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Les voies d’exécution en copropriété : les techniques d’exécution. Par Charles Dulac, Avocat.
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Parution : lundi 3 février 2025
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S’il n’existe pas une légalité propre à l’exécution forcée en copropriété, la mise en œuvre des voies d’exécution dans ce domaine comporte des spécificités liées à la matière. Ainsi, les généralités devront se mêler à une application concrète.
L’exécution forcée n’est rien d’autre que la concrétisation d’une décision. Il s’agit de l’ensemble des instruments qui permettent au créancier d’un droit de contraindre son débiteur à s’en acquitter. Les voies d’exécution forcée sont ainsi le complément indispensable de la justice, pour la faire passer de la fictivité que représente la décision impérieuse du magistrat, à sa matérialisation. Historiquement, les procédures d’exécution ont tout d’abord chercher à s’humaniser. Elles ont pris en considération la personne du débiteur, en lui octroyant des mesures protectrices (insaisissabilité d’un bien, surendettement) et en limitant l’exécution sur la personne (fin de l’emprisonnement privé et de la vente comme esclave). Puis, il a fallu standardiser les modes d’exécution forcée. Tout d’abord normalisées dans le Code de procédure civile de 1806, elles ont subi une réforme générale en juillet 1991 [1], notamment sur la procédure de saisie immobilière, avant d’être intégralement codifiées le 1ᵉʳ juin 2012 et la création du Code des procédures civiles d’exécution [2]. Une volonté désormais de permettre une plus grande efficacité et célérité dans la mise en œuvre de ces procédures pour le créancier.
Ainsi, le premier article du Code des procédures civiles d’exécution dispose :
« Tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard » [3].
Quelles sont alors les applications concrètes de ces mesures dans le domaine de la copropriété ? En réalité, la mise en œuvre des voies d’exécution forcée est peu ou prou identique pour toutes les matières civiles. Néanmoins, l’intérêt de cette discipline réside dans l’adaptation de ces outils de contrainte à la réalité du terrain, aux aspérités du monde la copropriété. Le Code des procédures civiles d’exécution propose à ce titre un arsenal de techniques qui permettent d’appréhender le débiteur de l’obligation et de le contraindre à s’en acquitter envers le créancier. En copropriété, plusieurs situations typiques peuvent se présenter et, en fonction, le choix d’une mesure plutôt qu’une autre devra être privilégié. Rien de mieux alors que de les détailler en considérant leur utilité et efficacité au regard d’une application concrète et d’une expérience en la matière.
Parce qu’il aurait été trop simpliste de suivre l’accroche introductive et de proposer un simple déballage des techniques d’exécution forcée, le premier point vise à déterminer ceux qui diligentent concrètement les mesures de contraintes. Car, avant le quoi, il paraît essentiel de connaître le qui : qui fait quoi ?
A ce stade, même si l’on peut estimer sa mission accomplie, le rôle de l’avocat n’est pas à minorer. Lorsqu’il reçoit le jugement, il se doit tout d’abord d’en faire une analyse détaillée qui permettra à son client, le créancier de l’obligation, de prendre la mesure de la décision judiciaire. Par exemple, en recouvrement de charges de copropriété, l’avocat a la nécessité de détailler les condamnations principales et accessoires et d’inviter le syndic à recréditer les frais écartés afin de permettre une meilleure visibilité quant à la situation réelle du débiteur. Cette étude de l’avocat n’est pas anodine car elle lui permettra d’arbitrer entre les différentes techniques d’exécution forcée et de proposer des mesures adéquates et proportionnées à un client. Ainsi, le montant de la créance peut jouer un rôle sur le choix de telle ou telle exécution forcée, mais également l’historique des contentieux. Pour illustration, toujours en recouvrement de charges de copropriété, une saisie immobilière ne semble pas proportionnée pour une condamnation inférieure à 10.000 euros, sauf si, il apparaît que le débiteur accumule un passif de condamnations non soldées et/ou a déjà fait l’objet d’autres mesures d’exécution infructueuses. C’est en ce sens que la mission de l’avocat devient primordiale et permet d’orienter vers une technique opportune.
