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La nouvelle loi contre le bruit de la République de Colombie. Par Christophe Sanson, Avocat.
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Parution : lundi 10 mars 2025
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Le Parlement Colombien a adopté, le 10 décembre dernier, une nouvelle loi relative à la lutte juridique contre le bruit.
Composée de 23 articles, ce texte se présente comme une loi cadre relative aux conflits de voisinage dus aux bruits. N’ayant pas reçue la sanction Présidentielle, il n’est pas encore entré en vigueur.
Son objectif est de mettre en place un cadre réglementaire exhaustif pour permettre l’édiction d’une politique publique de lutte contre les nuisances sonores à l’échelle nationale et locale.
Pour ce faire, cette loi désigne les institutions et ministères qui auront en charge l’adoption de cette politique publique ainsi que sa mise en œuvre (1), prévoit les différents paramètres qui devront être pris en compte (2) et, mets en place un nouvel appareil répressif (3).
Cette loi n’entend pas fixer, sauf en matière répressive (voir ci-dessous au (3)) le cadre règlementaire par elle-même mais plutôt confier cette tâche à certaines institutions avec des objectifs précis.
Ainsi l’article 6 dispose que la politique de qualité acoustique devra être élaborée de concert par six institutions et ministères que sont : le Département national de la planification, le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, le Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, le Ministère de la Défense, le Ministère des Transports et enfin l’Institut d’hydrologie, de météorologie et d’études environnementales.
Mais ce n’est pas tout, ces six institutions et ministères devront en plus s’associer, pour certaines questions, au Ministère du Logement, au Ministère de l’Éducation nationale, au Ministère des Cultures, arts et savoirs, au Ministère du Travail et au Ministère du Commerce. On perçoit bien ainsi la dimension interministérielle de la lutte contre le bruit.
Il s’agit donc d’un grand chantier qui fera intervenir beaucoup d’acteurs différents afin d’aboutir à une politique publique de qualité acoustique la plus complète possible. Toutefois, malgré l’ampleur de la tâche à accomplir, la loi ne prévoit qu’un délai d’un an à compter de sa promulgation pour y parvenir.
Ensuite, il sera à la charge du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable ainsi que du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, à savoir les ministères les plus directement touchés par la question des nuisances sonores, d’actualiser la réglementation existante afin de la faire correspondre à la politique publique qui aura été élaborée en amont.
Si la loi ne met pas en place elle-même le cadre réglementaire, elle fixe plusieurs lignes directrices qui s’imposeront aux institutions en charge de l’élaboration et la mise en place de cette politique publique.
Ainsi elle prévoit que « les droits acquis des entreprises existantes seront pris en compte » à condition qu’elles disposent d’une licence environnementale ou d’instruments de gestion environnementale et qu’elles respectent la réglementation en vigueur.
Ce point suggère la mise en place d’un principe d’antériorité empêchant le dernier arrivant sur un territoire de se plaindre du bruit généré par des installations antérieures à condition qu’elles ne violent pas les réglementations en vigueur, ce qui serait une mesure similaire à ce que l’on peut retrouver dans la législation française [1].
La loi prévoit également plusieurs éléments qui devront être pris en compte dans l’élaboration de la politique publique :
Ensuite, elle anticipe la mise en place de la politique publique en prévoyant la création d’une commission de suivi de la mise en œuvre de la politique publique de la qualité acoustique composée de membres de chacune des institutions en charge de l’élaborer.
Elle développe également une réflexion au niveau local en imposant aux collectivités territoriales ayant une population supérieure à 100 000 habitants ou confrontées à des problématiques de pollution sonore de prévoir un plan d’action de manière à assurer le contrôle, l’évaluation et la prévention des nuisances sonores sur leurs territoires respectifs.
