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L’obligation de vigilance en matière de travail dissimulé : une obligation légale souvent méconnue des donneurs d’ordre. Par Florence Monteille et Jennifer Kieffer, Avocates.
Parution : vendredi 14 février 2025
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L’obligation de vigilance est encadrée par les articles L8222-1 et D8222-5 du Code du travail. Elle a pour objectif de lutter contre le travail dissimulé en obligeant l’entreprise principale, donneuse d’ordre, à vérifier que son (ou ses) sous-traitant(s) s’acquitte bien de ses obligations de déclaration, de paiement de ses cotisations et qu’il déclare bien ses salariés. Les contours de cette obligation doivent être parfaitement assimilés, dans la mesure où son irrespect peut donner lieu à des condamnations financières extrêmement importantes pour l’entreprise principale.

Dès lors, pour sous-traiter en toute sérénité, le donneur d’ordre doit penser à demander à son cocontractant un certain nombre de documents administratifs, ci-après détaillés. Cette obligation a un champ d’application très large, puisqu’en application de l’article D8254-1 du Code du travail, elle s’applique à toutes les entreprises qui entendent passer un marché de fournitures, de travaux, ou de prestation de services de plus de 5.000 € HT cumulés sur l’année.

I - Les contours de l’obligation de vigilance.

Pour se conformer aux dispositions légales, tout donneur d’ordre doit solliciter auprès de ses cocontractants (sous-traitants, prestataires de services, freelances) l’ensemble des documents énumérés à l’article D8222-5 du Code du travail.
Ces documents sont les suivants :

Précisons, que ces documents ne doivent pas être demandés seulement au début d’exécution du contrat, mais très régulièrement. En effet, le donneur d’ordre doit vérifier que le sous-traitant respecte ses obligations :

Par ailleurs, il ne suffit pas pour le donneur d’ordre de solliciter ces documents mais également de s’assurer de la validité des attestations que le sous-traitant lui transmet. Le donneur d’ordre doit ainsi, sous peine de manquer à son obligation de vigilance [1], vérifier l’exactitude des informations figurant sur l’attestation soit par voie dématérialisée, soit sur demande auprès de l’organisme.

Un code de sécurité mentionné sur l’attestation permet de s’assurer de l’authenticité et de la validité du document remis. Un module de vérification [2].

Le donneur d’ordre doit enfin, en vérifier la cohérence [3]. En effet, cette obligation est d’appréciation stricte et l’URSSAF n’est pas flexible, si les documents ne sont pas cohérents entre eux ou qu’il existe des différences de mention [4], ou s’il manque un document, ce sera la sanction, et aucun autre document ne pourra le remplacer [5].

II - Les sanctions encourues en cas de violation de l’obligation de vigilance.

Dans le cas où le donneur d’ordre manque à son obligation de vigilance, il peut être tenu responsable solidairement de ses co-contractants. Et pour cause, il arrive que les cocontractants fassent l’objet d’un contrôle URSSAF destiné à vérifier leur respect de la règlementation en matière de travail dissimulé et paiement de cotisations sociales.

Dans ce cadre, en cas de non-respect des obligations en matière de vigilance et si le cocontractant fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé, le donneur d’ordre pourra se voir condamné solidairement avec le cocontractant :

N.B : en pratique, une lettre d’observation est adressée par l’URSSAF qui informe le donneur d’ordre de la mise en œuvre de sa responsabilité dans le cadre de la solidarité financière [6].

Quid dans la pratique ? Il résulte des dossiers que nous avons eu à traiter au cabinet sur la question de l’obligation de vigilance, que l’URSSAF a une position très stricte sur le sujet : la bonne foi du donneur d’ordre et/ou le caractère limité de son envergure financière ne sont pas retenus pour exonérer partiellement ou totalement le donneur d’ordre de ses obligations en la matière. Si un accord peut être conclu avec l’URSSAF, ce n’est que dans des conditions très restrictives, consistant notamment dans la mise en place d’un échéancier de paiement.

III - Au-delà de l’obligation de vigilance, l’obligation de diligence ou injonction.

Le donneur d’ordre qui est informé par l’URSSAF du manquement d’un sous-traitant à ses obligations de déclaration des cotisations ou d’interdiction d’emploi de travailleurs étrangers sans autorisation, doit aussi enjoindre ce dernier de faire cesser, sans délai, cette situation, par lettre recommandée avec accusé de réception.
Cette procédure est prévue par les articles L8222-6 et L8254-2-1 du Code du travail qui prévoient les étapes obligatoires devant être respectées par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre dès lors qu’il est informé par écrit par un agent de contrôle d’un organisme administratif de l’absence de conformité de son cocontractant, donnant lieu à la caractérisation d’une situation de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ou dissimulation d’activité.

Les mêmes sanctions qu’en cas de manquement à l’obligation de vigilance sont prévues en cas de non-respect de l’obligation de l’injonction.

Florence Monteille et Jennifer Kieffer, Avocates au barreau de Paris LM Avocats (membre de la Aarpi Isseo avocats)

[1CAA Versailles, 27/02/2020, n°18VE01544.

[3Cass. 2ème civ. 02/06/2022, n°20-21.988.

[4Cass. 2ème civ. 11/02/2016, n°12-21.554.

[5Cass. 2ème civ. 11/02/2016, n°14-10.614.

[6Art. R133-8-1 du Code de la Sécurité sociale.

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