En outre, ajoutons-le à titre subsidiaire (sans que cela le soit en réalité), dans l’accomplissement de certaines mesures d’exécution forcée l’intervention ad hoc de l’avocat est requise. C’est le cas, par exemple, des saisies immobilières dont, nous le verrons dans un autre article, la procédure oblige à la postulation d’avocat. Mais cela peut être également nécessaire dans le cadre des saisies des rémunérations ou des liquidations d’astreinte qui nécessitent un passage devant le juge de l’Exécution. Enfin, en cas de litige relatif à l’application de la mesure d’exécution forcée, la représentation de l’avocat est également imposée. De telle sorte que sa participation dans le suivi de l’exécution de la décision judiciaire originelle est particulièrement importante.
Ce champ de compétence, particulièrement étendu, fait de lui l’interlocuteur privilégié des différents acteurs qui gravitent dans l’application des mesures d’exécution forcée. Pour cette raison, sa responsabilité en la matière est accrue et s’il se doit de respecter le formalisme et le cadre strict imposés par le Code des procédures civiles d’exécution, il est également la passerelle entre le débiteur saisi et le créancier saisissant. Ainsi, notamment en copropriété, il n’est pas rare que le copropriétaire, visé par la mesure, dialogue avec le syndic par le biais de l’huissier, voire même transite par l’avocat. Trois en un ! Et, vis-versa. Le syndic, par l’intermédiaire de l’avocat, doit tenir informé l’huissier de l’évolution de la situation du débiteur. En copropriété, ce type d’échange est prégnant. Faire ouvrir un appartement alors que les travaux jugulant les désordres et objet de l’astreinte ont été réalisés est, c’est peu de le dire, quelque peu problématique. De même que de saisir un compte bancaire alors même que les fonds ont été réglés par le débiteur condamné est source d’un contentieux certain. Et, dans ce cadre, l’huissier peut être amené à devoir s’expliquer tant sur les modalités de saisie que sur sa légitimité.
En tout état de cause, le juge de l’exécution, appelé communément le JEX, est le seul à pouvoir autoriser une saisie conservatoire sur un compte bancaire, à chiffrer le montant d’une astreinte décidée par un tribunal judiciaire (ce qu’on appelle « liquider l’astreinte »), à accorder un délai de grâce à un débiteur dans le cadre de l’exécution d’une décision, mais également à accorder des dommages-intérêts à ce débiteur s’il estime que la mesure choisie est disproportionnée ou abusive. Il a également la compétence exclusive pour autoriser une saisie des rémunérations et pour organiser une saisie immobilière.
Toutefois, et il n’y aurait pas de droit sans un « toutefois », le juge de l’exécution n’a pas de compétence pour remettre en cause le fond du droit (il ne peut rejuger une affaire, cela appartient essentiellement à la Cour d’appel) et, depuis une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) du 17 novembre 2023, il n’a plus de compétence spéciale pour les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée d’un titre exécutoire. Autrement dit, le débiteur qui s’oppose à une saisie bancaire, par exemple, devra saisir soit une Juridiction de proximité, si le litige est inférieur à 10.000 euros, soit un tribunal judiciaire, s’il est au-dessus ou que la demande est indéterminée. Toutefois, cette dernière modification de la compétence du JEX devrait être révisée prochainement afin de lui offrir à nouveau une exclusivité sur ce type de contentieux.
En copropriété, il faut noter que si le juge de l’exécution est seul à pouvoir diriger une saisie immobilière, son intervention n’est plus nécessaire pour les saisies conservatoires au titre des charges de copropriété [4]. De même, en matière de mise en œuvre d’une opposition article 20, depuis l’abrogation de l’article 57 du Décret du 17 mars 1967 (Décret du 15 février 1995), la compétence pour connaître des litiges de ce type n’est plus dévolue au juge de l’exécution mais plutôt aux Juridictions civiles en référés ou au fond, sauf si, le contentieux est né de l’application d’un jugement.