Pour ce faire, la loi prévoit que ces entités territoriales devront acquérir une structure institutionnelle leur permettant de collecter et analyser la pollution et les nuisances sonores afin de mettre en place des cartes de bruit, de renforcer la recherche en matière de bruit et de vibrations, d’établir des méthodologies de mesure des nuisances sonores afin de contrôler et réguler leurs sources, de mettre en place des stratégies de sensibilisation, de réaliser des études épidémiologiques sur les conséquences des nuisances sonores et de mettre en place des systèmes informatiques permettant une surveillance en temps réel des niveaux de nuisances sonores provenant des activités industrielles et commerciales.
Cette loi est donc très ambitieuse en ce qu’elle veut donner tous les moyens nécessaires aux autorités compétentes pour contrôler et réguler les sources de nuisances sonores. Cependant, elle ne va pas jusqu’à déterminer la méthode la plus adaptée pour objectiver les nuisances sonores.
On peut espérer que les recherches qui seront menées par les autorités pour parvenir à la mise en place d’une méthodologie fiable les conduiront à adopter un système de calcul de l’émergence, à l’instar de la France, qui permet d’objectiver les nuisances sonores scientifiquement.
L’émergence correspond à la différence entre le bruit ambiant comprenant le bruit particulier à l’origine des nuisances sonores alléguées et le bruit résiduel, à savoir le bruit ambiant sans le bruit particulier. Son calcul permet d’objectiver l’existence de nuisances sonores en prenant en compte l’environnement dans sa globalité.
La plupart des pays n’utilisent pas ce système et préfèrent s’appuyer uniquement sur la simple mesure du bruit ambiant ce qui est bien moins fiable car elle ne permet pas de prendre en compte l’environnement sonore habituel d’un lieu.
En plus de fixer les objectifs que devra atteindre la politique publique en cours d’élaboration et de mettre avant un certain nombre d’éléments à prendre en compte pour un futur droit administratif de prévention du bruit, la loi contient un volet plus concret qui prévoit la modification d’une infraction existante dans le but de mieux réprimer pénalement les comportements à l’origine de nuisances sonores.
La loi disposera désormais que :
« Les comportements suivants portent atteinte à la tranquillité et aux relations respectueuses entre les personnes et ne doivent donc pas être adoptés :
1. Dans le voisinage ou le lieu d’habitation urbain ou rural : perturber ou permettre que soit troublé le calme avec :
a) Des sons ou bruits provenant d’activités, de fêtes, de réunions ou d’événements similaires qui affectent la coexistence du voisinage et génèrent une nuisance en raison de leur impact auditif. Dans ce cas, les autorités de police pourront désactiver temporairement la source du bruit si le résident refuse de le faire.
b) Tout moyen de production de sons, dispositif, accessoire ou machine générant des émissions sonores ou des vibrations depuis des biens mobiliers ou immobiliers. Dans ce cas, les autorités pourront identifier, enregistrer et désactiver temporairement la source d’émission, sauf si elle provient de constructions ou de réparations effectuées aux horaires autorisés.
c) Toute activité autre que celles mentionnées ici, réalisée sur la voie publique ou dans des espaces privés, lorsqu’elle a une incidence sur l’espace public et perturbe ou affecte la tranquillité des personnes.
2. Dans les espaces publics, les lieux ouverts au public ou les espaces privés ayant une incidence sur le domaine public :
a. Ne pas respecter les normes propres aux lieux publics tels que les salons funéraires, les cimetières, les cliniques, les hôpitaux, les bibliothèques et les musées, entre autres ».
Le texte décrit les comportements susceptibles de provoquer des nuisances sonores mais il prévoit dans quelle limite les autorités pourront agir pour faire cesser les nuisances sonores, notamment en désactivant temporairement la source d’émission sans toutefois autoriser les agents à pénétrer dans un domicile privé.
Par ailleurs, ces mesures coercitives ne pourront être prises qu’à condition de prouver, à l’aide de mesures sonores réalisées sur place par l’autorité compétente, que les niveaux sonores dépassent les limites fixées par la réglementation.
Toutefois, un système d’autorisation préalable est prévu pour les activités et évènements qui seraient de nature à générer des nuisances sonores à la condition que les organisateurs mettent en œuvre des actions destinées à réduire l’impact acoustique de leur évènement.
