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Acheter un bien en cryptomonnaie en France : mythe ou réalité ? Par Catherine Masquelet, Avocat.
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Parution : jeudi 30 janvier 2025
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Acheter une maison en Bitcoin ou en Ethereum : hier encore, cela relevait de la science-fiction. Aujourd’hui, la question n’est plus "si" mais "comment". Alors que certains pays facilitent ces transactions, la France impose encore un cadre strict. Pourtant, avec l’essor des stablecoins, des plateformes de conversion et de la finance décentralisée, l’immobilier crypto-compatible pourrait bien devenir la norme de demain. Mais est-ce réellement possible aujourd’hui ? Quels sont les obstacles et les solutions ? Décryptage d’un marché en pleine mutation.
En droit français, les cryptomonnaies ne sont pas reconnues comme une monnaie légale, mais comme un actif numérique [1]. Par conséquent, une partie ne peut pas imposer à l’autre partie un paiement en cryptomonnaie.
Le notaire joue un rôle central dans la transaction immobilière en garantissant la légalité de l’opération.
Si les parties conviennent d’un paiement en cryptomonnaie, le notaire devra s’assurer que la cryptomonnaie utilisée dans le cadre de la transaction ne soit pas d’origine frauduleuse.
Or, trouver un notaire qui maitrise le sujet et soit donc apte à réaliser une transaction en cryptomonnaie n’est pas une chose aisée à l’heure actuelle.
L’engouement pour les cryptomonnaies, notamment chez les jeunes générations, pourrait toutefois pousser les notaires, et plus largement les professionnels de l’immobilier, à s’intéresser à ce sujet pour réaliser de nouvelles transactions et élargir leurs portefeuilles clients.
En tout état de cause, il est recommandé pour les parties d’évoquer ce sujet en amont avec son notaire.
A noter que les frais de notaire devront obligatoirement être payés en euros.
L’achat d’un bien immobilier en cryptomonnaie soulève plusieurs questions fiscales.
Impôt sur la plus-value : la flat tax est un impôt à taux unique (30%) qui s’applique en France sur certains revenus, notamment sur les gains de cession sur les cryptomonnaies. Le fait générateur de cette imposition est la conversion en monnaie classique (dite fiat) ou le transfert de propriété. Ainsi, si un acquéreur vend ses bitcoins pour acheter un bien immobilier et qu’il réalise une plus-value sur l’opération, il devra s’acquitter de cet impôt.
Droits de mutation : comme pour toute transaction immobilière, l’acquéreur doit s’acquitter des droits d’enregistrement. Le prix de vente retenu pour le calcul devra être exprimé en euros. Les droits de mutation dus au Trésor Public devront être payés en euros.
La volatilité des cryptomonnaies constitue un frein majeur à leur utilisation dans des transactions immobilières. En effet, une somme suffisante pour acheter un bien immobilier aujourd’hui pourrait ne plus l’être demain.
Plusieurs solutions pourraient être envisagées pour remédier à cette problématique.
Utilisation des stablecoins : les stablecoins sont des cryptomonnaies adossées à une monnaie fiduciaire (ex. : USDT, USDC, EURC) ou à un panier d’actifs, ce qui réduit fortement leur volatilité. En réalisant la transaction via un stablecoin adossé à l’euro ou au dollar, acheteurs et vendeurs bénéficient d’une stabilité des prix tout en restant dans l’univers crypto.
Surcollatéralisation : la surcollatéralisation consiste à déposer en garantie un montant supérieur à la valeur de la transaction pour compenser la volatilité de la cryptomonnaie. Cela pourrait se traduire par l’engagement de l’acheteur à bloquer auprès d’un tiers de confiance (par exemple : un Prestataire de Services sur Crypto-Actifs (PSCA), un avocat, un notaire ou via un smart contract) une quantité de cryptomonnaie représentant, par exemple, 150% ou 200% du prix du bien en euros, afin d’assurer au vendeur qu’il recevra bien la valeur convenue, même en cas de chute des cours.
Une clause d’ajustement du prix dans le compromis de vente : le compromis pourrait inclure une clause de réévaluation du prix en fonction du cours de la cryptomonnaie au moment de l’acte authentique.
Une fois les défis ci-avant exposés relevés, quelles pourraient être les étapes d’un achat immobilier avec de la cryptomonnaie ?
L’acheteur sélectionne un bien et entre en négociation avec le vendeur. Ce dernier doit être informé et consentir à l’utilisation de la cryptomonnaie.
Les modalités de paiement de prix du bien pourraient être les suivantes :
Comme dans une transaction classique, une promesse de vente devra être signée entre les parties, précisant les modalités de paiement du prix.
Si la vente est réalisée en cryptomonnaie, l’acte devra préciser la valeur du bien en euros, même si le paiement s’effectue en cryptomonnaie.
Une clause de conversion pourrait être ajoutée pour sécuriser les fluctuations du cours de la cryptomonnaie entre la signature du compromis et l’acte définitif.
Le futur acquéreur devra verser une indemnité d’immobilisation (généralement 5 à 10% du prix du bien) en euros.
Durant la période entre le compromis et l’acte définitif (environ 3 mois), plusieurs vérifications et démarches auront lieu :
Contrôle de l’origine des fonds : le notaire devra s’assurer que les cryptomonnaies utilisées proviennent d’une source légale (conformité aux obligations anti-blanchiment). Une attestation de provenance des fonds pourrait être demandée.
Conversion des cryptos en euros (si nécessaire) : l’acheteur pourrait passer par une plateforme d’échange agréée (ex : Binance, Kraken, Coinbase) ou un prestataire spécialisé pour convertir ses cryptos en euros avant le paiement final.
Financement complémentaire : si un prêt bancaire est sollicité, il sera accordé uniquement en euros.
Le notaire officialisera la vente en faisant signer l’acte authentique de vente.
Si la transaction a été convertie en euros en amont, le virement sera réalisé depuis un compte bancaire classique.
Si le vendeur accepte un paiement en cryptomonnaie, le notaire pourra passer par une plateforme de conversion en temps réel pour encaisser l’équivalent en euros avant d’enregistrer l’acte.
Après la signature de l’acte authentique, plusieurs démarches seront effectuées.
Enregistrement de la vente auprès de l’administration fiscale (calcul des droits de mutation).
Paiement des impôts éventuels sur la plus-value réalisée par l’acheteur s’il a vendu ses cryptos pour financer l’achat (30% de flat tax en France).
Mise à jour des registres fonciers et remise des clés au nouvel acquéreur.
Bien que l’achat immobilier en cryptomonnaie en France soit encore freiné par un cadre légal strict, il s’impose peu à peu comme une réalité émergente. La montée en puissance des stablecoins, des plateformes de conversion et des solutions décentralisées pourrait bien faire des transactions en cryptommonnaie un nouveau standard dans les années à venir. L’exemple récent de la vente de deux places de parking à Gap pour 0,33 BTC en est une illustration concrète. Toutefois, pour sécuriser ces opérations, l’intervention de professionnels aguerris, tels que des avocats et notaires spécialisés, sera essentielle. Une chose est sûre : l’immobilier crypto-compatible ne fait que commencer.
Catherine Masquelet - Avocat au barreau de Paris [->cmasquelet@wfw.com][1] Article L54-10-1 du Code monétaire et financier.
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