Les puristes auront raison : les sûretés judiciaires ne sont pas des mesures d’exécution forcée, elles sont des mesures conservatoires. En effet, pour les trouver, il faut aller chercher au Livre V du Code des procédures civiles d’exécution, intitulé justement : « Les mesures conservatoires ». Dans ce livre, on trouve en premier lieu et classiquement la mesure conservatoire d’une somme d’argent qui permet de geler un avoir sur un compte bancaire. Cette mesure nécessite une autorisation du juge de l’exécution qui doit constater que la créance est fondée en son principe et qu’il existe une menace sur le recouvrement. Sauf, et nous l’avons déjà répété, en matière de charges de copropriété (et de loyers), où l’autorisation n’est pas nécessaire, sous certaines conditions [5].
Aussi, la sûreté judiciaire est une mesure conservatoire en ce qu’elle permet de grever provisoirement un bien du sceau de la décision de justice à venir. Cependant, on ne va pas s’arrêter là, ce serait un peu trop facile. Car la sûreté judiciaire va plus loin que la mesure conservatoire classique, elle donne un droit de suite et un droit de préférence. Tout d’abord, qu’est-ce que c’est une sûreté judiciaire ? En des termes spécifiques, la sûreté judiciaire peut concerner un bien meuble incorporel tel qu’un fonds de commerce ou des parts sociales, on parle alors de nantissement. La sûreté judiciaire peut également se porter sur un immeuble, on parle alors d’hypothèque. Dans les deux cas, l’inscription d’un nantissement ou d’une hypothèque permet tout d’abord de suivre le bien, en quelques mains qu’il soit. En effet, lors d’une vente immobilière par exemple, le notaire devra vérifier si le bien a été purgé de ses hypothèques. A cette occasion, le créancier hypothécaire sera donc informé du changement de main du bien. C’est ainsi que le jeu de l’opposition article 20 peut se faire pour le syndicat. Ensuite, la sûreté judiciaire ouvre un droit de préférence. En effet, si, lors de la vente du bien, le cédant est débiteur de plusieurs créanciers, la redistribution des fonds se fera en fonction du rang d’inscription de chaque créancier. Or, chaque créancier dispose d’un rang propre pour être payé et, à ce jeu, le syndicat des copropriétaires n’est pas du tout en reste. Enfin, pour être complet, il faut distinguer l’hypothèque conventionnelle, apanage des banques lors d’un prêt immobilier, de l’hypothèque judiciaire, prise sur la base d’un jugement rendu et qui permet de faire valoir les intérêts de retard, de l’hypothèque légale, résultante d’une disposition législative. C’est justement cette dernière option qui est privilégiée par le syndicat des copropriétaires.
En définitive, le syndicat des copropriétaires peut envisager l’hypothèque comme un moyen de préservation de sa créance, lui permettant de faire pression sur le copropriétaire débiteur, mais également comme un moyen d’exécution actif, en cas de vente du bien, soit à l’amiable, soit judiciairement. Ce qui permet de considérer cette sûreté comme l’un des premiers instruments de l’exécution forcée.
On entre dans le concret. Ici, pas de discussion, nous allons parler de mesures d’exécution forcée. Le proverbe qui veut que « l’argent ne fait pas le bonheur » n’est vraiment pas la philosophie de vie d’un syndicat. En effet, la copropriété c’est avant tout une histoire de sous. Pas par simple turpitude mais bien parce que sans argent, un immeuble ne vit pas. L’impossibilité de payer des prestataires est l’un des problèmes majeurs des parcs immobiliers et cela explique, en grande partie, la paupérisation des copropriétés. Pour illustration, en avril 2021, l’Atelier parisien d’urbanisme (Apr) a alerté sur cette situation par un rapport faisant état de plus de 192 copropriétés, rien qu’en Ile-de-France, dans une situation structurelle inquiétante. Aussi, la question pour un syndicat de savoir comment récupérer l’argent n’est pas anodine ou futile.