A côté de ces mesures permettant la cessation immédiate des nuisances sonores, il est également prévu un système d’amendes générales forfaitaires évolutives en fonction de la désobéissance, de la réitération du comportement ou encore de la résistance des individus.
L’amende la plus basse correspond à deux salaires journaliers au minimum légal et peut aller jusqu’à seize salaires journaliers au minimum légal. Ces fonds devront être consacrés, selon un principe d’affectation budgétaire, à la prévention des nuisances sonores mais aussi à l’exécution des mesures correctives urgentes, à charge pour le responsable de rembourser par la suite la collectivité publique.
L’intéressé pourra par ailleurs demander à convertir son amende en temps de participation à un programme communautaire ou à une activité pédagogique de coexistence.
Enfin, des amendes spéciales sont prévues pour certains cas particuliers :
« une amende sera imposée aux organisateurs d’activités impliquant des rassemblements de public complexes, y compris les spectacles publics des arts de la scène et/ou les événements soumis aux conditions fixées dans l’acte administratif autorisant l’événement, comme suit, en fonction de la capacité d’accueil ».
Ainsi, pour une capacité d’accueil allant jusqu’à 300 personnes l’amende s’élèvera entre 100 et 150 salaires journaliers au minimum légal et elle pourra atteindre une somme entre 500 et 800 salaires journaliers au minimum légal pour une capacité d’accueil supérieure à 5 000 personnes.
Une autre amende spéciale est prévue en cas de : « pollution visuelle ou sonore affectant la coexistence ».
L’amende est
« comprise entre un et demi (1.5) et quarante (40) salaires minimums légaux mensuels en vigueur elle sera appliquée en fonction de la gravité de l’infraction et du nombre de mètres carrés occupés illégalement pour la pollution visuelle.
Concernant la pollution sonore affectant la coexistence, l’amende sera déterminée en fonction de la gravité de l’infraction et de son impact prouvé sur la coexistence ».
Les autorités compétentes pourront également procéder à la suspension immédiate de l’activité, à l’évacuation du site et à la dissolution de la réunion ou de l’évènement en plus de la peine d’amende imposée au responsable du non-respect.
Enfin, l’infraction réprimant les comportements contraires à la sécurité et à la tranquillité affectant l’activité l’économique a été modifiée afin d’y ajouter le fait de
« générer des bruits, des sons ou des vibrations qui perturbent la tranquillité et la coexistence des personnes ou de leur environnement dans des espaces résidentiels ou des copropriétés où des activités économiques sont exercées ».
Cette loi ne vient pas fixer un cadre réglementaire précis directement applicable mais elle correspond plutôt à une loi cadre qui a le mérite de mettre en avant beaucoup d’aspects de la lutte contre les nuisances sonores qui devront être pris en compte dans l’élaboration d’une politique publique globale.
En effet, cette loi ambitieuse ne se contente pas de donner quelques lignes directrices puisqu’elle va jusqu’à prévoir la création d’institution aux échelles nationale et locale afin de procéder à des recherches, établir des cartes des bruits, mettre en place des normes de contrôle et un système de gestion des plaintes.
Elle démontre la volonté du Parlement Colombien de prendre à bras le corps la problématique des nuisances sonores qui peut prendre une place importante dans la vie quotidienne.
Le législateur démontre également sa volonté réelle d’agir contre les nuisances sonores en prenant la peine de modifier le droit pénal Colombien afin de permettre aux agents de faire cesser les nuisances sonores mais également de les réprimer par le biais d’amendes et ce sans attendre la mise en place de la politique publique qui doit encore être élaborée.
Il sera donc particulièrement intéressant de voir la réglementation précise qui découlera de ce projet, notamment du point de vue de la méthodologie qui sera retenue pour caractériser les nuisances sonores, à savoir le calcul d’émergence comme en France ou la simple mesure du bruit ambiant. A suivre.
Christophe Sanson Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine[1] Article 1253 du Code civil.
L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.
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