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Narcotrafic : les présomptions nées des billets contaminés. Par Nourdine El Halfi, Elève-Avocat.
Parution : vendredi 7 février 2025
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L’essor de la consommation et de la circulation des produits stupéfiants en France a une influence certaine sur la quantité de billets contaminés en circulation. Même si la seule présence de produits stupéfiants ne constitue pas une infraction au sens strict, celle-ci peut servir d’élément de preuve et appuyer la mise en mouvement de l’action publique. Or, la circulation croissante des produits stupéfiants est un phénomène de nature à faire entrer dans le champ des poursuites un public relativement éloigné du narcotrafic. Dès lors, la portée de ces tests rend d’autant plus sensibles les conditions dans lesquelles sont réalisés ces derniers et la manière dont les taux de référence sont déterminés.

Chaque semaine, la question se pose en comparution immédiate dans la plupart des tribunaux correctionnels de France. Dans le langage judiciaire, l’expression utilisée est celle des « billets contaminés », pour désigner la présence de produits stupéfiants sur des billets de banque bien au-delà des seuils moyens. Le phénomène n’est pas nouveau. En 2023, une étude menée par la Gendarmerie nationale révélait que plus de 90% des billets de banque en circulation en France comportaient des résidus de drogue [1]. Dans ce contexte, la question de la présence de produits stupéfiants sur les billets de banque a pris une importance croissante dans la pratique judiciaire, notamment au regard des enjeux probatoires. Cette problématique concerne tant la saisie de billets contaminés lors d’enquêtes que les moyens de preuve utilisés dans les procédures pénales. En effet, si la simple présence de résidus de stupéfiants sur un billet de banque n’est pas en soi constitutive d’une infraction, elle peut néanmoins constituer un élément forgeant l’intime conviction dans des affaires de narcotrafic. Cette évolution soulève des interrogations sur les qualifications qui peuvent être retenues par les juridictions, mais aussi sur la portée de cette contamination dans l’appréciation des faits.

Une présomption de trafic de stupéfiants.

La jurisprudence a évolué sur la question de la présomption de lien entre la présence de produits stupéfiants sur un billet de banque et un trafic illicite de drogue. L’apparition de traces de substances comme la cocaïne ou l’héroïne sur des billets peut, en effet, amener les juridictions à envisager un lien avec un trafic de stupéfiants. Toutefois, la seule présence de résidus de drogues sur un billet de banque ne suffit pas, en elle-même, à prouver un acte de trafic ou de consommation. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la seule présence de résidus de stupéfiants sur un billet ne pouvait fonder une condamnation, sauf à démontrer un lien entre la personne et le trafic en question. Dans son arrêt du 19 décembre 2012 [2], la Chambre Criminelle a validé le raisonnement de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, estimant que la seule présence de traces de cocaïne sur des billets de banque ne suffisait pas à caractériser l’infraction de détention de produits stupéfiants, et qu’il était donc nécessaire de démontrer d’autres éléments probatoires, tels que le lien des prévenus avec le milieu des stupéfiants. De même, plus récemment, dans un arrêt du 19 juin 2024 [3], la Cour de cassation a estimé que la seule présence d’un taux anormal de stupéfiants sur les billets, certes couplée à un comportement suspect de l’intéressé, ne permet pas de démontrer matériellement l’infraction de blanchiment. En revanche, lorsque les enquêteurs réunissent d’autres éléments de preuve (témoignages, saisies de drogues, éléments matériels), les juges ont pu considérer cette présence comme un indice renforçant la matérialité des faits. Par exemple, si l’individu, détenteur des billets contaminés, présente des traces significatives de cocaïne sur sa personne et que son passif judiciaire est lié au trafic de stupéfiants, cet ensemble d’éléments permet de démontrer un schéma de blanchiment douanier [4].

La peine applicable en cas de trafic avéré.

Au-delà des priorités actuelles du Ministère Public en matière de lutte contre le narcotrafic, visant à alourdir certaines peines, le trafic de stupéfiants regroupe d’ores-et-déjà un ensemble de qualifications sévèrement réprimées par la loi. Au sein du Code pénal, l’ensemble des qualifications figure dans le Titre II relatif aux atteintes à la personne humaine, dans les articles 222-34 à 222-43-1. Dans ce contexte, les peines encourues vont de cinq années d’emprisonnement à la réclusion criminelle à perpétuité en cas de direction ou d’organisation d’un groupement ayant notamment pour objet la production ou la fabrication illicite de stupéfiants. Lorsqu’un lien peut être établi entre la personne et un réseau de narcotrafic, notamment, mais pas seulement, via des billets de banque retrouvés avec des traces de drogue, les juridictions n’hésitent pas à entrer en voie de condamnation, souvent par des peines d’emprisonnement.

