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Airbnb au Pays basque : la justice valide les restrictions. Par Valentin Bergue, Avocat.
Parution : lundi 31 mars 2025
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La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux vient de rendre une décision importante concernant la réglementation des locations meublées touristiques dans le Pays basque. Cette jurisprudence s’inscrit dans le contexte de tension immobilière sur le littoral basque et confirme le mécanisme de régulation des meublés de tourisme.

I- Contexte juridique et cadre réglementaire.

Par délibérations des 5 mars et 3 juin 2022, la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) a institué un règlement particulièrement contraignant concernant les autorisations de changement d’usage des locaux d’habitation en meublés de tourisme. Ce règlement, applicable depuis le 1ᵉʳ mars 2023, concerne vingt-quatre communes de la côte basque considérées en situation de pénurie de logements.

La mesure principale de cette réglementation consiste en l’obligation pour les propriétaires souhaitant transformer un logement en meublé de tourisme de procéder à une compensation. Cette dernière prend la forme d’une transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, situés dans la même commune et disposant d’une surface au moins équivalente au local destiné à la location saisonnière.

Attaqué par la Chambre FNAIM de l’immobilier Béarn-Bigorre-Pays basque et d’autres requérants, le règlement a été confirmé dans sa quasi-totalité par le Tribunal administratif de Pau le 6 mars 2023, puis par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux le 27 mars 2025, à l’exception d’une disposition, à la marge, jugée discriminatoire.

II- Appréciation de la légalité du règlement par la cour.

Dans son arrêt, la cour a analysé les fondements juridiques du règlement à la lumière du droit français et de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), particulièrement l’arrêt Cali Apartments SCI et HX du 22 septembre 2020, en appréciant la légitimité et la proportionnalité du dispositif mis en place par la CAPB.

A- Légitimité du dispositif de compensation.

Au titre de la légitimité du dispositif, la cour a validé l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général justifiant ce dispositif contraignant, à savoir la pénurie avérée de logements destinés à la location de longue durée. Elle s’appuie notamment sur des données statistiques révélant que les meublés de tourisme représentent "près d’un logement sur dix sur la zone tendue du Pays basque" et que leur nombre a doublé entre 2016 et 2020.

Ce constat chiffré s’accompagne d’observations sur la pression démographique croissante dans la région, avec une augmentation de plus de 2 755 habitants par an entre 2013 et 2019, et sur la rareté des logements vacants (6% du parc en 2018). La cour considère donc fondée la démarche de la CAPB visant à préserver l’offre de logements destinés à la location longue durée.

B- Proportionnalité du mécanisme de compensation.

La proportionnalité du dispositif a également été confirmée par la cour. Elle a estimé que l’obligation de compensation, bien que contraignante, n’interdisait pas totalement l’activité de location touristique de courte durée mais la rendait simplement "plus difficile".

La cour souligne que le règlement prévoit des exemptions importantes, notamment pour :

Par ailleurs, l’obligation de compensation peut être satisfaite non seulement par transformation directe de locaux, mais également par l’achat de "droits de commercialité" auprès d’autres propriétaires, ce qui assouplit considérablement le mécanisme.

C- Censure de la disposition discriminatoire pour les personnes morales.

La cour a néanmoins censuré une disposition du règlement qu’elle a jugée contraire au principe d’égalité : l’exclusion des personnes morales, notamment les sociétés civiles immobilières familiales, du bénéfice du régime spécifique d’exemption prévu pour les locations destinées aux étudiants neuf mois par an.

La CAPB n’ayant pas justifié cette différence de traitement, la cour a annulé partiellement les délibérations en ce qu’elles limitaient aux seules personnes physiques ce régime dérogatoire.

III- Analyse de la jurisprudence.

Cette décision soulève plusieurs questions quant à l’équilibre entre la protection du droit de propriété et l’intérêt général attaché à la lutte contre la pénurie de logements.

A- Une causalité présumée mais insuffisamment démontrée.

Bien que la cour établisse un lien entre la prolifération des meublés de tourisme et la pénurie de logements locatifs, on peut regretter l’absence d’études économiques approfondies sur cette corrélation. Les requérants ont d’ailleurs contesté ce lien de causalité, arguant que d’autres facteurs pourraient expliquer la tension du marché immobilier basque, comme l’attractivité du territoire, la construction insuffisante de logements neufs ou l’augmentation des résidences secondaires non destinées à la location.

La cour se contente d’établir une concomitance entre l’augmentation des meublés de tourisme et la tension immobilière, sans véritablement démontrer un rapport direct de cause à effet. Cette approche pourrait paraître réductrice au regard de la complexité des mécanismes du marché immobilier.

B- Une faisabilité réelle de la compensation ?

