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Contrefaçon de sacs de luxe : analyse juridique de l’arrêt Hermès c/Blao & Co. Par Alexandre Bigot Joly, Avocat.
Parution : vendredi 28 février 2025
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Le 7 février 2025, le Tribunal judiciaire de Paris (3ᵉ chambre 2ᵉ section, 7 février 2025, n°22/09210) a rendu une décision significative concernant la protection des accessoires de luxe, en l’espèce les célèbres sacs Kelly et Birkin d’Hermès, sur le double fondement du droit d’auteur et du droit des marques.

Cette analyse se concentre sur les apports juridiques majeurs de cette décision en matière de contrefaçon.

Qualification d’œuvres originales.

Le tribunal a confirmé l’originalité des sacs Kelly et Birkin en s’appuyant sur la jurisprudence Cofemel de la CJUE (12 septembre 2019), qui établit qu’un objet est original dès lors qu’il "reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier".

La décision reconnaît que la combinaison spécifique de caractéristiques formelles (silhouette trapézoïdale ou rectangulaire, rabats distinctifs) et fonctionnelles (système de fermeture avec sanglons, plaquettes et touret) constitue une expression créative protégeable, même pour des objets utilitaires comme des sacs à main.

Le tribunal rejette explicitement l’argument selon lequel ces caractéristiques relèveraient du fonds commun de la maroquinerie ou seraient dictées par leur fonction technique, en l’absence de preuves d’antériorités pertinentes. Cette position renforce la protection des créations de mode au-delà de leur simple aspect esthétique.

Appréciation de la contrefaçon par les ressemblances.

Conformément à la jurisprudence constante (Cass. Civ. 1, 30 septembre 2015 n°14-19.105), le tribunal rappelle que "l’existence de la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances avec l’œuvre originale, et non d’après les différences".

Cette approche, particulièrement protectrice pour les titulaires de droits, permet de caractériser la contrefaçon même lorsque le contrefacteur a introduit des variations superficielles.

En l’espèce, le tribunal considère que les dissemblances tenant au choix du tissu (Paisley) et des motifs sont "indifférentes" pour l’appréciation de la contrefaçon. Ce qui importe est la reproduction des caractéristiques essentielles formant l’originalité des sacs Kelly et Birkin.

Cette position jurisprudentielle renforce la protection des créations de mode en permettant d’agir efficacement contre des copies qui maintiennent la silhouette et les éléments distinctifs d’une création tout en modifiant les matériaux ou les textures.

Sans remettre en question la validité de la marque tridimensionnelle internationale n°806207 d’Hermès International (représentant un système de fermoir avec cadenas), le tribunal confirme implicitement qu’un système de fermeture distinctif peut constituer une marque valide pour des produits de maroquinerie.

Appréciation du risque de confusion.

Le tribunal procède à une analyse comparative détaillée entre la marque tridimensionnelle et le signe apposé sur les produits contestés. Il identifie plusieurs similitudes visuelles déterminantes : les plaquettes à six côtés, le touret circulaire, les sanglons avec surpiqûres, et surtout le cadenas.

La décision considère que le cadenas constitue un élément "particulièrement distinctif" permettant au public d’associer le signe à la marque Hermès. Cette approche confirme que, dans l’appréciation du risque de confusion, certains éléments peuvent avoir un poids prépondérant en raison de leur caractère distinctif renforcé.

Même la présence des lettres "NDG" sur le cadenas (au lieu du "H" d’Hermès) n’a pas suffi à écarter le risque de confusion, le tribunal privilégiant une appréciation globale de la similitude des signes et retenant qu’il existe "un risque de confusion par association avec la marque".

Cumul des protections et stratégie juridique.

Cette affaire illustre parfaitement l’intérêt du cumul des protections par le droit d’auteur et le droit des marques dans le secteur du luxe. Cette stratégie "à double détente" permet de protéger à la fois :

Cette complémentarité offre une protection renforcée contre différentes formes d’atteintes et assure une pérennité de la protection (droit des marques renouvelable indéfiniment) au-delà de l’expiration éventuelle des droits d’auteur.

Le jugement illustre également l’importance de bien structurer la répartition des droits au sein d’un groupe : Hermès Sellier est titulaire des droits d’auteur et licenciée de la marque, tandis qu’Hermès International est titulaire de la marque, permettant ainsi à chaque entité d’agir sur le fondement qui lui est propre.

Le tribunal distingue enfin avec précision les préjudices respectifs d’Hermès Sellier (180.000 euros pour la contrefaçon de droit d’auteur et de marque) et d’Hermès International (40.000 euros pour la contrefaçon de marque uniquement), conformément au principe d’individualisation des préjudices prévu par les articles L331-1-3 et L716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle.

Conclusion.

La décision Hermès c/Blao & Co confirme la robustesse du système français de protection de la propriété intellectuelle dans le secteur du luxe. Elle démontre l’efficacité du cumul des protections par le droit d’auteur et le droit des marques, tout en apportant des précisions utiles sur l’appréciation de l’originalité des accessoires de mode et sur l’évaluation des préjudices.

Pour les créateurs et les entreprises du secteur, cette décision constitue un rappel de l’importance d’une stratégie globale de protection de la propriété intellectuelle. Pour les concurrents, elle souligne les risques juridiques et financiers liés à une inspiration trop directe des créations emblématiques des grandes maisons de luxe, même lorsque des modifications superficielles sont apportées aux matériaux ou aux motifs.

Alexandre Bigot Joly Avocat en droit des nouvelles technologies Barreau de Paris Cabinet Influxio www.influxio-avocat.com

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