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L’obligation légale d’assurance peut-elle justifier le déplafonnement du loyer commercial ? Par Noémie Le Bouard, Avocat.
Parution : jeudi 20 mars 2025
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Le renouvellement d’un bail commercial est, en principe, soumis à la règle du plafonnement du loyer. Toutefois, certaines circonstances permettent d’y déroger, notamment en cas de modification notable des obligations des parties. La Cour de cassation vient récemment de rappeler qu’une nouvelle obligation légale, telle que l’instauration d’une assurance responsabilité civile obligatoire pour les copropriétaires non occupants, peut constituer un motif de déplafonnement du loyer du bail renouvelé [1].

Ce qu’il faut retenir.

Le principe du plafonnement du loyer renouvelé.

L’article L145-34 du Code de commerce pose le principe du plafonnement du loyer lors du renouvellement d’un bail commercial. En l’absence de circonstances particulières, l’augmentation du loyer ne peut excéder l’évolution de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT).

Toutefois, ce principe connaît des exceptions, notamment lorsqu’une modification notable des éléments de la valeur locative est constatée. Parmi ces éléments figurent :

Dans ce dernier cas, une nouvelle charge imposée par la loi et assumée par l’une des parties peut constituer un motif légitime pour le bailleur de demander le déplafonnement du loyer [2].

L’impact d’une nouvelle obligation légale sur la fixation du loyer.

L’article R145-8 du Code de commerce précise que toute obligation nouvelle découlant de la loi et génératrice de charges pour le bailleur ou le locataire peut être invoquée au titre d’une modification notable des obligations des parties.

Dans l’arrêt du 23 janvier 2025, la Cour de cassation s’est penchée sur la question du caractère notable d’une assurance responsabilité civile devenue obligatoire pour les copropriétaires non occupants. Le bailleur avait souscrit cette assurance de manière volontaire avant qu’elle ne devienne une obligation légale en 2014 [3].

Il s’agissait donc de déterminer si cette obligation, bien que préexistante pour le bailleur, constituait néanmoins une charge nouvelle permettant le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.

Une obligation légale nouvelle, même préexistante, justifie le déplafonnement.

Le locataire contestait le déplafonnement en arguant que l’assurance était déjà souscrite par le bailleur avant qu’elle ne devienne obligatoire. Ainsi, selon lui, il ne s’agissait pas d’une charge nouvelle découlant de la loi, mais d’un engagement contractuel antérieur.

La Cour de cassation rejette cet argument et considère que l’instauration d’une obligation légale, même si elle correspond à une pratique antérieure du bailleur, modifie juridiquement la nature de cette charge.

Ce raisonnement repose sur plusieurs points :

La cour en conclut que le bailleur pouvait légitimement demander la fixation du loyer à la valeur locative, sans application de la règle du plafonnement.

Une jurisprudence cohérente avec d’autres décisions.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît que l’accroissement des charges légales peut justifier un déplafonnement. À titre d’exemple :

À l’inverse, la Cour d’appel de Paris a jugé que l’augmentation des charges de copropriété ne pouvait pas constituer un motif de déplafonnement car elle résultait d’une décision de l’assemblée générale des copropriétaires et non d’une obligation légale [7].

Une appréciation au cas par cas par les juridictions.

La question du caractère notable de la modification reste cependant une question de fait, appréciée au cas par cas par les juges du fond.

Cette décision illustre l’importance d’une analyse rigoureuse des charges imposées aux parties dans un bail commercial. Le bailleur, souhaitant obtenir un déplafonnement, devra démontrer l’impact économique significatif de la nouvelle obligation légale sur la rentabilité locative.

Quant aux locataires, ils pourront contester le caractère notable de la modification en s’appuyant sur une analyse comparative des coûts et en démontrant que l’évolution des charges n’affecte pas fondamentalement l’équilibre du bail.

Enfin, cette jurisprudence rappelle que la fixation du loyer d’un bail commercial renouvelé dépend autant des évolutions législatives que de leur impact concret sur les conditions économiques du bail.

Noémie Le Bouard, Avocat Barreau de Versailles Le Bouard Avocats https://www.lebouard-avocats.fr https://www.lebouardavocats.com/

[1Cass. 3e civ., 23 janv. 2025, n°23-14.887.

[2C. com., art. L145-34.

[3L. n° 2014-366 du 24 mars 2014, art. 58, codifié à l’art. 9-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.

[4Cass. 3e civ., 5 févr. 2013, n° 11-28.829.

[5Cass. 3e civ., 25 juin 2008, n° 07-14.682.

[6CA Caen, 25 nov. 2021, n° 19/03390.

[7CA Paris, 28 févr. 2001, n° 99-2165.

[8CA Caen, 25 nov. 2021, précité.

[9CA Versailles, 16 mai 2024, n° 22/05743 ; CA Paris, 3 avr. 2019, n° 17/21462 ; CA Paris, 31 mars 2021, n° 17/14904.

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