Le rôle des experts et des analyses toxicologiques.

L’analyse des résidus de stupéfiants sur les billets de banque repose sur des expertises scientifiques, notamment des analyses toxicologiques. Les billets sont envoyés dans des laboratoires spécialisés où des tests sont réalisés pour identifier la nature des substances présentes. Ce type d’expertise est primordial pour établir la preuve de la présence de drogues sur les billets, mais aussi pour démontrer un éventuel lien avec un réseau de trafic. L’étude de 2023 du Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale a conclu que les petites coupures, de 10 à 50 euros, qui circulent davantage que les autres, sont les plus concernées. Le produit le plus retrouvé sur ces billets est la cocaïne, dont la consommation est en forte croissance en France, atteignant 1.1 million de consommateurs en 2023. Pour effectuer ces tests, le département de toxicologie de l’Institut de recherche criminelle lave les billets étudiés avec un solvant, avant de récupérer le produit et de l’analyser à l’aide d’un ensemble chromatographique. Ces tests visent à rechercher la présence de six stupéfiants, de la cocaïne aux amphétamines, en passant par le THC (delta-9-tétrahydrocannabinol). La manière dont ces tests sont effectués est bien évidemment centrale, d’autant plus lorsque les résultats permettent d’appuyer la mise en mouvement de l’action publique. D’une part, une partie contaminée des billets peut infecter le reste de la somme détenue. D’autre part, la manipulation de billets contaminés pourrait infecter d’autres billets par l’intermédiaire des mains ou des gants.

Des présomptions qui posent questions.

Comme toujours, la complexité provient de la zone grise et des déductions qu’il est possible d’en tirer du point de vue judiciaire. Si la seule présence de stupéfiants sur les billets n’est pas en soit constitutive d’une infraction, elle donne la possibilité de créer des présomptions qui ne disent pas leur nom. Ainsi, quid de l’individu qui est trouvé avec une somme d’argent liquide contaminée dont le montant n’apparaît pas incohérent avec ses revenus ? La question se pose chaque jour dans certaines juridictions. Des individus appréhendés avec quelques milliers d’euros en espèces, présentant un taux élevé de contamination. Parfois ces derniers n’ont pas ou peu d’antécédents judiciaires, sont salariés depuis quelques années, avec des revenus de 1 000€, voire 1 500€ par mois. Ces individus font malgré tout l’objet de poursuites pénales, souvent pour une qualification de recel de détention de produits stupéfiants, punie de dix années d’emprisonnement [5]. Or, avec l’essor de la circulation de la cocaïne en France, cette situation pourrait rapidement devenir assez courante, faisant peser le risque d’infraction pénale pour une grande partie des citoyens, notamment les plus jeunes. De même, qu’en est-il du taux moyen pris en compte dans les analyses de contamination ? Un même taux est appliqué partout en France à l’heure actuelle. Or, il est à parier que de fortes disparités existent, notamment entre la France Métropolitaine et l’Outre-Mer, où l’actualité nous démontre chaque jour que la cocaïne circule beaucoup plus. A l’heure actuelle, un taux uniforme aurait ainsi tendance à pénaliser nos compatriotes ultramarins.

Conclusion.

La présence de produits stupéfiants sur des billets de banque, bien qu’en elle-même insuffisante pour fonder une condamnation, peut jouer un rôle décisif dans les affaires liées au trafic de drogue. Si elle peut renforcer un faisceau de preuves déjà existant, elle ne constitue pas ipso facto une preuve irréfutable de l’implication d’un individu dans un trafic. Or, le recours croissant à ces analyses de contamination est susceptible de générer une insécurité juridique, faisant entrer dans le champ de la répression des citoyens parfois bien éloignés du narcotrafic.

Nourdine El Halfi Elève-avocat à l’EFB (promotion 2026) https://www.linkedin.com/in/nourdine-el-halfi

[2Cass. crim., 19-12-2012, n° 11-88.750, F-D, Rejet.

[3Cass. crim., 09-06-2024, n° 23-81.904, F-D, Cassation.

[4Cass. crim., 03-06-2015, n° 13-84.495, F-D, Cassation partielle/Qualification prévue à l’article 415 du Code des Douanes.

[5En vertu des dispositions de l’article 321-4 du Code pénal.

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