abdelmalek Essaâdi

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