La question de la disponibilité effective de locaux susceptibles de faire l’objet d’une compensation demeure problématique. Les requérants ont souligné la rareté des locaux commerciaux, bureaux et locaux d’activité pouvant être transformés en habitations. La cour reconnaît implicitement cette difficulté mais considère qu’elle n’est pas insurmontable, citant notamment l’exemple de Biarritz où 61 biens sur 291 qui ne sont plus loués à des fins touristiques ont été convertis en location longue durée.

Cette appréciation semble optimiste et mériterait d’être étayée par une étude approfondie du parc immobilier non résidentiel disponible dans les communes concernées. La possibilité d’acquérir des "droits de commercialité" pourrait également créer un marché parallèle dont les effets économiques sont difficiles à anticiper.

L’appréciation de la proportionnalité est particulièrement critiquable puisqu’elle s’appuie sur une appréciation subjective. En effet, alors que la légitimité du dispositif a été démontrée in concreto sur le fondement de données chiffrées, sa proportionnalité a été appréciée in abstracto.

Or, depuis l’entrée en vigueur du règlement le 1ᵉʳ mars 2023, le nombre d’autorisations accordées grâce au principe de compensation est quasi-nul, démontrant sa mise en œuvre non pas "plus difficile" mais quasi-impossible. L’affirmation du caractère "plus difficile" n’est donc pas étayée par des données fiables.

C- Un questionnement sur l’efficacité réelle de la mesure.

L’efficacité de ce type de réglementation pour résoudre durablement la crise du logement demeure incertaine. L’absence d’études d’impact exhaustives avant l’adoption du règlement est regrettable. Les requérants ont d’ailleurs soutenu que l’augmentation des offres de locations meublées de courte durée résulterait de l’absence de contrôle de la précédente réglementation, plus souple, adoptée en 2019.

On peut légitimement s’interroger sur les effets collatéraux potentiels de cette réglementation sur l’économie touristique locale, notamment en période de forte affluence où la demande en hébergement touristique de courte durée reste importante. Pour des effets incertains sur le marché locatif, la réglementation de la CAPB a des effets certains sur l’économie touristique de la côte basque.

IV- Implications pratiques pour les propriétaires de meublés de tourisme.

Pour les propriétaires de meublés de tourisme dans les communes concernées du Pays basque, cette décision confirme l’application d’un cadre juridique particulièrement contraignant.

A- Conséquences immédiates pour les propriétaires.

Les propriétaires de résidences secondaires souhaitant se lancer dans la location meublée touristique devront désormais satisfaire à l’obligation de compensation, soit en transformant d’autres locaux leur appartenant, soit en acquérant des droits de commercialité auprès d’autres propriétaires. Cette contrainte représente indéniablement un coût supplémentaire significatif susceptible de réduire la rentabilité de cette activité.

En revanche, les propriétaires peuvent continuer à louer leur résidence principale sans compensation pour des durées inférieures à 120 jours par an. De même, les propriétaires de résidences secondaires déjà autorisées avant l’entrée en vigueur du règlement ne sont pas concernés par cette obligation de compensation.

Cette mesure pour les résidences principales pourrait être réduite à 90 jours.

B- Nouvelle opportunité pour les personnes morales.

L’annulation partielle concernant l’exclusion des personnes morales du régime spécifique des locations destinées aux étudiants constitue une avancée notable pour les sociétés civiles immobilières détentrices de biens immobiliers.

Ces dernières pourront désormais bénéficier de l’exemption de compensation pour les locations mixtes (étudiants/touristes), ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour les investisseurs institutionnels ou familiaux organisés sous forme sociétaire.

V- Conclusion : vers une nécessaire évaluation des politiques publiques de régulation.

La décision de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux s’inscrit dans un mouvement plus large de régulation des meublés de tourisme observable dans plusieurs zones touristiques françaises confrontées à des tensions immobilières (Paris, Nice, etc.). Elle valide un dispositif contraignant au nom de l’intérêt général de lutte contre la pénurie de logements.

La jurisprudence permet pour chaque réglementation locale de délimiter des délimitations plus précises entre le droit des propriétaires et la raison impérieuse d’intérêt général.

Toutefois, l’absence d’études d’impact complètes et impartiales sur les effets réels de telles réglementations constitue une lacune regrettable. Une évaluation rigoureuse réalisée par un organisme indépendant permettrait d’apprécier si ces mesures atteignent effectivement leur objectif de préservation du parc locatif à l’année, sans pour autant porter une atteinte disproportionnée à l’économie touristique et aux droits des propriétaires.

Dans l’attente d’une telle évaluation, cette décision de justice demeure un jalon important dans l’appréciation de la légalité des dispositifs de régulation des meublés de tourisme, confirmant la possibilité pour les collectivités d’instaurer des mécanismes de compensation, tout en rappelant la nécessité de respecter le principe d’égalité entre les différentes catégories de propriétaires.

Valentin Bergue Avocat au barreau de Bayonne Droit administratif - Droit de l’environnement [->vb@bergue-avocat.com] www.bergue-avocat.com

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