Quand la saisie bancaire s’avère infructueuse, la deuxième saisie favorisée pour les syndicats est la saisie des loyers. Même si un syndic ne dispose pas du fichier des occupants réels du bâtiment dont il est gestionnaire, s’il a été identifié lors de la procédure judiciaire que le débiteur ne réside pas à l’adresse de l’immeuble, un simple déplacement sur place pourra permettre d’établir l’existence d’un locataire et d’en identifier le nom (sur la boîte aux lettres par exemple). Ainsi, l’huissier sera en mesure de saisir les causes du jugement directement entre les mains du locataire.
Enfin, une dernière saisie-attribution peut être évoquée : la saisie des rémunérations. Toutefois, contrairement aux deux autres, cette mesure nécessite une autorisation préalable du juge de l’exécution, ce qui évidemment peut prendre beaucoup plus de temps, surtout s’il y a des contestations. En outre, si l’employeur n’est pas identifié, l’huissier devra procéder à une enquête spécifique préalable, dite « Béteille ». Une lourdeur et longueur procédurale qui dissuade souvent de recourir à cette mesure.
Disposée au Livre IV du Code des procédures civiles d’exécution, elle trouve peu à s’appliquer au monde de la copropriété en tant que telle. Assurément, cette mesure est plutôt le domaine des propriétaires-bailleurs, plus que du syndicat des copropriétaires. Toutefois, en cas de défaillance du propriétaire quant aux agissements de son locataire, le syndicat peut parfois se substituer et exercer l’expulsion sur le fondement de l’action oblique [9].
Ainsi, le syndicat se trouve alors à devoir respecter les mêmes contraintes que le bailleur, à savoir et principalement, la trêve hivernale du 1ᵉʳ novembre au 31 mars. De même, en cas de refus de l’occupant de s’exécuter, l’huissier devra solliciter la Préfecture pour obtenir un concours de la force publique. Aide de plus en plus difficile à obtenir étant donné le refus de l’administration d’intervenir en cas d’absence de possibilité de relogement, notamment pour des personnes vulnérables (mineurs, personnes âgées…). A noter qu’au deuxième refus de la Préfecture, sur itérative de l’huissier, il est possible de former un recours gracieux pour obtenir une indemnité de l’Etat. Si les sommes proposées ne sont pas suffisantes, un recours contentieux devra être envisagé devant les Juridictions administratives.
En tout état de cause, la mise en œuvre de l’expulsion est souvent un parcours du combattant et le syndicat des copropriétaires qui en serait à l’initiative n’échappera pas aux difficultés du bailleur classique. Ces contraintes se justifient tout de même au regard de l’importance de la mesure finale.
Charles Dulac Avocat au Barreau de Paris [->contact@dulac-avocat.com][1] Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991.
[2] Ordonnance du 19 décembre 2011 et Décret du 30 mai 2012.
[3] Article L111-1 - CPCE.
[4] Loi du 9 avril 2024, dite Habitat dégradé - Article L511-2 du CPCE.
[5] Article L511-2 du CPCE.
[6] Toutes les saisies font l’objet de frais d’huissier. Il n’est pas rare que les Etudes d’huissier demande des provisions car elles craignent que la saisie ne soit pas fructueuse et ne permette pas de les rembourser. En tout état de cause, il faut savoir que ces frais sont compris dans les dépens et donc à la charge de la partie qui y a succombé. Sauf un reliquat sur les sommes prélevées, dit « DR10 », correspondant à un droit proportionnel dégressif à la charge du créancier.
[7] Supprimé par l’Ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021.
[8] Article 2418, alinéa 2 du Code civil.
[9] Article 1341-1 du Code civil.
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