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Le devoir conjugal n’en est plus un ! Par Jennifer Smadja, Avocat.
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Parution : jeudi 30 janvier 2025
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Depuis l’arrêt de la CEDH du 23 janvier 2025 (Cour européenne des droits de l’Homme, 23 janvier 2025, affaire Mme H.W. c/ France), certains et certaines se sentent aussi libérés et délivrés que « la Reine des Neiges ».
En effet dans cet arrêt la CEDH vient sanctionner la France qui considère dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 7 novembre 2019, que le devoir conjugal est une obligation du mariage et que s’y soustraire est constitutif d’une faute.
Il était une fois un époux et une épouse qui se marièrent en 1984 et eurent 4 enfants.
A partir de 2005, l’épouse refuse d’avoir des relations intimes avec son mari, en raison principalement de son état de santé.
En 2015, l’épouse puis l’époux ont séparément demandé le divorce.
Par un arrêt du 7 novembre 2019, la Cour d’appel de Versailles prononça le divorce aux torts exclusifs de la requérante par les motifs suivants :
« Considérant que Mme a reconnu elle-même (…) avoir cessé toute relation intime avec son mari depuis 2004 ;
Considérant que Mme justifie cette situation par son état de santé (…),
Considérant toutefois que de tels éléments médicaux ne peuvent excuser le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari, et ce pendant une durée aussi longue, alors même que (…) [H.W.] relate les sollicitations répétées de son époux à ce sujet et les disputes générées par cette situation ;
Considérant que ces faits, établis par l’aveu de l’épouse, constituent une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ;
Considérant que seule la demande en divorce de [J.C.] étant justifiée par des preuves suffisantes, le divorce sera prononcé aux torts exclusifs de l’épouse (…) ».
L’épouse, scandalisée, forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
La Cour de Cassation rejette son pourvoi : le devoir conjugal c’est l’affaire souveraine des juges du fond.
La malheureuse épouse se tourne alors vers la CEDH et brandit l’article 8.
Grand bien lui en a pris puisqu’elle obtient gain de cause par une décision 23 janvier dernier qui lui affirme son droit au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de disposer de son corps.
L’heureuse ex-épouse retrouve sa dignité et poursuit sa route.
L’article 215, alinéa 1er se contente de stipuler : « Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie ». La jurisprudence française est très vite venue nous expliquer que communauté de vie s’étendait à communauté de lit et donc à devoir conjugal ( CQFD).
Il paraissait donc normal que les tribunaux condamnent les conjoints défaillants dans leurs obligations. Des générations de femmes et d’hommes (bien que bien moins nombreux à s’en plaindre) ont donc considéré que le mariage impliquait l’existence de relations intimes.
Si l’on suit le raisonnement de nos juridictions le mariage entrainerait une présomption irréfragable de consentement aux rapports sexuels. Cela viendrait donc anéantir toute notion de consentement et s’entrechoquerait avec la loi pénale qui sanctionne le viol entre époux.
Peut-être est venu le temps de réformer le divorce pour faute et de le faire disparaître au profit d’un divorce pour altération du lien conjugal qui s’entendrait plus largement que la simple séparation physique des époux. Le mariage est à composantes multiples : une communauté à la fois matérielle et physique mais aussi sentimentale, charnelle, familiale et intellectuelle. L’altération du lien conjugal pourrait résulter de l’absence de l’une de ses composantes sans référence à la notion de faute.
Et ils vécurent et divorcèrent heureux ….
Jennifer Smadja, Avocat au barreau de Paris Kbs Avocats http://www.jsmadja-avocat.com/Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).