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Les témoignages anonymisés recevables mais sous conditions ? Par Rim Jebli, Avocat.
Parution : mardi 15 avril 2025
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Par un arrêt en date du 19 mars 2025 (Cass. Soc., 19 mars 2025, n° RG 23.19154), la Cour de cassation est venue assouplir sa jurisprudence en admettant la production des témoignages anonymisés y compris s’ils ne sont pas étayés par d’autres éléments mais à la condition :

  • qu’ils soient indispensables à l’exercice du droit de la preuve et
  • que l’atteinte portée au principe d’égalité des armes soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Les faits.

En l’espèce, l’employeur tenu à une obligation de sécurité, s’est vu contraint de notifier à un de ses salariés son licenciement pour faute grave en raison de son comportement agressif et menaçant à l’égard de ses collègues.

Le salarié licencié avait donc contesté devant la juridiction prud’homale son licenciement prétextant qu’il était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Par peur de représailles, les salariés n’avaient souhaité témoigner qu’anonymement.

Les témoignages anonymes, possibles ?

C’est dans ce cadre que l’employeur avait produit dans le cadre de deux constats d’audition établis par huissier de justice des témoignages anonymisés de salariés confirmant le climat de terreur instauré par leur collègue.

L’identité des témoins connus par les juges ?

Petite précision et pas des moindres, si les témoignages demeuraient anonymes à l’égard du requérant, en revanche, les juges et la société avaient, quant à eux, connaissance de l’identité des salariés ayant témoigné.

De ce fait, le requérant contestait la recevabilité de ces témoignages prétextant qu’ils n’avaient pas été débattus contradictoirement conformément aux dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile et n’étaient pas conforme à l’article 6 de la CESDH garantissant le droit à un procès équitable.

Dans un arrêt en date du 8 mars 2023, la cour d’appel va de son côté juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse considérant que les constats d’huissier étaient dépourvus de force probante prétextant qu’ils consistaient en un recueil de témoignages anonymes.

Solution.

Cela n’est pas la position partagée par la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt précité.

Elle va rappeler dans un premier temps les règles régissant le procès civil et l’admissibilité des preuves :

A cette fin, le juge doit mettre en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence, étant précisé que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à condition que cette production soit indispensable à son exerce et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Puis, dans un second temps, elle va juger que :

En d’autres termes, par cet arrêt, la Haute juridiction semble admettre désormais la recevabilité de témoignages anonymisés non étayés par d’autres éléments mais celle-ci demeure conditionnée.

Cet arrêt s’inscrit pleinement dans la continuité de la jurisprudence récente établie par la Cour de cassation qui avait admis la recevabilité d’un enregistrement clandestin à condition que la production de ce dernier soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et de la défense et que l’atteinte portée au droit au respect à la vie privée soit proportionnée au but recherché [1].

Rim Jebli Avocat au Barreau de Paris [->jebli.rim@gmail.com]

[1Cass. civ. 2e, 6 juin 2024, n°22-11.736.

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